vendredi 2 octobre 2020

Satan / Toutes Ces Horreurs

 

SATAN est un groupe qui ne fait rien comme les autres. Ce qui en soit peut être considéré comme un véritable petit exploit non seulement parce que nous sommes en 2020, que le monde musical est devenu complètement consanguin depuis quelques années, chacun copiant le voisin de l’autre, mais surtout parce que Satan est, pour le dire très vite, un groupe de black metal. Mais un groupe de black qui joue son propre truc, à la punk – Satan parle de « possessed punk » – autrement dit le groupe fait une musique très personnelle et exacerbée alors qu’elle tire ses racines dans des genres particulièrement définis, codés et identifiables, la plaie de notre monde post-moderne qui aime tellement contempler son reflet.
Mais je devrais plutôt employer le passé, le groupe ayant annoncé qu’il arrêtait ses activités suite aux départs du bassiste Michael Simon et du guitariste Hugo Muin, ce qui fait quand même beaucoup mais démontre, s’il en était encore besoin, que ces quatre garçons ne faisaient pas semblant et surtout le faisaient ensemble. Toutes Ces Horreurs est donc une sorte d’album testamentaire. Et l’ultime concert de Satan auquel je devais assister aurait du avoir lieu au mois de mars dernier, quelques jours à peine après le début du premier confinement… Tant pis et je ne suis pas triste : j’ai vu de très grands concerts du groupe, des moments très forts – je me rappelle entre autres de celui donné à L’Oblik, défunt squat lyonnais. 

 


 

Toutes Ces Horreurs, voilà un titre d’album qui ne laisse guère place au doute. Et du doute il n’y a pas non plus lorsqu’on découvre le très étonnant Confiture Pour Cochons, sorte de poème pas si extravagant que cela, agrémenté par les couinements du saxophone de Ben Sim soulignant un texte de Léo Vittoz que l’on peut prendre comme une déambulation poétique et surréaliste mais qui constitue une véritable déclaration esthétique et politique : tout ce qui nous semble si joli et si propre est en fait tellement laid et tellement sale et nous, nous sommes encore plus laids et encore plus sales. A l’opposé et dernière plage du disque, Lève-Toi Et Rampe fait le ménage : ce titre atmosphérique et mystérieux enregistré en compagnie de deux membres de Picore – Frédéric Juge, batteur de Satan, a joué dans ce groupe dont je ne sais pas s’il existe encore – pourrait casser l’ambiance mais il résonne assez lourdement, en fait je me demande toujours s’il n’a pas été inclus à la fin du disque comme pour signifier un coup d’arrêt, comme si le groupe avait décidé depuis longtemps qu’il allait tout stopper.
Entre ces deux extrêmes – la déclaration d’intention de Confiture Pour Cochons et le final en queue de poison* de Lève-Toi Et RampeSatan poursuit sur la lancée de son précédent album, le magnifique, amer et corrosif Un Deuil Indien, délaissant encore un peu plus son côté punk/crust, accentuant toujours davantage son côté black mais sans jamais se renier (les chœurs très oï de Zone D’Inconfort). Le groupe joue toujours aussi vite, avec une technique d’autant plus ahurissante qu’on parvient sans peine à l’oublier, les riffs sont toujours aussi destructeurs, le chaos fait toujours figure de grand leitmotiv (des fois au sens propre, comme sur L’Ennemi Déclaré) et la musique de Satan garde sa rage intacte (Le Sang Des Bêtes, très impressionnant) y compris lorsque le groupe joue les prolongations sur le morceau-titre, ce qui lui va très bien et démontre qu’il avait encore plus d’un tour dans son sac. Je ne pourrai pas oublier 
Satan ni oublier son entièreté et cette volonté exceptionnelle bien éloignée de celle d’une musique violente et viscérale uniquement pour le plaisir de l’être, cette rage qui signifiait réellement quelque chose, cette aigreur qu’il fallait impérativement faire sortir, ces compositions qui mine de rien ont tenté de donner aux musiques extrêmes rabâchées de nouvelles significations. Je vais continuer à aimer Satan. Très fort.

 

[Toutes Ces Horreurs est publié en vinyle par Amertume, Croux records, Deaf Death Husky records, Itawak, Jungle Khôl, Lilith records et Throatruiner records]

 

* non ceci n’est pas une coquille