vendredi 30 octobre 2020

Bushpilot / Already !


On nous a tellement fait le coup du groupe inconnu / maudit / séparé trop tôt / suicidaire (rayer les mentions inutiles) que j’ai tendance à ne plus du tout y croire lorsque une nouvelle sensation ressurgit d’un passé fantôme mais supposément glorieux. Même lorsque le label qui balance le truc s’appelle God Unknown records, maison sérieuse et digne de confiance s’il en est. Le groupe en question nous vient tout droit de Leeds, s’appelle BUSHPILOT – parfois orthographié Bush Pilot – et je ne sais pas du tout pourquoi il s’est séparé après un unique 7’ publié en 1994 ni pourquoi il n’avait pas terminé l’enregistrement de son tout premier album. Un disque qui a été complété bien des années après. Sur ce « premier » LP le line-up est composé de Ross Holloway au chant, des guitaristes Adrian Gans et Daren Pickles, du bassiste (puis batteur) Karl Berlin ainsi que du batteur Phil Leigh qui a semble-t-il quitté le groupe peu de temps après. Pour les ajouts et la post-production de 2018 Bushpilot s’est enrichi du bidouilleur, producteur multicarte et multi-instrumentiste Richard Formby.

 


 

Plutôt ironiquement – mais il s’agit d’une douce ironie, de celles qui donnent envie de sourire d’un air entendu et gentiment ravi – intitulé Already ! ce premier album sauvé des eaux a été publié en mars 2020, soit exactement au moment où la moitié des trois quarts de la vieille Europe se confinait face à l’épidémie de covid. Côté timing on aurait pu rêver beaucoup mieux, surtout que ma nature naturellement suspicieuse à l’égard des miracles musicaux et autres morts-vivants mystérieusement ressuscités de l’underground m’a donc gentiment poussé à bouder ce disque pendant quelques longs mois. Il aura fallu que Bushpilot annonce déjà la parution d’un deuxième LP – il arrive ces jours-ci et il s’intitule 23 – pour que je m’intéresse au cas de ce groupe et d’un premier album démomifié. Evidemment j’ai eu tort : Already ! n’est pas un chef-d’œuvre qui révolutionnera notre petit monde en déliquescence mais il s’agit d’un sacré bon disque. Il aurait été vraiment dommage que Bushpilot ne ressorte pas de sa torpeur et que cet album ne voit jamais le jour.
En ouverture de la face A 1993 place la barre très haut, mélangeant accents à la Can avec la frénésie d’un Gang Of 4. Kraut rock et post punk sont ainsi les deux ingrédients principaux d’un disque qui laisse également beaucoup de place au funk (Big Quaalude Thunder Nothing) et aux explosions psychédéliques. Encore un disque qui tambouille nerveusement et imparablement autant d’influences possibles et imaginables en matière de musiques traviolées, barrées voire borderline pour aboutir à un résultat confondant de réussite : j’ai beau chercher je ne trouve aucun temps mort à Already ! et à ses huit compositions exacerbées de tension et de groove électrique. Coté chant on pense souvent à Malcom Mooney – le premier chanteur de Can – mais également, pourquoi pas, à Eric Paul (Arab On Radar, The Chinese Stars, etc) lorsque Ross Hollaway s’embarque dans un registre plus hystériquement aigu et pernicieusement diabolique (toujours Big Quaalude Thunder Nothing, haut la main meilleur titre de l’album). Le plus admirable dans tout ça c’est la confusion temporelle qui nait de l’écoute de Already ! : voilà un disque enregistré il y a longtemps par un groupe du siècle dernier tout en faisant référence à des musiques dont l’acte de naissance est encore plus ancien mais dont le résultat demeure malgré tout intemporel. Sûrement encore un autre effet pervers du confinement.

 

[Already ! est publié uniquement en vinyle transparent par God Unknown records – le coupon mp3 joint au disque permet également de télécharger le 7’ 21st Century Breakdown / Lost Girls et honnêtement je le trouve en deçà de l’album]

 

 

mardi 27 octobre 2020

PJ Harvey / To Bring You My Love - Demos

 

J’ai longtemps été amoureux de PJ HARVEY, comme un imbécile. Un pur phantasme né de ses chansons et de mon profond attachement à ce que pendant très longtemps j’ai considéré comme la seule chose valable sur cette terre – je parle de la musique au sens général – au point de passer complètement à côté de toutes les autres. Et puis elle était tellement inaccessible Polly Jean, et tellement plus grande et plus mature aussi, alors que nous avons le même âge, puisque nous sommes nés la même année (ce que je n’ai découvert que beaucoup plus tard). La PJ Harvey que j’aimais plus que tout et que j’aime toujours c’est celle des deux premiers albums. A l’époque son nom n’était pas synonyme de celui d’une artiste solo mais d’un véritable trio, fondé avec l’aide du bassiste Ian Olliver et du batteur Rob Ellis. Deux membres comme elle du groupe Automatic Dlamini dans lequel officiait également un certain John Parish, grand ami et collaborateur récurent de PJ.
Mais ce n’était pas assez pour elle. Je me rappelle d’un concert du PJ Harvey trio dans une salle seulement remplie à moitié, c’était pour la tournée Rid Of Me, un deuxième album récuré à l’émeri par un Steve Albini trop envahissant. Nous avions attendu la chanteuse-guitariste de longues minutes avant qu’elle balance son set de manière expéditive. Ce fut un concert beaucoup trop court et en définitive moins percutant et moins intéressant que celui du groupe de première partie (les fantastiques Gallon Drunk). Elle n’a pas joué quelques uns de mes titres préférés – non, pas de Victory… – et elle semblait tellement mal à l’aise dans cette robe de soirée en lamé, avec ses cheveux mouillés qu’elle avait plaqués en arrière, comme si pour se donner du courage elle s’était passé la tête sous un robinet avant de pouvoir monter sur scène. Elle jouait difficilement à côté de deux autres musiciens au sein d’un trio désormais trop petit pour elle, un trio qui en fait n’était plus vraiment le même groupe, Steven Vaughan ayant remplacé Olliver au poste de bassiste. Non, elle n’avait rien à faire là mais je suis quand même resté un peu amoureux.

 


 

To Bring You My Love a été publié en 1995. Cette fois-ci PJ Harvey n’est plus un simple groupe mais le nom d’une artiste / chanteuse / musicienne toute seule et pourtant très entourée. Rob Ellis est toujours là, John Parish est de nouveau à ses côtés et le Bad Seeds Mick Harvey fait son entrée dans la famille. La musique de To Bring You My Love pourtant assez minimale se dégage nettement de l’instrumentation guitare / basse / batterie et voix et s’enrichit de cordes, d’orgue et de percussions additionnelles. Cela reste finalement assez peu mais c’est déjà presque beaucoup trop pour moi, la fausse simplicité des compositions n’arrivant pas à recréer la magie émotionnelle et tendue de celle d’un Dry et d’un Rid Of Me. Et puis surtout Mark Ellis aka Flood qui a coproduit l’album n’a pas pu s’empêcher de polir et d’aseptiser l’enregistrement : ce qui aurait pu être un bon disque de chansons mi-intimistes teintées de rock un peu bluesy est devenu un disque propre et commercialement acceptable, ce qui de ce point de vue-là fut une réussite (à ce jour To Bring You My Love se serait vendu à plus d’un million d’exemplaires). Après avoir carrément forcé la dose sur Rid Of Me, PJ Harvey avait donc choisi de faire exactement l’inverse avec son troisième album…
Le concert auquel j’ai assisté à la même époque et dans exactement la même salle que précédemment m’a également déçu. Mais je n’avais pas vraiment envie d’y assister : je n’avais pas dormi depuis presque deux jours, je revenais d’un hôpital où j’avais accompagné un ami qui avait décidé qu’il ne voulait plus vivre et je me sentais perdu au milieu du public, je me tenais à côté d’une personne qui disait tenir à moi alors que moi je n’en avais vraiment rien à faire d’elle. Un vrai bordel de vie. Et puis j’avais peur d’être encore plus déçu que je ne l’avais déjà été par un album beaucoup trop tiède à mon goût. Le concert très orchestré et théâtralisé de PJ Harvey s’est terminé sous des applaudissements nourris, j’avais trouvé que celui de Tricky en première partie avait été bien plus intéressant (l’histoire se répète). Surtout je n’arrivais pas à me décider à partir : cette fois ci c'est moi qui n’avais rien à faire là. 

 



Peut-être pour désamorcer la violence de Rid Of Me, PJ Harvey a dès 1993 publié 4-Track Demos, c’est-à-dire les versions démos de son deuxième album, nous permettant de découvrir l’essence profonde de compositions taillées dans l’intime, exactement ce qu’Albini n’avait pas vraiment su capter ni retranscrire. A noter que les versions démos du premier album Dry avaient également été publiées sur un CD bonus accompagnant un tirage limité à 1000 exemplaires de l’album. Mais contrairement à celles de Rid Of Me les démos de Dry sont dispensables : on y découvre une PJ Harvey a la voix encore très juvénile et au chant parfois peu assuré, pas grand-chose ne pouvant laisser présager du futur grand disque à venir. Lorsque la campagne de réédition des albums de la chanteuse a été lancée pendant l’été 2020 les demos de Dry ont pourtant fait l’objet d’une version vinyle, tout comme celles de To Bring You My Love.
Ecouter les versions primitives des dix compositions de To Bring You My Love s’est révélé être une expérience troublante, d’autant plus que le tracklisting est exactement dans le même ordre que celui de l’album studio de 1995. On découvre alors un grand beau disque, des compositions fortes et habitées bien qu’inachevées et à l’instrumentation bricolée (de la boite-à-rythmes). C’est un disque qui se suffit à lui-même et aurait largement mérité d’être publié tel quel, en lieu et place de celui que tout le monde connait.
Vingt-cinq années après il est donc temps pour moi de me réconcilier avec une musique que je n’avais appréciée qu’à moitié, presque par dépit et pour de mauvaises raisons, trop personnelles. Et par truchement me réconcilier avec un disque que je n’ai pas écouté très souvent car il ne parvenait pas à me faire oublier les deux premiers et ne se montrait pas non plus à la hauteur du suivant : bien qu’encore plus sophistiqué et infesté de synthétiseurs et de claviers divers Is This Desire ? reste en effet à mon avis le plus bel album de la deuxième partie de carrière de PJ Harvey. Ce qui peut sembler paradoxal après tout ce que je viens de dire de To Bring You My Love… Disons qu’avec Is This Desire ? Polly Jean avait vraiment atteint son but. J’espère que les démos de cet album seront également bientôt éditées correctement et avec celles de To Bring You My Love j’aurais au moins découvert quelque chose qui pourtant se tenait là, presque à portée, mais trop inaccessible. Avec la musique il y a vraiment un temps pour tout. 

 

dimanche 25 octobre 2020

[chronique express] Chief Tail / self titled

 


Ce disque est une vraie bombe noise-rock et honnêtement je l’adore : il a été publié à la mi-janvier 2020 chez les infatigables Reptilian records et je l’écoute encore très régulièrement depuis quelque mois, c’est-à-dire à chaque fois que j’ai besoin de me défouler et de hurler comme une andouille dans mon petit salon pendant vingt minutes (au-delà de ce temps imparti je me transforme invariablement en métalleux et je ressors mes vieux disques de thrash et de death). Mais ce disque a également un énorme défaut… il me fait beaucoup trop penser à du Jesus Lizard survitaminé ou, si tu préfères, à du Pissed Jeans qui aurait oublié d’être chiant en se consacrant uniquement au côté punk de la chose. Mais le résultat est tellement bon que je n’arrive pas trop à en vouloir à Chief Tail.

 

 

vendredi 23 octobre 2020

[chronique express] Venomous Concept / Politics Versus The Erection

 

 

A l’origine cofondé par King Buzzo (Melvins) et Shane Embury (Napalm Death) en forme d’hommage un peu vague à Poison Idea, le all-star band VENOMOUS CONCEPT vient tout de même de publier son quatrième album : Politics Versus The Erection. Buzz a quitté le groupe depuis longtemps mais Danny Herrera (Napalm Death) est toujours là, de même que l’inestimable Kevin Sharp (Brutal Truth) et le désormais bien installé John Cooke (également guitariste de secours chez Napalm Death). Par contre Dan Lilker (Anthrax, S.O.D, Nuclear Assault et Brutal Truth) a lui aussi quitté le navire mais ce n’est pas l’unique déception d’un disque de punk hardcore crusty-fondu et volontairement lourdingue, certes politiquement engagé, de facture très honnête mais aux idées musicales un peu trop éculées et dont le principal intérêt restera de pouvoir écouter quelque chose de récent et de sauvagement vivifiant avec l’immense voix de Sharp, définitivement l’un des meilleurs hurleurs que cette planète en voie d’anéantissement programmé ait jamais porté. 

 

mercredi 21 octobre 2020

Sex Swing / Type II

 

Si tu ne sais pas ce qu’est une balançoire à sexe, va chercher dans ton moteur de recherche si j’y suis. Ou alors demande à ta copine (ou à ton copain, ou même aux deux), tu auras peut-être droit à des réponses rigolotes du genre « ah oui je me rappelle d’une fois, après la tournée des bars, on a fini dans un club gay de la rue Burdeau sur les pentes de la Croix Rousse pour rapidement atterrir dans une back room infestée de garçons sauvages qui s’amusaient avec des sex swing, ça m’a vraiment fait envie ». Donc on en apprend tous les jours, y compris sur les gens que l’on pense pourtant très bien connaitre, mais c’est ce qui fait tout le piment de l’existence, non ?
SEX SWING. Un sacré groupe, soit dit en passant. Avec : Dan Chandler (ex Dethscalator) au chant, Jodie Cox (de Narrows !) à la guitare baryton, Jason Stöll (Klämp, Twin Sister, Mugstar, etc) à la basse, Stuart Bell (Dethscalator) à la batterie, un certain Olivier Knowles (inconnu au bataillon jusqu’ici) aux synthétiseurs et… le lutin furieux Colin Webster au saxophone baryton – cette gazette a parlé de lui encore tout récemment car il a été invité à jouer sur le dernier album en date d’Idles*. Auparavant un certain Tim Cedar (Penthouse, Part Chimp : ce type est un vrai héro) s’occupait des claviers mais il a quitté Sex Swing, ne jouant que sur le premier album du groupe.

 


 

Type II est logiquement le deuxième LP de cette bande de fous-furieux. Et quand j’écris « fous-furieux » je crois que je reste quand même bien en dessous de la vérité. Sex Swing est un groupe qui associe sans retenue et combine adroitement plein de styles musicaux qui sont particulièrement chers à mon cœur : une moitié de kraut hallucinogène, une moitié de dérives psychédéliques, une moitié de post punk, une moitié de noise-rock, une moitié de lourdeur atmosphérique et encore une autre moitié de je-ne-sais-pas-trop-quoi-en-fait – ce qui au total nous fait beaucoup plus que un mais Sex Swing est définitivement un groupe hors-normes, un groupe à part. Tour à tour hypnotique, magnétique, tribale, incantatoire, malsaine, (très) bruyante, féroce, écrasante, dérangeante, fascinante, magique, la musique contenue dans Type II est en fait difficilement catalogable autrement que par elle-même, ce qui par définition est le propre de toute grande chose. Il se passe vraiment de drôles de trucs du côté de l’underground anglais, des éruptions musicales semble-t-il comme nulle part ailleurs et Sex Swing est l’une des principales têtes de pont de toute cette folie créatrice.
On pourrait malgré tout tenter de définir Sex Swing comme une grosse machine à bordel dysfonctionnelle à la croisée d’un Butthole Surfers hippisant et d’un 16/17 sous champignons, le tout saupoudré de Terminal Cheesacake (pour citer quelques noms). Le sextet est membre honoraire de ce club très fermé de groupes novateurs qui à partir de pleins d’éléments déjà connus, rabâchés, pourtant déjà utilisés et réutilisés plein de fois, ont su créer et développer leur propre musique. Peu d’exemples récents d’un phénomène similaire me viennent en tête spontanément, d’autres groupes pouvant soutenir la comparaison, mis à part Gnod, peut-être, ou les défunts Skull Defekts (avec lesquels Sex Swing partage finalement plus d’un point commun). Avec Type II on est à la fois dans la découverte la plus totale et la plus passionnante tout en restant dans des territoires malgré tout familiers. Car ne nous leurrons pas, Sex Swing reste un groupe de rock. De rock barré, déformé et protéiforme peut-être, mais de rock viscéral, aliénant et subjuguant sûrement… Sex Swing et Type II sont beaucoup plus qu’une expérience : une véritable révélation, effroyablement totale, presque de l’ordre d’une épiphanie. Pour une musique d’une beauté et d’une force absolues.

[Type II est publié en vinyle et en CD par Rocket recordings]

 

* une chronique d’Ultra Mono à lire par ici, si jamais tu as encore du temps à perdre

lundi 19 octobre 2020

Bombardement / EP

  

 


 

BOMBARDEMENT est un groupe basé à Bordeaux et pratiquant joyeusement l’une des plus grandes spécialités locales : le d-beat. Il n’est donc pas très étonnant de retrouver Luc, l’ancien batteur des regrettés Gasmask Terrör et éternel fan de Discharge, ici à nouveau derrière les fûts. Mais ce n’est pas tout, puisque Bombardement est un vrai all-star band, réunissant des gens jouant ou ayant joué dans Diktat, Daymare, Monarch, Shock, Endless Flood, etc… La liste est beaucoup trop longue et bien qu’un peu de mauvaise foi ne m’a jamais vraiment effrayé je serais très mal avisé de citer tous les groupes auxquels ont un jour participé cette bande de jeunes punks puisque, une fois n’est pas coutume je vais faire preuve d’un peu d’honnêteté, je suis très loin de tous les connaitre. Mais ce radieux mélange tend à prouver une seule chose : la consanguinité ça a vraiment du bon.
Entre le premier 12’ (album ? mini album ? maxi ? on s’en fout !) très remarqué paru en 2019 et le tout nouveau 7’ (toujours sans titre) paru cette année et dont il va être maintenant question Bombardement aura toutefois changé de chanteuse. Le départ de Milia aka Emilie aka Eurogirl du poste de diva hardcore pouvait faire craindre une baisse de régime et d’intérêt tant elle fait des merveilles sur le premier disque du groupe. Elle est quand même la hurleuse en chef et grande prêtresse de Monarch ce qui n’est vraiment pas rien et certain.e.s se rappelleront même ses exploits passés avec le très éphémère et hilarant Rainbow Of Death. Mais Milia est donc allée voir ailleurs et c’est Oriane* qui assure désormais le chant et qui le fait plus que carrément bien. Globalement sa voix est moins aigue et plus éraillée et malgré toute l’affection que je porterai toujours à Milia et ses airs de sorcière maléfique on n’y perd pas au change. Tout le monde est rassuré : la voix d’Oriane colle parfaitement au style de chant très scandé et en même temps hurlé du d-beat – les paroles, jamais très longues, étant sans cesse répétées comme autant d’uppercuts dans la gueule.  
Mais ce nouvel EP se démarque surtout par un son encore plus puissant qui exacerbe tout le tranchant méticuleux des deux guitares. Un peu moins d-beat que son prédécesseur, ce quatre titres de haute volée lorgne même parfois du côté du thrash (le riff d’intro du Blood. Cash. Self-destruction) et Bombardement gravit allégrement quelques échelons supplémentaires dans la brutalité et l’efficacité – trois des titres du EP sont à fond les ballons, un seul est un mid-tempo mais toujours bien vigoureux : la proportion des trois quarts réglementaires est ainsi parfaitement respectée. Ça joue donc très vite et très massif avec un vrai mur du son, le résultat est implacable et les deux guitaristes se font vraiment plaisir en multipliant les solos méticuleusement moulés et surtout très mélodiques, se répondant parfois. Sur ce point précis Bombardement s’éloigne du d-beat traditionaliste pur et dur pour lorgner plus que jamais vers le metal. Mais un metal sale, méchant, hargneux et vociférant, bref Bombardement c’est soit du metal joué à la punk soit du hardcore en acier trempé, qu’importe parce que c’est tout simplement vraiment très bon.

[cet EP est publié par Destructure records, Kick Rock et Symphony Of Destruction]

 

* auparavant elle a joué dans Barren ?

vendredi 16 octobre 2020

Shifting / It Was Good


Tiens, pour la peine, encore un groupe de noise-rock : SHIFTING nous vient d’Irlande (Dublin) et je ne peux que remercier mon petit camarade / vendeur de disques qui un jour m’a incité à écouter It Was Good, publié à la toute fin de ce mois d’aout 2020. Lui-même se l’était fait conseiller par un autre camarade qui en avait entendu parler, blah blah blah, via un musicien de sa connaissance qui avec son propre groupe avait partagé l’affiche avec Shifting, lors d’un lointain concert, etc. Ouais les concerts deviennent tellement lointains, maintenant… – je veux parler des vrais concerts, ceux où on transpire, où on peut se bourrer la gueule et consommer de la drogue sans se faire jeter par un vigile d’une société de sécurité et où on a le droit d’hurler ses postillons et de se faire marcher sur les pieds par la personne d’à côté dans la joie et la bonne humeur, pas des concerts où on est obligé de rester bien sagement le cul assis sur une chaise totalement inconfortable, à bonne distance de toutes les autres âmes en peine. 
Mais je crois que j’aurais malgré tout fini par entendre parler de ce It Was Good puisqu’il a été publié grâce aux efforts conjoints de quelques labels de par ici et dont les productions ont déjà trouvé quelques échos favorables dans cette gazette. Au milieu de ce magnifique plateau hexagonal de fromages qui puent il n’y a que Constant Disappointment records qui détonne un peu. Il s’agit d’un label américain encore tout jeune (début d’activité : printemps 2017 me semble t-il), au sujet duquel je ne sais presque rien mais je ne peux pas résister au plaisir intense de vous faire part de son credo très personnel : « Label from Massachusetts that will not release your band’s record ». Inutile de dire que j’apprécie plus que tout ce genre d’humour.

 


 

Shifting est un trio. Paul Clynes à la guitare, Matt Hedigan à la basse et Lewis Hedigan à la batterie (seraient-ils frères ?). Si j’en crois mes petites oreilles, les deux premiers se partagent le chant. Le guitariste a la voix plus lisse bien que très énervée ; le bassiste a la voix plus rauque et abrasive. Et puis il y a le son du groupe : une rythmique tendue comme une fin de mois difficile, avec une batterie qui frappe sec et une basse imposante et qui ne bave pas ; une guitare qui déchire, cisaille, casse et pourfend froidement. En fermant les yeux et sans réfléchir plus que cela j’aurais tout de suite affirmé que Shifting était originaire de Chicago et alentours, soit la scène noise dans tout ce qu’elle peut avoir de plus aride et de plus acéré et dont les héritiers actuels se nomment Buildings (certes de Minneapolis) ou même Luggage. Mais Shifting est bien un groupe de Dublin, juste à quelques milliers de kilomètres de la ville des vents et sûrement ces gens-là se foutent-ils complètement de toutes ces histoires de territoires, de catégorisations et de figures imposées. Comme moi.
La preuve en est que la musique du trio est très loin d’être unidimensionnelle et It Was Good se révèle bien plus varié et détaillé qu’on pourrait le croire au départ. Derrière les locomotives-vapeur que sont Spudgasm et Big Ed, Shifting se paie le luxe de quelques coquetteries bien senties, à commencer par le plus intrusif et subtilement vicieux Polo Neck Dream, le tourmenté (et pièce maitresse de l’album) Pig From Heaven, le froid et distant Big Bottle ou le sombre Little Pal. Ce qui peut faire dire que Shifting fait définitivement partie des bons groupes de noise et non pas des simples suiveurs et vils copieurs c’est la faculté du trio à dévier doucement mais surement des tournures idiomatiques du genre pour imposer un souffle d’étrangeté très personnelle, au fur et à mesure que le disque avance. Il est donc faux d’affirmer que It Was Good s’essouffle peu à peu et à l’inverse je trouve que le disque gagne en force de persuasion et en originalité petit à petit, plaçant Shifting dans le peloton de tête des groupes de noise-rock avec lesquels il convient désormais de compter.

[It Was Good est publié en vinyle par Assos’Y’Song, Constant Disappointment records, Gabu records, les Disques Du Permafrost et Whosbrain records]

 

 

mardi 13 octobre 2020

Idles / Ultra Mono

 

Maintenant que la tempête médiatique de louanges sans modération est passée je vais enfin pouvoir m’en donner à cœur joie. Mais en fait non, pas tant que ça. En guise d’introduction je rappellerai juste que les anglais d’IDLES sont devenus en à peine deux ou trois années les nouvelles coqueluches punk des post ados attardés amateurs de gros rock qui tâche mais aussi parfois de leurs parents qui trouvent que cette révolte énergique en mode compassionnel est finalement plutôt sympathique, en tous les cas tellement acceptable. Pas la moindre petite trace de subversion à l’horizon mais à la place une sorte de consensus mou très dans l’air du temps, celui d’un monde encore privilégié et qui continue de s’accrocher à tout ce qui lui reste encore, tout en faisant mine de vouloir le partager.
Mais parlons musique. Brutalism (2017) est un bon disque de punk-noise à l’anglaise, trublion comme il faut mais pas dangereux pour deux sous ; Joy As An Act Of Resistance (2018) propose exactement la même chose que son prédécesseur mais en carrément moins bien, sans doute ce deuxième album a-t-il été publié beaucoup trop tôt ; le double live A Beautiful Thing : Idles Live At Le Bataclan est tellement mauvais passable et inutile que je n’arriverais même pas à parler d’incongruité à son sujet. Et voilà que débarque Ultra Mono, troisième album d’Idles, toujours chez Partisan records, un label qui s’y connait en marketing puisqu’il a quand même réussi à monter en épingle des groupes à la limite de l’abominable (Cigarettes After Sex) ou simplement décevants (Pottery) mais qui a aussi le nez creux : par exemple le deuxième album de Fontaines D.C. est une vraie petite réussite.

 


 

La première – et grosse – bonne idée au sujet d’Ultra Mono est d’élargir la palette sonore d’Idles avec une pléiade d’invités, certains se retrouvant sur quasiment la moitié des titres de l’album : Colin Webster, génial et trop méconnu saxophoniste anglais issu de la scène free jazz / expé et David Yow (oui, on parle bien de l’ancien chanteur de Jesus Lizard). On note également la présence de Warren Ellis (Dirty Three, les Bad Seeds de Nick Cave), celles du pianiste/chanteur Jamie Cullum et de Jehnny Beth (chanteuse de Savages). Mais l’intervention la plus marquante reste celle, judicieusement dosée, du producteur de hip-hop Kenny Beats. Idles a donc décidé de ratisser très large mais étonnamment Ultra Mono n’a rien d’un fourre-tout protéiné et au contraire possède cette cohérence qui manquait tant à un Joy As An Act Of Resistance parsemé de trous d’air impardonnables, le tout en renouvelant une partie des recettes musicales mises en place avec Brutalism. L’inconvénient du disque pourrait provenir de son éventuelle absence de titres-phares et autres emblèmes, de tubes pseudo révoltés pour faire hurler les foules en chœur pendant les concerts, mais ce serait faire un faux procès à un album qui au contraire a tout à gagner d’une telle constance – remarque : dans le genre tube pour hipsters et autres kooples Mr Motivator fait toutefois parfaitement le boulot. Même lorsque Idles ralentit considérablement le rythme en fin de disque, d’abord sur le quasi electro Reigns puis avec le mid-tempo gouailleur The Lover et le presque crépusculaire A Hymn la tension (l’attention) ne faiblit pas.
Suis-je en train d’écrire qu’Ultra Mono est, musicalement parlant, un bon disque ? Oui, effectivement, bien que certains tics de langage d’Idles y soient toujours trop présents – beaucoup trop de chœurs et malgré tout trop de tentations fédératrices, comme sur le très moyen Carcinognic – et bien que le chant de Joe Talbot apparaisse toujours aussi limité (le problème ne réside pas dans les limites du chanteur mais dans le fait de le mettre trop en avant dans le mix). Mais en parlant de mix, celui d’Ultra Mono, tout en ayant recours à certaines facilités, sonne bien mieux équilibré que ceux de tous les autres enregistrements du groupe et permet notamment de beaucoup mieux entendre les deux guitares et d’apprécier les nettes avancées de Mark Bowen dont les positions d’équilibriste et les divers solos parfois dissonants ne peuvaient qu’attirer mon oreille de vieux noiseux rabat-joie. Bowen est également intervenu au niveau de la production d’Ultra Mono aux côtés des vieux briscards multi-médaillés Adam Greenspan et Nick Launey, des habitués des succès commerciaux mais dont les tableaux de chasse sont pour le moins contrastés (pour ce dernier cela va quand même de Birthday Party à Inxs… ahem). Peut-être serait-il souhaitable qu’un jour Mark Bowen produise tout seul comme un grand un album de son groupe, loin de toute intervention parasitaire. Cela permettrait à Idles de trouver vraiment toute la sincérité que le groupe revendique tellement fort et dont souvent il ne fait que s’éloigner à force, je n’en doute pas une seule seconde, de trop vouloir bien faire. Encore une fois tout cet argumentaire ne concerne que la musique du groupe et absolument pas tout ce qu’il y a autour – les textes ni les opinions très affirmées de John Talbot et de ses petits camarades – bien que le prêchi-prêcha m’emmerde toujours un peu. Oui, je fais la fine bouche.

 

vendredi 9 octobre 2020

Comme à la radio : Scimmia

 


Normalement et à l’origine cette rubrique « comme à la radio » n’était qu’un simple bouche trou destiné à poster quand même deux ou trois trucs sans avoir trop à me fatiguer et parce que je n’avais pas forcément grand-chose d’intéressant à dire au sujet d'un disque ou d'un groupe dont je voulais pourtant absolument parler (internet mon amour, tu es le miroir de mes contradictions, de mes névroses et de mon goût prononcé pour les phrases beaucoup trop longues). Et puis comme d’habitude je me suis laissé aller.

Donc au menu d’aujourd’hui ce sera la cassette / démo de SCIMMIA (auparavant Papillon Barbu) avec des membres de Meurtrières et de Zone Infinie dedans. OK, on est en plein dans le microcosme lyonnais mais tu connais mon désintérêt total pour le régionalisme musical à outrance. Autrement dit ce n’est pas parce qu’un groupe répète dans la cave de l’immeuble d’à côté du mien que je vais forcément en parler ; inversement je trouverais particulièrement dommage de ne pas te causer d’un groupe dont j’aime la musique sous prétexte qu’il ne vient pas du même bled que ses illustres modèles américains ou anglais, le tout en encensant en même temps un groupe merdique pour hipsters dont le seul mérite serait d’avoir la « bonne » nationalité (encore une phrase trop longue : ça va pour toi ?). Tout ça n’est que snobisme, dans un cas comme dans l’autre.

 

 

Autant le dire tout de suite, avec SCIMMIA on tient vraiment un super groupe. J’ai été soufflé la première fois que j’ai vu ces quatre garçons en concert et je n’ai vraiment pas été déçu par leur première démo publiée en cassette en mars 2020. Huit titres d’un punk hyper original ne serait-ce que par la présence accrue d’une basse qui fait des trucs assez dingues dans le genre, d’une guitare qui ne se laisse pas bouffer par cette même basse pour autant et qui possède un son bien à elle.

 



Et puis il y a le chant comme j’aimerais en entendre plus souvent, pas spécialement beuglé (en fait non, pas du tout) mais distinct et habité, on sent très bien que ce chanteur qui en concert raconte des blaguounettes aux frontières de l’absurde veut vraiment donner corps et vie à ses textes. Et en plus j’adore son timbre de voix… évidemment il possède un avantage certain dans toute cette affaire : l’anglais est sa langue maternelle. Bref, comme je ne veux pas faire de jaloux je parlerai également du batteur qui joue ou a joué dans nombre de groupes locaux mais qu’ici je trouve plus particulièrement à son aise. Si j’osais j’affirmerais presque que Scimmia doit être un projet qui le comble particulièrement (mais j’ose pas).
Pour finir, cette cassette s’écoute dans les deux sens mais le résultat est beaucoup mieux qu’un film arrogant et prétentieux de Christopher Nolan : on a droit aux huit mêmes titres sur les deux faces et si tu as la chance d’avoir un vieux magnéto-cassettes qui fait autoreverse tu pourras donc écouter cette démo en boucle de longues heures durant, et notamment la triplette gagnante Pas Des Fruits / Fifty Dollars / Kool Aid (mais en fait j’aime tous les titres de cette démo).

L’artwork est signé Suka Mabuk qui n’est autre que le généreux bassiste de Sciammia… j’imagine que c’est lui qui a proposé le nom du groupe, Scimmia signifiant « singe » en italien, sa langue maternelle à lui. Quand je te disais que j’en avais vraiment rien à foutre de la provenance et de la nationalité des groupes que j’écoute. 

 

mercredi 7 octobre 2020

Uniform / Shame

 

Il y a bien longtemps que je ne m’étais intéressé à un projet de Ben Greenberg. Pourtant à une époque j’avais souvent son nom à la bouche, le bonhomme figurant parmi les musiciens new-yorkais les plus intéressants que je connaisse, que ce soit au sein de Zs (en remplacement de Charlie Looker à la guitare et participant en 2010 à l’enregistrement de l’album New Slaves) ou de Pygmy Shrews (seulement deux LP au compteur…) et sauvant provisoirement The Men du naufrage après le départ du bassiste Chris Hansel. On connait également Greenberg pour son travail d’ingénieur du son et de producteur via son studio Python Patrol, mettant en boite nombre de productions du label Sacred Bones. Son alter ego au sein de UNIFORM n’est autre que Michael Berdan, auparavant chanteur de Drunkdriver, encore un groupe à l’existence beaucoup trop éphémère et responsable de deux de mes disques préférés de la première décennie de ce putain de millénaire – Born Pregnant en 2008 et un monstrueux second album sans titre en 2010. Uniform a existé sous la forme d’un duo depuis le début des années 2010 avant de recourir à l’assistance d’un batteur (Greg Fox, ex-Liturgy et actuel Zs, a joué sur l’album The Long Walk en 2018) ou de s’associer à un autre duo, les affreux The Body. Cette présentation est peut-être un peu longue et elle ne sert à expliquer qu’une seule chose : Uniform est un groupe issu du sérail… car avec Greenberg et Berdan on est en plein dans le microcosme de la scène noise / expé / indus-arty new-yorkais, ces deux là ont côtoyé beaucoup de musiciens en commun – par exemple le batteur Jeremy Villalobos a joué à la fois dans Pygmy Shrews et dans Drunkdriver – et ils se sont croisés un nombre incalculable de fois avant de jouer ensemble.

 


Shame est déjà le troisième album de Uniform. Je ne compte pas les deux enregistrements en compagnie de The Body, en particulier Everything That Die Someday Comes Back paru à l’été 2019, pourtant, et malgré toutes les réticences que je peux avoir à l’encontre du groupe formé par Chip King et Lee Buford, j’ai toujours préféré les disques de Uniform accompagné de ce duo de Portland à ceux enregistrés en solitaire. Je ne suis pas loin de penser non plus que cette rencontre / collaboration a été plus que décisive dans l’évolution de la musique de Greenberg et Berdan.
Avec Shame les deux musiciens ont décidé de placer la barre encore plus haut que tout ce qu’ils ont enregistré précédemment. Ne pouvant définitivement plus se passer de batteur, c’est un certain Mike Sharp qui désormais occupe ce poste, après les très expérimentés Greg Fox et Lee Buford. Sharp n’est pas n’importe qui non plus : il a joué avec Trap Them ou Hatred Surge, c’est-à-dire que c’est un vrai musicien de hardcore métallisé et que sa patte a vraisemblablement influencé l’écriture de Shame, un album beaucoup plus technique et complexe qu’auparavant et surtout un disque écrit à trois (hormis les paroles qui sont restées l’apanage du seul Michael Berdan). Et que l’on ne s’y trompe pas : ce n’est pas parce que Delco, placé en ouverture du disque, démarre sur un rythme tribal que Uniform va nous resservir exactement la même chose que sur les autres titres du disque... avant il aurait été bien difficile d’imaginer Uniform composer et enregistrer un I Am The Cancer qui dans sa première partie défouraille façon hardcore avant de virer sludge industriel dans la seconde.

Désormais le groupe voit donc les choses en beaucoup plus grand et en plus épais, Shame bénéficiant d’un son très impressionnant de par son ampleur et sa puissance et les compositions devenant beaucoup plus évidentes, mémorisables et… catalogables. Les bidouilles malsaines et autres éléments indus/bruitistes ne sont plus qu’accessoires et tout repose sur un chant toujours blindé d’effets mais en forte progression, une batterie maitresse du jeu et une guitare aux riffs moins basiques et aux sonorités plus travaillées. Bien sûr il reste quelques passages où on retrouve une partie du Uniform d’avant comme sur le final de The Shadow of God’s Hand ou celui de Life In Remission mais il s’agit surtout pour Uniform de trouver et de replacer des portes de sortie habituelles ou des tuyaux d’évacuation à des compositions dont on sent parfois que sans ça le groupe n’aurait pas réellement trop su comment les terminer. Par contre, lorsque Uniform sait réellement où il va, cela donne le morceau titre, son ambiance lancinante et sa structure bien moulée, ou le très classique All We’ve Ever Wanted qui ne surprendra pas par son originalité tout en restant très efficace. Une efficacité qui est le nouveau maitre-mot d’un groupe et d’un album qui aurait gagné à être un peu plus bordélique, à l’image de l’excellent This Won’t End Well. Pour tout dire je trouve le résultat final de Shame un peu trop froid et un peu trop pensé bien que fort divertissant, ce qui est peut être un comble pour un disque aux ambitions aussi darkos… Shame ne sera donc pas le chef d’œuvre de Uniform, juste un bon disque d’honnête facture, ce qui n’est déjà pas si mal.

[Shame est publié en vinyle – choisis ta couleur camarade, parce qu’il y en a plusieurs – et en CD par Sacred Bones]


lundi 5 octobre 2020

A Shape / Iron Pourpre


Affirmons-le tout de suite : Iron Pourpre fait partie de ces disques difficiles mais qui ne vous lâchent pas. Soit on rejette immédiatement cette musique magmatique, intense, viscérale et exigeante, soit on se fait attraper et on rentre complètement dedans pour ne plus en sortir. Avec A SHAPE c’est donc du tout ou rien. Et plus de trois ans après un Inlands captivant bien qu’un chouïa trop désordonné, le groupe est enfin de retour. Et quel retour !

Fondamentalement la musique d’A Shape n’a pas énormément changé, ses façons de faire non plus. On remarquera juste qu’Iron Pourpre a été enregistré avec un seul guitariste (je crois qu’Emmanuel Bœuf d’Echoplain, Emboe et Sons Of Frida a en fait quitté le groupe peu de temps après l’enregistrement d’Inlands), qu’Anthony Serina a remplacé Tanguy Delaire derrière la batterie tandis que Philippe Thiphaine d’Heliogabale fait une apparition et que Quentin Rollet (Prohibition, Melmac, Red, etc.) est invité sur près de la moitié des titres, ceux de la face B du disque. Si le bleu-gris ténébreux qui envahissait la magnifique pochette d’Inlands dissimulait à peine l’incandescence explosive d’une musique très mouvante et aux volumes imposants, il n’y aura pas d’équivoques au sujet d’Iron Pourpre et de sa pochette gatefold d’un rouge à la fois sombre et enflammé. Comme si désormais, après avoir défriché, élagué et réassemblé ses idées, A Shape assumait plus que jamais la force vitale qui jaillit constamment de sa musique. Et puis, après tout, le rouge n’est-il pas la couleur de la passion ?

 



De la passion, Iron Pourpre en est rempli jusqu’à la gueule. Une passion dévorante qui prend la forme d’une guitare acérée et généreusement piquante (Eric Pasquiet), d’une basse très présente (Matt Le Bon), le tout couronné par une batterie imaginative. Jusque là on tient presque le descriptif très généraliste et à peu près commun de tout groupe de noise-rock qui se respecte, option sauvagerie des sens et noblesse indomptée. Sauf qu’A Shape n’est pas un groupe de noise comme les autres, dépassant les catégorisations, envoyant balader les codes et les définitions, préférant jouer sa musique à lui, comme un jaillissement d’électricité et de feu, fracassant les barrières et les résistances, déversant sa violence, exerçant un pouvoir d’attraction peu commun, créant puis trouvant provisoirement sa place au milieu d’un immense cyclone sonique avant de reprendre son souffle et de refoncer au milieu des vents contraires et des bourrasques à rebrousse-poils, pour recommencer aussitôt.
Iron Pourpre
offre peu voire aucun répit, au moins sur les cinq titres de sa première face durant lesquels A Shape n’arrête jamais, sa musique sonnant plus que jamais comme un incessant tumulte, portant le chant d’une Sasha Andrès (Heliogabale, bien sûr) sans cesse sur le fil, d’un lyrisme parfois étranglé, à la limite de la possession, hurlant et hululant ses mots crus, ses mots de rage et ses mots d’amour, zigzagant, montant en flèche pour redescendre encore plus vite et – là encore – recommencer. Exactement comme la musique, donc.
L’apparition du saxophone de Quentin Rollet ne change pas trop la donne, au moins sur Lungs et l’incroyablement beau et fort Vertical Flex*, rajoutant juste ce qu’il faut de lyrisme et de profondeur. La fin du disque, d’apparence plus apaisée, plus lente et moins frénétique, n’en est pourtant pas moins intense (le final ascensionnel de Thrist Trip) mais apporte un supplément de nuances, dessinant de nouvelles ondulations : le cramoisi se pare d’un peu de froid, le rouge vire à l’obscurité, mais le feu est toujours là, à peine recouvert, jamais éteint et il brûle, il nous brûle, toujours plus, mais jamais suffisamment pour nous empêcher de le regarder en face et de nous emporter avec lui.

[Iron Pourpre est publié en vinyle à deux cent exemplaires numérotés par Araki records et Jelodanti]

 

* seul titre du disque dont les paroles n’ont pas été écrites en anglais mais en hindi (non ?)

 

 

 

vendredi 2 octobre 2020

Satan / Toutes Ces Horreurs

 

SATAN est un groupe qui ne fait rien comme les autres. Ce qui en soit peut être considéré comme un véritable petit exploit non seulement parce que nous sommes en 2020, que le monde musical est devenu complètement consanguin depuis quelques années, chacun copiant le voisin de l’autre, mais surtout parce que Satan est, pour le dire très vite, un groupe de black metal. Mais un groupe de black qui joue son propre truc, à la punk – Satan parle de « possessed punk » – autrement dit le groupe fait une musique très personnelle et exacerbée alors qu’elle tire ses racines dans des genres particulièrement définis, codés et identifiables, la plaie de notre monde post-moderne qui aime tellement contempler son reflet.
Mais je devrais plutôt employer le passé, le groupe ayant annoncé qu’il arrêtait ses activités suite aux départs du bassiste Michael Simon et du guitariste Hugo Muin, ce qui fait quand même beaucoup mais démontre, s’il en était encore besoin, que ces quatre garçons ne faisaient pas semblant et surtout le faisaient ensemble. Toutes Ces Horreurs est donc une sorte d’album testamentaire. Et l’ultime concert de Satan auquel je devais assister aurait du avoir lieu au mois de mars dernier, quelques jours à peine après le début du premier confinement… Tant pis et je ne suis pas triste : j’ai vu de très grands concerts du groupe, des moments très forts – je me rappelle entre autres de celui donné à L’Oblik, défunt squat lyonnais. 

 


 

Toutes Ces Horreurs, voilà un titre d’album qui ne laisse guère place au doute. Et du doute il n’y a pas non plus lorsqu’on découvre le très étonnant Confiture Pour Cochons, sorte de poème pas si extravagant que cela, agrémenté par les couinements du saxophone de Ben Sim soulignant un texte de Léo Vittoz que l’on peut prendre comme une déambulation poétique et surréaliste mais qui constitue une véritable déclaration esthétique et politique : tout ce qui nous semble si joli et si propre est en fait tellement laid et tellement sale et nous, nous sommes encore plus laids et encore plus sales. A l’opposé et dernière plage du disque, Lève-Toi Et Rampe fait le ménage : ce titre atmosphérique et mystérieux enregistré en compagnie de deux membres de Picore – Frédéric Juge, batteur de Satan, a joué dans ce groupe dont je ne sais pas s’il existe encore – pourrait casser l’ambiance mais il résonne assez lourdement, en fait je me demande toujours s’il n’a pas été inclus à la fin du disque comme pour signifier un coup d’arrêt, comme si le groupe avait décidé depuis longtemps qu’il allait tout stopper.
Entre ces deux extrêmes – la déclaration d’intention de Confiture Pour Cochons et le final en queue de poison* de Lève-Toi Et RampeSatan poursuit sur la lancée de son précédent album, le magnifique, amer et corrosif Un Deuil Indien, délaissant encore un peu plus son côté punk/crust, accentuant toujours davantage son côté black mais sans jamais se renier (les chœurs très oï de Zone D’Inconfort). Le groupe joue toujours aussi vite, avec une technique d’autant plus ahurissante qu’on parvient sans peine à l’oublier, les riffs sont toujours aussi destructeurs, le chaos fait toujours figure de grand leitmotiv (des fois au sens propre, comme sur L’Ennemi Déclaré) et la musique de Satan garde sa rage intacte (Le Sang Des Bêtes, très impressionnant) y compris lorsque le groupe joue les prolongations sur le morceau-titre, ce qui lui va très bien et démontre qu’il avait encore plus d’un tour dans son sac. Je ne pourrai pas oublier 
Satan ni oublier son entièreté et cette volonté exceptionnelle bien éloignée de celle d’une musique violente et viscérale uniquement pour le plaisir de l’être, cette rage qui signifiait réellement quelque chose, cette aigreur qu’il fallait impérativement faire sortir, ces compositions qui mine de rien ont tenté de donner aux musiques extrêmes rabâchées de nouvelles significations. Je vais continuer à aimer Satan. Très fort.

 

[Toutes Ces Horreurs est publié en vinyle par Amertume, Croux records, Deaf Death Husky records, Itawak, Jungle Khôl, Lilith records et Throatruiner records]

 

* non ceci n’est pas une coquille