vendredi 16 octobre 2020

Shifting / It Was Good


Tiens, pour la peine, encore un groupe de noise-rock : SHIFTING nous vient d’Irlande (Dublin) et je ne peux que remercier mon petit camarade / vendeur de disques qui un jour m’a incité à écouter It Was Good, publié à la toute fin de ce mois d’aout 2020. Lui-même se l’était fait conseiller par un autre camarade qui en avait entendu parler, blah blah blah, via un musicien de sa connaissance qui avec son propre groupe avait partagé l’affiche avec Shifting, lors d’un lointain concert, etc. Ouais les concerts deviennent tellement lointains, maintenant… – je veux parler des vrais concerts, ceux où on transpire, où on peut se bourrer la gueule et consommer de la drogue sans se faire jeter par un vigile d’une société de sécurité et où on a le droit d’hurler ses postillons et de se faire marcher sur les pieds par la personne d’à côté dans la joie et la bonne humeur, pas des concerts où on est obligé de rester bien sagement le cul assis sur une chaise totalement inconfortable, à bonne distance de toutes les autres âmes en peine. 
Mais je crois que j’aurais malgré tout fini par entendre parler de ce It Was Good puisqu’il a été publié grâce aux efforts conjoints de quelques labels de par ici et dont les productions ont déjà trouvé quelques échos favorables dans cette gazette. Au milieu de ce magnifique plateau hexagonal de fromages qui puent il n’y a que Constant Disappointment records qui détonne un peu. Il s’agit d’un label américain encore tout jeune (début d’activité : printemps 2017 me semble t-il), au sujet duquel je ne sais presque rien mais je ne peux pas résister au plaisir intense de vous faire part de son credo très personnel : « Label from Massachusetts that will not release your band’s record ». Inutile de dire que j’apprécie plus que tout ce genre d’humour.

 


 

Shifting est un trio. Paul Clynes à la guitare, Matt Hedigan à la basse et Lewis Hedigan à la batterie (seraient-ils frères ?). Si j’en crois mes petites oreilles, les deux premiers se partagent le chant. Le guitariste a la voix plus lisse bien que très énervée ; le bassiste a la voix plus rauque et abrasive. Et puis il y a le son du groupe : une rythmique tendue comme une fin de mois difficile, avec une batterie qui frappe sec et une basse imposante et qui ne bave pas ; une guitare qui déchire, cisaille, casse et pourfend froidement. En fermant les yeux et sans réfléchir plus que cela j’aurais tout de suite affirmé que Shifting était originaire de Chicago et alentours, soit la scène noise dans tout ce qu’elle peut avoir de plus aride et de plus acéré et dont les héritiers actuels se nomment Buildings (certes de Minneapolis) ou même Luggage. Mais Shifting est bien un groupe de Dublin, juste à quelques milliers de kilomètres de la ville des vents et sûrement ces gens-là se foutent-ils complètement de toutes ces histoires de territoires, de catégorisations et de figures imposées. Comme moi.
La preuve en est que la musique du trio est très loin d’être unidimensionnelle et It Was Good se révèle bien plus varié et détaillé qu’on pourrait le croire au départ. Derrière les locomotives-vapeur que sont Spudgasm et Big Ed, Shifting se paie le luxe de quelques coquetteries bien senties, à commencer par le plus intrusif et subtilement vicieux Polo Neck Dream, le tourmenté (et pièce maitresse de l’album) Pig From Heaven, le froid et distant Big Bottle ou le sombre Little Pal. Ce qui peut faire dire que Shifting fait définitivement partie des bons groupes de noise et non pas des simples suiveurs et vils copieurs c’est la faculté du trio à dévier doucement mais surement des tournures idiomatiques du genre pour imposer un souffle d’étrangeté très personnelle, au fur et à mesure que le disque avance. Il est donc faux d’affirmer que It Was Good s’essouffle peu à peu et à l’inverse je trouve que le disque gagne en force de persuasion et en originalité petit à petit, plaçant Shifting dans le peloton de tête des groupes de noise-rock avec lesquels il convient désormais de compter.

[It Was Good est publié en vinyle par Assos’Y’Song, Constant Disappointment records, Gabu records, les Disques Du Permafrost et Whosbrain records]