lundi 5 octobre 2020

A Shape / Iron Pourpre


Affirmons-le tout de suite : Iron Pourpre fait partie de ces disques difficiles mais qui ne vous lâchent pas. Soit on rejette immédiatement cette musique magmatique, intense, viscérale et exigeante, soit on se fait attraper et on rentre complètement dedans pour ne plus en sortir. Avec A SHAPE c’est donc du tout ou rien. Et plus de trois ans après un Inlands captivant bien qu’un chouïa trop désordonné, le groupe est enfin de retour. Et quel retour !

Fondamentalement la musique d’A Shape n’a pas énormément changé, ses façons de faire non plus. On remarquera juste qu’Iron Pourpre a été enregistré avec un seul guitariste (je crois qu’Emmanuel Bœuf d’Echoplain, Emboe et Sons Of Frida a en fait quitté le groupe peu de temps après l’enregistrement d’Inlands), qu’Anthony Serina a remplacé Tanguy Delaire derrière la batterie tandis que Philippe Thiphaine d’Heliogabale fait une apparition et que Quentin Rollet (Prohibition, Melmac, Red, etc.) est invité sur près de la moitié des titres, ceux de la face B du disque. Si le bleu-gris ténébreux qui envahissait la magnifique pochette d’Inlands dissimulait à peine l’incandescence explosive d’une musique très mouvante et aux volumes imposants, il n’y aura pas d’équivoques au sujet d’Iron Pourpre et de sa pochette gatefold d’un rouge à la fois sombre et enflammé. Comme si désormais, après avoir défriché, élagué et réassemblé ses idées, A Shape assumait plus que jamais la force vitale qui jaillit constamment de sa musique. Et puis, après tout, le rouge n’est-il pas la couleur de la passion ?

 



De la passion, Iron Pourpre en est rempli jusqu’à la gueule. Une passion dévorante qui prend la forme d’une guitare acérée et généreusement piquante (Eric Pasquiet), d’une basse très présente (Matt Le Bon), le tout couronné par une batterie imaginative. Jusque là on tient presque le descriptif très généraliste et à peu près commun de tout groupe de noise-rock qui se respecte, option sauvagerie des sens et noblesse indomptée. Sauf qu’A Shape n’est pas un groupe de noise comme les autres, dépassant les catégorisations, envoyant balader les codes et les définitions, préférant jouer sa musique à lui, comme un jaillissement d’électricité et de feu, fracassant les barrières et les résistances, déversant sa violence, exerçant un pouvoir d’attraction peu commun, créant puis trouvant provisoirement sa place au milieu d’un immense cyclone sonique avant de reprendre son souffle et de refoncer au milieu des vents contraires et des bourrasques à rebrousse-poils, pour recommencer aussitôt.
Iron Pourpre
offre peu voire aucun répit, au moins sur les cinq titres de sa première face durant lesquels A Shape n’arrête jamais, sa musique sonnant plus que jamais comme un incessant tumulte, portant le chant d’une Sasha Andrès (Heliogabale, bien sûr) sans cesse sur le fil, d’un lyrisme parfois étranglé, à la limite de la possession, hurlant et hululant ses mots crus, ses mots de rage et ses mots d’amour, zigzagant, montant en flèche pour redescendre encore plus vite et – là encore – recommencer. Exactement comme la musique, donc.
L’apparition du saxophone de Quentin Rollet ne change pas trop la donne, au moins sur Lungs et l’incroyablement beau et fort Vertical Flex*, rajoutant juste ce qu’il faut de lyrisme et de profondeur. La fin du disque, d’apparence plus apaisée, plus lente et moins frénétique, n’en est pourtant pas moins intense (le final ascensionnel de Thrist Trip) mais apporte un supplément de nuances, dessinant de nouvelles ondulations : le cramoisi se pare d’un peu de froid, le rouge vire à l’obscurité, mais le feu est toujours là, à peine recouvert, jamais éteint et il brûle, il nous brûle, toujours plus, mais jamais suffisamment pour nous empêcher de le regarder en face et de nous emporter avec lui.

[Iron Pourpre est publié en vinyle à deux cent exemplaires numérotés par Araki records et Jelodanti]

 

* seul titre du disque dont les paroles n’ont pas été écrites en anglais mais en hindi (non ?)