Il y a bien longtemps que je ne m’étais intéressé à un projet de Ben Greenberg. Pourtant à une époque j’avais souvent son nom à la bouche, le bonhomme figurant parmi les musiciens new-yorkais les plus intéressants que je connaisse, que ce soit au sein de Zs (en remplacement de Charlie Looker à la guitare et participant en 2010 à l’enregistrement de l’album New Slaves) ou de Pygmy Shrews (seulement deux LP au compteur…) et sauvant provisoirement The Men du naufrage après le départ du bassiste Chris Hansel. On connait également Greenberg pour son travail d’ingénieur du son et de producteur via son studio Python Patrol, mettant en boite nombre de productions du label Sacred Bones. Son alter ego au sein de UNIFORM n’est autre que Michael Berdan, auparavant chanteur de Drunkdriver, encore un groupe à l’existence beaucoup trop éphémère et responsable de deux de mes disques préférés de la première décennie de ce putain de millénaire – Born Pregnant en 2008 et un monstrueux second album sans titre en 2010. Uniform a existé sous la forme d’un duo depuis le début des années 2010 avant de recourir à l’assistance d’un batteur (Greg Fox, ex-Liturgy et actuel Zs, a joué sur l’album The Long Walk en 2018) ou de s’associer à un autre duo, les affreux The Body. Cette présentation est peut-être un peu longue et elle ne sert à expliquer qu’une seule chose : Uniform est un groupe issu du sérail… car avec Greenberg et Berdan on est en plein dans le microcosme de la scène noise / expé / indus-arty new-yorkais, ces deux là ont côtoyé beaucoup de musiciens en commun – par exemple le batteur Jeremy Villalobos a joué à la fois dans Pygmy Shrews et dans Drunkdriver – et ils se sont croisés un nombre incalculable de fois avant de jouer ensemble.
Shame
est déjà le troisième album de Uniform.
Je ne compte pas les deux enregistrements en compagnie de The Body, en
particulier Everything That Die Someday
Comes Back paru à l’été 2019, pourtant, et malgré toutes les réticences que
je peux avoir à l’encontre du groupe formé par Chip King et Lee Buford, j’ai
toujours préféré les disques de Uniform accompagné
de ce duo de Portland à ceux enregistrés en solitaire. Je ne suis pas loin de
penser non plus que cette rencontre / collaboration a été plus que décisive
dans l’évolution de la musique de Greenberg et Berdan.
Avec Shame les deux musiciens ont
décidé de placer la barre encore plus haut que tout ce qu’ils ont enregistré
précédemment. Ne pouvant définitivement plus se passer de batteur, c’est un
certain Mike Sharp qui désormais occupe ce poste, après les très expérimentés
Greg Fox et Lee Buford. Sharp n’est pas n’importe qui non plus : il a joué
avec Trap Them ou Hatred Surge, c’est-à-dire que c’est un vrai musicien de
hardcore métallisé et que sa patte a vraisemblablement influencé l’écriture de Shame, un album beaucoup plus technique
et complexe qu’auparavant et surtout un disque écrit à trois (hormis les
paroles qui sont restées l’apanage du seul Michael Berdan). Et que l’on ne s’y
trompe pas : ce n’est pas parce que Delco,
placé en ouverture du disque, démarre sur un rythme tribal que Uniform va nous resservir exactement la
même chose que sur les autres titres du disque... avant il aurait été bien difficile
d’imaginer Uniform composer et
enregistrer un I Am The
Cancer qui dans sa première partie défouraille façon hardcore avant de
virer sludge industriel dans la seconde.
Désormais le
groupe voit donc les choses en beaucoup plus grand et en plus épais, Shame bénéficiant d’un son très
impressionnant de par son ampleur et sa puissance et les compositions devenant
beaucoup plus évidentes, mémorisables et… catalogables. Les bidouilles
malsaines et autres éléments indus/bruitistes ne sont plus qu’accessoires et
tout repose sur un chant toujours blindé d’effets mais en forte progression,
une batterie maitresse du jeu et une guitare aux riffs moins basiques et aux
sonorités plus travaillées. Bien sûr il reste quelques passages où on retrouve une
partie du Uniform d’avant comme sur
le final de The Shadow of God’s Hand
ou celui de Life In Remission mais il
s’agit surtout pour Uniform de
trouver et de replacer des portes de sortie habituelles ou des tuyaux
d’évacuation à des compositions dont on sent parfois que sans ça le groupe
n’aurait pas réellement trop su comment les terminer. Par contre, lorsque Uniform sait réellement où il va, cela
donne le morceau titre, son ambiance lancinante et sa structure bien moulée, ou
le très classique All We’ve Ever Wanted
qui ne surprendra pas par son originalité tout en restant très efficace. Une
efficacité qui est le nouveau maitre-mot d’un groupe et d’un album qui aurait
gagné à être un peu plus bordélique, à l’image de l’excellent This Won’t End Well. Pour tout dire je
trouve le résultat final de Shame un
peu trop froid et un peu trop pensé bien que fort divertissant, ce qui est peut
être un comble pour un disque aux ambitions aussi darkos… Shame ne sera donc pas le chef d’œuvre de Uniform, juste un bon disque d’honnête facture, ce qui n’est
déjà pas si mal.
[Shame est publié en vinyle – choisis ta couleur camarade, parce qu’il y en a plusieurs – et en CD par Sacred Bones]