mardi 13 octobre 2020

Idles / Ultra Mono

 

Maintenant que la tempête médiatique de louanges sans modération est passée je vais enfin pouvoir m’en donner à cœur joie. Mais en fait non, pas tant que ça. En guise d’introduction je rappellerai juste que les anglais d’IDLES sont devenus en à peine deux ou trois années les nouvelles coqueluches punk des post ados attardés amateurs de gros rock qui tâche mais aussi parfois de leurs parents qui trouvent que cette révolte énergique en mode compassionnel est finalement plutôt sympathique, en tous les cas tellement acceptable. Pas la moindre petite trace de subversion à l’horizon mais à la place une sorte de consensus mou très dans l’air du temps, celui d’un monde encore privilégié et qui continue de s’accrocher à tout ce qui lui reste encore, tout en faisant mine de vouloir le partager.
Mais parlons musique. Brutalism (2017) est un bon disque de punk-noise à l’anglaise, trublion comme il faut mais pas dangereux pour deux sous ; Joy As An Act Of Resistance (2018) propose exactement la même chose que son prédécesseur mais en carrément moins bien, sans doute ce deuxième album a-t-il été publié beaucoup trop tôt ; le double live A Beautiful Thing : Idles Live At Le Bataclan est tellement mauvais passable et inutile que je n’arriverais même pas à parler d’incongruité à son sujet. Et voilà que débarque Ultra Mono, troisième album d’Idles, toujours chez Partisan records, un label qui s’y connait en marketing puisqu’il a quand même réussi à monter en épingle des groupes à la limite de l’abominable (Cigarettes After Sex) ou simplement décevants (Pottery) mais qui a aussi le nez creux : par exemple le deuxième album de Fontaines D.C. est une vraie petite réussite.

 


 

La première – et grosse – bonne idée au sujet d’Ultra Mono est d’élargir la palette sonore d’Idles avec une pléiade d’invités, certains se retrouvant sur quasiment la moitié des titres de l’album : Colin Webster, génial et trop méconnu saxophoniste anglais issu de la scène free jazz / expé et David Yow (oui, on parle bien de l’ancien chanteur de Jesus Lizard). On note également la présence de Warren Ellis (Dirty Three, les Bad Seeds de Nick Cave), celles du pianiste/chanteur Jamie Cullum et de Jehnny Beth (chanteuse de Savages). Mais l’intervention la plus marquante reste celle, judicieusement dosée, du producteur de hip-hop Kenny Beats. Idles a donc décidé de ratisser très large mais étonnamment Ultra Mono n’a rien d’un fourre-tout protéiné et au contraire possède cette cohérence qui manquait tant à un Joy As An Act Of Resistance parsemé de trous d’air impardonnables, le tout en renouvelant une partie des recettes musicales mises en place avec Brutalism. L’inconvénient du disque pourrait provenir de son éventuelle absence de titres-phares et autres emblèmes, de tubes pseudo révoltés pour faire hurler les foules en chœur pendant les concerts, mais ce serait faire un faux procès à un album qui au contraire a tout à gagner d’une telle constance – remarque : dans le genre tube pour hipsters et autres kooples Mr Motivator fait toutefois parfaitement le boulot. Même lorsque Idles ralentit considérablement le rythme en fin de disque, d’abord sur le quasi electro Reigns puis avec le mid-tempo gouailleur The Lover et le presque crépusculaire A Hymn la tension (l’attention) ne faiblit pas.
Suis-je en train d’écrire qu’Ultra Mono est, musicalement parlant, un bon disque ? Oui, effectivement, bien que certains tics de langage d’Idles y soient toujours trop présents – beaucoup trop de chœurs et malgré tout trop de tentations fédératrices, comme sur le très moyen Carcinognic – et bien que le chant de Joe Talbot apparaisse toujours aussi limité (le problème ne réside pas dans les limites du chanteur mais dans le fait de le mettre trop en avant dans le mix). Mais en parlant de mix, celui d’Ultra Mono, tout en ayant recours à certaines facilités, sonne bien mieux équilibré que ceux de tous les autres enregistrements du groupe et permet notamment de beaucoup mieux entendre les deux guitares et d’apprécier les nettes avancées de Mark Bowen dont les positions d’équilibriste et les divers solos parfois dissonants ne peuvaient qu’attirer mon oreille de vieux noiseux rabat-joie. Bowen est également intervenu au niveau de la production d’Ultra Mono aux côtés des vieux briscards multi-médaillés Adam Greenspan et Nick Launey, des habitués des succès commerciaux mais dont les tableaux de chasse sont pour le moins contrastés (pour ce dernier cela va quand même de Birthday Party à Inxs… ahem). Peut-être serait-il souhaitable qu’un jour Mark Bowen produise tout seul comme un grand un album de son groupe, loin de toute intervention parasitaire. Cela permettrait à Idles de trouver vraiment toute la sincérité que le groupe revendique tellement fort et dont souvent il ne fait que s’éloigner à force, je n’en doute pas une seule seconde, de trop vouloir bien faire. Encore une fois tout cet argumentaire ne concerne que la musique du groupe et absolument pas tout ce qu’il y a autour – les textes ni les opinions très affirmées de John Talbot et de ses petits camarades – bien que le prêchi-prêcha m’emmerde toujours un peu. Oui, je fais la fine bouche.