lundi 30 avril 2018

Whoresnation / Mephitism


Il est là, il est enfin arrivé, tout, tout beau dans sa pochette à l’artwork vraiment splendide (avec les noms du groupe et du disque sur-imprimés en transparence), sa pochette intérieure soignée elle aussi (chouette illustration, paroles, photo), son vinyle couleur de pisse avariée (officiellement : « beer color »)… il s’appelle Mephitism et c’est le nouvel album des infernaux Whoresnation. Le deuxième seulement après un autre long 12’ sans titre publié en 2012 mais le groupe de Besançon ne s’est jamais montré avare, pour preuve le nombre conséquent de compilations auxquelles il a participé, de cassettes qu’il a publiées, de EPs qu’il a enregistrés ou de splits qu’il a partagés durant toutes ses dernières années (avec entre autres : Doomsisters, Satan, Archagatus, etc).

Mephitism : les dictionnaires médicaux nous indiquent que le méphitisme est « la corruption de l'air par l’utilisation de gaz irrespirables  susceptibles d’entraîner sur un organisme humain ou animal une action nocive immédiate ». Lorsque tu balances des boules puantes dans ta cour de récré tu pratiques le méphitisme ; lorsque tu pètes le matin au réveil tout en te grattant ta zone pilifère préférée également ; et ne parlons même pas des dirigeants et décideurs de ce monde formidable et agonisant qui nous balancent quotidiennement à la gueule des décisions puantes sous couvert d’idéologies nauséabondes et pour le moins arbitraires. C’est même sur ce dernier terrain qu’il faut aller chercher le sens de la musique et des paroles de Whoresnation, groupe révolté qui a décidé de ne rien lâcher et que son pouvoir de nuisance – au moins musicale – serait bien plus toxique et plus fort que le reste.





Sombre et abrupte le grindcore de Whoresnation l’est assurément. Au rayon déculottée Mephitism est même la meilleure chose entendue  puis écoutée attentivement depuis bien longtemps alors que le grindcore, tout le monde connait par cœur – certains ne bouffent même que de ça matin, midi et soir – et bien que les nuances et subtilités (si si… ) entre Makinator et Guerrencule peuvent sembler infimes et donc prétexte à d’interminables discussions entre fins connaisseurs en violence musicale métallo-compatible. Moi je n’y connais rien en grind mais j’adore cette musique même si ces dernières années j’ai souvent eu à regretter l’uniformisation des enregistrements et des productions – le phénomène touche également le hardcore U.S., suivez mon regard. Finalement, le grindcore n’est peut-être qu’une musique pour les concerts avec taloches dans la gueule, coups de pieds au fondement et défoulement auditif à la clef. 

Whoresnation nous prouve que non avec Mephitism, album sombre et viscéral, très compact et brutalement habité, signifiant mais pas barbant. Un brulot qui fait oublier dès l’intro très classique du disque que si Whoresnation n’a pas l’intention de briller par une originalité flagrante, utilise des riffs et des structures parfaitement identifiables et identifiées, ne propose pas de relecture du truc – comme par exemple les grenoblois de Satan ont pu le faire du black metal avec leur album Un Deuil Indien –, le groupe possède une personnalité entière et bien à lui.
Et puis, j’y reviens, Mephitism développe un son qui résiste plutôt bien aux  contraintes technologiques modernes du genre, celles qui mettent la batterie tellement en avant et de façon tellement métronomique qu’écouter une boite-à-rythmes hystérique surmixée et étouffant tout le reste reviendrait au même. Au contraire Mephitism sent, voire pue comme pas deux. Les trois Whoresnation transpirent et cela s’entend ici, depuis la guitare qui tronçonne en mode sulfateuse en passant pas la batterie certes impressionnante de régularité et de puissance mais humaine et la voix qui me ravit parce qu’elle m’évoque plus les hurlements d’un ours affamé qui dégueule de colère qu’un cochon en train de se faire émasculé par une trayeuse électrique. Mephitism est un disque enragé dans tous les sens du terme et un disque de grind comme je les aime et aimerais en découvrir (un peu) plus souvent.

[Mephitism comporte vingt titres, dure vingt minutes, tourne en 45 tours et a été publié par Throatruiner records et  Deaf Death Husky records]

samedi 28 avril 2018

Comme à la radio : Monotrophy







Répétitivité des motifs de la guitare et des schémas rythmiques : MONOTROPHY n’est pas qu’un simple duo qui aurait consciencieusement tout assimilé du math rock et surtout du kraut. Au contraire des concerts où les deux musiciens restent physiquement dans la statique et la retenue (et parfois même dans la pénombre !) la musique de Monotrophy est mouvante et ascensionnelle, toujours dans la subtilité mais avec une détermination voire un acharnement qui lui confère une force d’attraction particulièrement envoutante.






Micas est une cassette deux titres qui vient tout juste de paraitre chez S.K. records. La jaquette très réussie a été dessinée et sérigréphiée par Félicité / Brigade Cinéphile.
La dernière fois que S.K. records avait publié une cassette il s’agissait de la démo de Noyades. Depuis le label a coproduit le premier album du groupe, très apprécié par ici – je ne doute pas une seule seconde que Monotrophy prendra à son tour le même chemin. A suivre […]

jeudi 26 avril 2018

mercredi 25 avril 2018

Veuve S.S. / Traîtres À Tout


Le 11 avril 2015 les infâmes VEUVE S.S. donnaient un ultime concert dans un Aquaboulevard DIY situé quelque part dans une zone déshéritée au delà du périphérique de l’Est lyonnais. L’émotion était à son comble et le concert fut bien sûr pétaradant, décomplexé, crade et jouissif malgré quelques regrets légitimes de voir disparaitre un tel groupe… Disparaitre ? Vraiment ? Oui. En tous les cas c’est ce qui avait alors été annoncé, Veuve S.S. étant contraint de se séparer après le départ de son chanteur pour cause de déménagement pour le cher pays de son enfance. Ce n’était donc pas qu’un simple au revoir (les gars), même si les Veuve S.S. ont malgré tout refait une apparition quasi obligatoire plus tard, en septembre 2016 pour les 15 ans du label Destructure.
Et puis surtout il y avait dans l’air cette idée d’effectuer un enregistrement posthume pour donner un semblant de vie éternelle à toutes les compositions dont le groupe n’avait jamais eu le temps de s’occuper avant. De quoi même enregistrer tout un album bien chargé comme un spliff de weed tassé à la marjolaine. Si on y regarde de plus près, Veuve S.S. n’avait jusqu’ici jamais sorti de LP mais une foultitude de splits et de EPs. Il était donc grand temps. 




Finalement enregistré – avec un batteur de remplacement* – en deux jours durant le mois de mars 2017, Traîtres À Tout a mis beaucoup de temps à voir le jour. Douze titres** de hardcore dégueulasse et sombre en forme de vomi écœurant. Un vrai chant d'adieu sous le signe de la rage et de la colère, des compositions jamais prévisibles pour cause de structures pas linéaires de trop (chose plus que bienvenue pour ce genre de musique), une guitare qui mitraille des riffs découpant les chairs à vif, un chant qui dégueule constamment, quelques rares bidouilles ou percussions additionnelles qui rajoutent encore un peu plus de bordel inquiétant et une rythmique particulièrement bien en place. C’est même ce qui frappe en tout premier à l’écoute de Traîtres À Tout : pour la première fois sur un enregistrement de Veuve S.S. on peut entendre distinctement et clairement les lignes de basse, effet absolument pas négligeable donnant encore plus de puissance et de ténacité à la musique de groupe mais sans rien enlever à son côté boueux, cruel, poisseux et charognard***.
Traîtres À Tout a donc tout du disque qui se mérite. Jusque dans les moindres détails : sa pochette est collée sur ses quatre côtés et pour en extraire le disque il n’y a que deux solutions, soit être un adepte sadique du scalpel et pratiquer une fine incision, soit être un bourrin et déchirer tout ça, après tout le plus important c’est la musique. Pourtant, en plus de cette blague qui m’a fait énormément rire, Veuve S.S. a comme d’habitude apporté un soin tout particulier à la présentation de Traîtres À Tout. Bel artwork, pochette et insert entièrement sérigraphiés – encore une fois la recherche esthétique de l’objet est en complète opposition avec la cradeur volcanique de la musique. Traîtres À Tout est peut-être l’ultime témoignage de Veuve S.S. mais il s’agit sans aucun doute possible du meilleur disque du groupe. Sans parler des textes bilieux et chargés de noirceur que, pour une meilleure et indispensable compréhension, on s’empressera de lire sur l’insert (fort heureusement ils sont aussi disponibles sur le net via la page b*ndc*mp du groupe).

[cette chronique reste malgré tout complètement inutile : pour des raisons totalement absurdes et sur lesquelles je n’ai pas envie de revenir Traîtres À Tout n’a été pressé qu’à cent exemplaires par le label Nerdcore records – alors autant dire qu’il est depuis longtemps épuisé]

* celui qui finalement joue sur Traîtres À Tout n’est autre que Oli, batteur de Death To Pigs, Malaïse, Zone Infinie, etc.  
** en fait non : un treizième titre se cache à la fin de la deuxième face du disque, après une plage vide – pour écouter celui-ci il faut faire sauter la tête de lecture de son tourne-disque pour retrouver le sillon enregistré et se prendre en pleine poire une dernière déflagration de rage et de noirceur dégoutée
*** c’est peu dire que Bruno Germain fait toujours du bon boulot lorsqu’il enregistre un groupe à l’Epicerie Moderne

lundi 23 avril 2018

Hot Snakes / Jericho Sirens







Bon alors, je ne vais pas refaire mon petit speech de vieux bougon sur l’intérêt ou non des reformations, la nostalgie musicale, la branlitude de l’acheteur de t-shirt et de rééditions vinyle qui se préoccupe plus de l’image qu’il donne que d’écouter de la musique, etc. Mais quand même : le cas des Hot Snakes est des plus intéressants. D’abord parce que ces gars là ne sont pas n’importe qui : John Reis et Rick Froberg, tous les deux guitaristes et/ou chanteurs du groupe, ont par ailleurs joué ensemble dans d’autres formations totalement incroyables, Pitchfork et bien sûr les insurpassables Drive Like Jehu, ou chacun de leur côté, Rocket From The Crypt (pour Reis) et les piteux – malheureusement – Obits (Froberg). Ces gars là ont plus que de la bouteille, ils trainent derrière eux toute une vraie et belle histoire.
Séparés en 2005, les Hot Snakes se sont reformés en 2011, ce qui finalement ressemble plus à un hiatus qu’autre chose. En tous les cas il n’est absolument pas rare de rencontrer et de pouvoir discuter passionnément avec des personnes qui ont vu le groupe en concert lors de sa première vie – la venue des Hot Snakes à Lyon en mai 2005 a par exemple fortement marqué certains esprit, est avec l’érosion du temps devenue quasiment mythique, restant dans nombre de mémoires et faisant encore parfois l’objet de conversations enflammées entre vieux punks lors de fins de soirée. Toute cette ferveur était à l’époque largement méritée parce que les Hot Snakes étaient non seulement des pourvoyeurs de bons disques (chacun a son préféré, je crois que le mien reste Automatic Midnight*) mais aussi et surtout un truc monstrueux et irrésistible en concert, même si très organisé et très huilé. Que le groupe ait d’abord décidé de se reformer uniquement pour donner des concerts et effectuer des tournées et qu’il ait bien pris son temps avant de se décider à enregistrer un quatrième album n’a rien d’étonnant.
Jericho Sirens est donc ce quatrième album. Annoncée depuis 2017 par Sub Pop, sa parution a été précédée de la réédition en version remasterisée des trois premiers LP de Hot Snakes, à l’origine publiés par Swami records, le propre label de John Reis. Je n’ai pas écouté ces remasters mais je me suis fait un plaisir de ressortir Automatic Midnight (2000), Suicide Invoice (2002) et Audit In Progress (2004). J’ai même poussé le vice jusqu’à réécouté le « live » (en fait enregistré en prise directe dans les studios d’une radio australienne) Thunder Down Under (2006). Et tout ça pour quoi ? Pour entendre la même chose ou presque que ce que les Hot Snakes ont enregistré sur Jericho Sirens. Aujourd'hui le côté juvénile a juste un peu disparu, surtout du côté des voix qui désormais sont devenues un peu plus poussives – Rick si tu me lis, essaye de ne plus trop forcer autant, parce que tu en as nettement moins les moyens qu’auparavant, tu sais. Mais ce n’est qu’un détail.
Et puis la production de Jericho Sirens est plus massive, plus dense et plus claire mais ce n’est encore qu’un détail… je ne ressens pas vraiment de différences notoires entre les Hot Snakes d’avant et les Hots Snakes de maintenant. Même énergie punk ; même sens de l’accroche et de la mélodie ; mêmes compositions au taquet ; même envie de dodeliner et de chanter au moment des refrains – quand je les connaitrai par cœur, évidemment. Tout juste un léger empâtement. Etant comme un fait entendu dès le départ que Jericho Sirens ne pouvait de toute façon pas être aussi dynamique qu’un Audit In Progress (particulièrement furieux voire frénétique, il est vrai…) ni aussi personnel dans son écriture qu’un Suicide Invoice. Ce quatrième album est un bon petit disque de punk et d’énergie électrique. Du rock, du vrai. Il permettra aux vieux fans de se dire que le temps n’existe pas tout comme il permettra aux plus jeunes de découvrir et de (re)voir les Hot Snakes en concert, si toutefois le groupe ne s’arrête pas en si bon chemin et repart dans la spirale infernale disque/tournée/etc.
Si le groupe a enregistré Jericho Sirens pour marquer le coup parce qu’il sentait qu’il n’allait pas démériter ni ternir son image ou bousiller son glorieux passé alors c’est réussi ; s’il a enregistré Jericho Sirens pour se faire un petit plaisir égoïste c’est réussi également. Mais si les Hot Snakes avaient fait la même chose que Jesus Lizard il y a quelques années, c'est à dire s’ils s’étaient contentés de donner des concerts et d’en rester là, sans enregistrer un nouvel album qui n’enlève rien et n’apporte pas quoi que ce soit non plus à l’histoire du groupe, personne ne se serait vraiment aperçu de rien. Merci, au revoir.

* bien que des fois il s’agisse de Suicide Invoice ou de Audit In Progress, haha

samedi 21 avril 2018

Godflesh / Post Self


Mon naturel grognon et rageux m’incite toujours à me méfier des reformations. La nostalgie de ce que l’on n’a musicalement pas connu n’est pas moins de la merde réactionnaire que la recherche effrénée de la nouveauté à tout prix. Et cela tombe bien : ces deux pratiques aveugles et sourdes sont bien souvent le fait des mêmes personnes, celles qui affirment regardez comme j’ai bon goût et comme j’ai raison. Sauf que si la vérité existe, elle se situe ni dans un passé chosifié ni dans un hypothétique futur magnifié. La magie de toute musique – et quelle que soit la musique, si c’est celle que l’on aime vraiment, avec son cœur – est qu’elle est intemporelle autant qu'elle appartient à maintenant. Mais il est vrai que ce maintenant ne dépend pas que de la musique, il dépend aussi de celle ou de celui qui écoute.
Écouter pour de mauvaises raisons (donc : par nostalgie ou par sensationnalisme) cest comme remplir les pages stériles d’un magazine ou d’un site musical publicitaires, activité fort répandue à notre époque où on préfère jouer la carte de l’entertainment en proposant des écoutes en « avant-première » plutôt que de parler de ses ressentis voire de ses sentiments – et dans la même idée les festivals surdimensionnés ou crypto-hypeux (ressemblant dans un cas comme dans l’autre à des fêtes foraines) présentent les mêmes défauts excluant la musique au profit de l’individu en plein prétexte autocentré et qui n’écoute pas. J’ai toujours détesté cette formule, après un bon concert : c’était mortel. Tout comme je déteste celle-ci : c’était la guerre. La guerre ça tue. Et si tu es mort la musique n’existe plus non plus. Ducon. Il me semble tellement plus humain d’avouer en toute simplicité que telle musique me parle vraiment. Ou – au contraire – qu’aujourd’hui ce n’est pas ce qu’il me fallait alors que d’habitude j’aime beaucoup. C’est pourquoi il faut écouter et réécouter ses disques. Se débrancher des flux d’informations continues. Et Aller au delà de la découverte d’un jour.




Je ne savais même pas que Godflesh avait publié un nouvel album à la fin de l’année 2017. Godflesh est vraiment un cas intéressant parce que le duo de Birmingham a eu une approche révolutionnaire de sa musique tout en ayant de cesse de la faire évoluer (presque souvent) pour le meilleur alors qu’il a également engendré toute une succession de groupes pseudo héritiers tous plus mauvais les uns que les autres. N’est donc pas Godflesh qui veut et le nom du groupe n’a jamais semblé aussi bien choisi et, surtout, aussi prophétique.
Séparé pendant de nombreuses années après un album (Hymns, en 2001) largement en deçà des capacités du groupe et au titre complaisant ne soulignant que trop bien l’impasse artistique et finalement humaine dans laquelle Godflesh s’était engagé, Justin Broadrick et Ben C. Green ont décidé de revenir, d’abord uniquement pour des tournées et concerts jouant certes la carte de la nostalgie (confère Streetcleaner : Live At Roadburn 2011) puis sur disques. Le EP Decline And Fall (2014) est décevant parce que fade et insipide mais A World Lit Only By Fire, l’album qui a suivi la même année, a permis à Godflesh de retrouver tous ses esprits sans toutefois faire preuve de grande originalité par rapport aux débuts du groupe et notamment à l’album Streetcleaner, considéré par beaucoup comme l’un des premiers grands incontournables du duo.
Post Self est donc le deuxième album de Godflesh depuis sa reformation, un album au titre vraiment ironique (et qui me fait mourir de rire à l’heure où étaler son égo est devenu presque obligatoire pour prétendre exister – si tu n’es pas d’accord avec cela alors arrête tout de suite de lire cette chronique, mouhaha) et un album qui fait au départ un peu peur : Post Self, Parasite et No Body, à savoir les trois titres placés en ouverture, proposent un visage tellement connu de la musique de Godflesh qu’ils en deviennent caricaturaux et presque affligeants. De la grosse boite-à-rythmes ; des grosses lignes de basse ; des gros riffs de guitare ; du gros chant beuglard… mais c’est tout. Qui aime bien châtie bien.
Mais, si n’est pas Godflesh qui veut, c’est justement parce que Godflesh n’est pas n’importe quel groupe. Et sans remettre totalement en question son plus que glorieux passé, le duo ouvre une nouvelle fois quelques portes. Comme si, après nous avoir balancé à la gueule du bourrin et du bousin particulièrement remâchés et rabâchés, Godflesh estimait avoir fait le boulot et pouvoir enfin s’amuser un peu. S’amuser est bien sûr un abus de langage parce qu’ici cela ne rigole pas du tout. Dans un registre plus glacial et plus oppressant que jamais, Godflesh glisse peu à peu vers l’étrange, s’enfonçant dans les bas-fonds à la recherche d’une lumière improbable, une dernière petite étincelle de vie éclairant ce qu’il nous reste d’humanité. Jamais Godflesh n’aura sonné aussi émotif (The Cyclic End est une merveille de nerfs délicatement à vif et de brulures de l’existence), aussi cold (j’oserais même affirmer qu’il y a du Joy Division sur la fin de The Infinite End), aussi fragile dans toute sa force, maniant les paradoxes de l’âme comme personne. Incarné et finalement mystérieux, peut-être même spirituel (mystique ?) Post Self est ainsi l’un des albums les plus personnels de Godflesh. Mais également l’un de ses tout meilleurs.

[Post Self est publié en CD, vinyle, etc. par Avalanche recordings, le propre label de Justin Broadrick]

mardi 17 avril 2018

Mod Vigil / self titled






Il y a un peu plus d’un an sortait ce petit disque, apparemment le tout premier de Mod Vigil. Dix titres seulement pour une vingtaine de minutes gravées sur un vinyle de 12 pouces et qui tourne en 45 tours – alors je vous le donne en mille : Mod Vigil est un groupe de post punk. Un de plus me direz-vous et vous n’auriez pas totalement tort.
Derrière ce terme tellement fourre-tout de post punk on trouve à peu près tout et surtout n’importe quoi et donc pas forcément le meilleur. Combien de disques plats et insipides pour un seul Meat Wave, un seul Uranium Club, un seul Spray Paint ou bien un seul Diät ? Beaucoup trop. Mais surement pas assez pour les amateurs du genre puisque il n’y a pas une seule semaine sans que l’on nous bassine avec LE groupe qui ranimera définitivement la flamme. Laissez-moi rigoler… Alors autant s’en foutre, donc. Et autant parler seulement maintenant d’un bon disque peut-être déjà oublié de tous, certes symptomatique d’un revival aussi énervant que tous les revivals, mais qui un an plus tard fait toujours largement la différence et tient toujours très bien la distance.

Mod Vigil est un groupe australien – plus précisément un trio originaire de Coburg, une banlieue située juste au nord de Melbourne – et cela ne s’entend absolument pas. Il n’y a pas grand-chose (pour ne pas dire rien) d’australien dans la musique de Mod Vigil, tout comme il y avait déjà rien du tout d’australien dans celle des voisins d’Eddy Current Suppression Ring. Et à dire vrai, de l’appellation post punk Mod Vigil a surtout retenu le terme de punk. Rien à voir donc avec un groupe tel que Protomartyr qui cultive intensément le côté sombre, cynique et même torturé de la chose. Non le post punk version Mod Vigil pioche du côté de celui d’Eddy Current Suppression Ring – donc –  ou de celui des trois premiers albums des buzzcocks, racés et enflammés, énergiques et mélodiques. Avec en plus la petite couche de cra-cra noise psyché et de fureur qui va bien (surtout au niveau de la voix mais lorsqu’on chante comme une truelle ce n’est pas la peine d’en faire des tonnes ni de se faire passer pour ce que l’on n’est pas).
La musique de Mod Vigil est brute et direct, efficace et enlevée, communicative et entrainante. Pas dérangeante et novatrice pour deux sous mais du genre qui fait du bien. Et surtout il n’y a ici rien à jeter : dix titres et dix tubes lapidaires et urgents à se rouler par terre.

[cet album a été publié en vinyle par X-Mist à 300 exemplaires mais au jour d’aujourd’hui il est toujours disponible ici et là]

lundi 16 avril 2018

YC-CY / Todestanz






Il y a quelques jours l’un de mes groupes préférés du moment – je veux dire : un groupe de maintenant que j’ai découvert un peu par hasard et que depuis j’apprécie par dessus tout – a donné un concert à une poignée de kilomètres seulement de chez moi. Mais il n’y a rien eu à faire, je n’ai vraiment pas pu me libérer ce jour là et me rendre à ce concert ; je n’ai pas pu gouter en live et en vrai* à toute la fureur et à toute la noirceur qu'à la maison YC-CY est si bien arrivé à insuffler à ses deux premiers enregistrements. Chienne de vie… Qui donc a dit qu’il n’y a pas que la musique dans la vie ?
YC-CY donc. Je crois que cela se prononce [ouaille si si ouaille] mais qu’importe : Todestanz (prononcez cette fois « danse de la mort »), premier véritable album du groupe après une très bonne démo en 2016, donnerait presque le sentiment de jamais entendu. J’écris « presque » parce que nous sommes en 2018 et que cela fait très longtemps qu’en matière de musiques électriques tout a déjà été fait et refait, dit et rabâché, copié et imité, honoré ou piétiné. L’important c’est l’art et la manière, la façon de le faire, la façon de donner, de transmettre. Et c’est là que YC-CY se distingue du commun des mortels, entre acharnement illuminé, sauvagerie obscure et générosité à tous les étages. Tous Morts, Tous Égaux disait le poète. Et avec YC-CY c’est exactement de cela dont il s’agit.

Ces quatre suisses viennent pourtant d’un pays chargé historiquement en foutraqueries musicales et autres extrémités sonores mais ils font plus qu’impressionner avec Todestanz, bien loin des obscénités hardcore, tentatives métallurgistes sans imagination et autres grinderies tant prisées du côté du canton de Genève (par exemple). La musique du groupe n’est pas vraiment noise non plus (et pourtant) et puis surtout elle possède un petit côté swamp / goth assez étonnant… j’allais même écrire death rock, cette musique qui n’existe que dans l’esprit de quelques illuminés rétrogrades toujours à la recherche du cadavre de Rozz Williams dans la vallée de la mort**. Mais il y a vraiment de ça : la guitare chez YC-CY sonne très souvent comme à nulle autre pareille, rappelant certes celle du grand théâtre de la douleur mais pas que. Les années passées et l’oubli dans les souvenirs, loin de figer ce qui n’aurait pu être qu’une pale tentative d’imitation, ont donné naissance à quelque chose de réellement intrigant – et d’original.

Parce que YC-CY ne s’arrête pas en si bon chemin, refuse de tourner en rond, ne piétine pas bêtement en attenant son tour. Ses musiciens ont évidemment peut-être écouté du hardcore, du metal, de la noise, peut-être même du screamo (si si) mais là non plus ils ne réitèrent pas. Ils débroussaillent, ils mélangent, ils laminent mais surtout ils savent laisser du bordel, de l’âpreté et de la tension partout là où il en faut, c'est-à-dire là où nous, pauvres auditrices et auditeurs du disque, nous y attendons le moins. Les chansons de YC-CY peuvent prendre des tournants vraiment inattendus (Phobetor par exemple) et le groupe a plus d’un tour dans son sac – la multiplication des chants, quelques zigouigouis pas vraiment bruitistes mais qui intriguent voire agacent juste ce qu’il faut, l’urgence rampante des compositions, les lignes de basse volcaniques, cette batterie qui lâche rien et cette guitare donc… oui toujours ces sons de guitare qui vrillent tout mais, encore une fois, font toute la différence, apportent ces quelques suppléments d’importance et ce truc essentiel qui manquent à tellement de groupes pourtant de bonne volonté. YC-CY est définitivement très largement au dessus du lot. Et Todestanz est un disque que je vais écouter et chérir pendant vraiment très longtemps. Rien que ça.

[Todestanz est publié en vinyle par l’excellent label et mailorder allemand X-Mist, lequel label en a profité pour rééditer en LP la première démo de YC-CY – c’est ce que l’on appelle une double peine, profitez-en]

* pour une fois je vais être optimiste : YC-CY jouera le 11 mai à Marseille et le 12 à Freycenet dans le cadre de la croisière héroïque du Pakebot
** non je n’ai pas écrit ou même pensé le nom d’Anasazi

samedi 14 avril 2018

Comme à la radio : Chocolat Billy






Il y a des disques qui ne vieillissent jamais. Mieux : il y a des disques que l’on réécoute et redécouvre avec toujours le même émerveillement, comme si c’était la première fois. Mon Père Est Ma Mère de Chocolat Billy est définitivement de ceux-là.







Un disque initialement publié en 2005 et réédité pour (au moins) la quatrième fois au printemps 2017 par Les Potagers Natures, Et Mon Cul C’est Du Tofu ? et Poil records.
 

Un petit bijou de décalage pop, de finesse noisy et de dada poétique. De la musique vivante pour de vrai [...]

jeudi 12 avril 2018

Death Pedals / self titled


Sale temps pour les noiseux. Tout comme les Skull Defekts qui ont annoncé leur séparation après la parution d’un ultime album, les anglais de DEATH PEDALS nous prennent par surprise et surtout prennent leur retraite anticipée, les salauds. Ce troisième LP sans titre est donc le tout dernier du groupe… Mais pourquoi ? Il semblerait que le guitariste / chanteur Alex Brewins ait décidé de traverser l’Atlantique Nord pour tenter sa chance (professionnelle) et de s’installer durablement aux colonies. Dans ces conditions, il n’est plus possible pour lui de continuer de jouer avec Death Pedals : en effet on l’imagine très mal bosser du côté de chez l’oncle Sam puis prendre l’avion tous les week-ends pour se rendre dans une banlieue londonienne à une répétition de son groupe. Mais… mais si cette histoire est vraie cela signifierait également la (triste) fin prématurée de Dead Arms, autre excellente formation dans laquelle Alex Brewins joue aussi de la guitare. Cela ferait deux groupes inestimables de la scène anglaise actuelle qui disparaitraient d’un seul coup d’un seul… Sale temps pour les noiseux, disais-je…




D’autant plus que ce troisième album de Death Pedals c’est vraiment du tout bon. Le groupe a beau expliquer que ce disque est un peu plus expérimental qu’à l’accoutumée, moins punk peut-être, et qu’avant de rentrer en studio il n’avait que quatre ou cinq compositions de réellement terminées et prêtes et que tout le reste a été fait un peu beaucoup à l’arrache en moins de quatre jours, le résultat fini est tout à fait à la hauteur de tout ce dont Death Pedals nous avait jusqu’ici habitué. En encore plus riche et en plus varié. Ce qui finalement explique peut-être ce que le groupe a voulu désigner en employant ce terme d’« expérimental » – en l’occurrence juste un gros mot inutile de plus. Les anglais auraient mieux fait d’employer celui d’« aventureux ». 

Et qui dit aventureux dit passionnant : ce qui est sûr c’est que les Death Pedals ne se contentent pas de jouer tout le temps sur le même tableau et de nous rabâcher les mêmes recettes colériques. Rarement lente, parfois mid-temp ou souvent (très) rapide, lourde ou plus aérée, noise ou punk, garage ou mélodique, une composition du groupe possède toujours son lot de surprise et d’attrait. Et d’instinct. De quoi tenir l’auditeur en haleine, de lui en donner toujours plus. Et il est impossible de décrocher tout au long de ces deux faces et de ces dix titres à la classe indéniable. Car si les anglais savent parfaitement faire du bruit, aiment tronçonner de la guitare et étaler des lignes de basse dantesques dans la plus pure tradition du noise rock – aka façon 90’s –, ils possèdent aussi ce quelque chose en plus qui fait toute la différence : plus de chair, plus de sang et surtout plus de cœur. Le tout sans avoir invariablement recours à la tentation du gras surchauffé, plombé et grésillant. Toujours cette pointe exemplaire de finesse derrière les murs de guitares et les rythmiques implacables. Cette volonté de séduire et d’étreindre plutôt que de tout écraser systématiquement. Encore un groupe qui donne une vraie leçon de musique et de vie. RIP et merci pour tout.   

[ce troisième et dernier album de Death Pedals est publié en vinyle uniquement par Hominid Sounds]

mardi 10 avril 2018

Xaddax - My Name Is Rar Rar / Ripper - Mr Deer






Ripper / Mr Deer existe en tellement de versions différentes que cela me fatigue. Mais cela ne m’étonne pas non plus d’un label tel que Skingraft, illustre maison de disques spécialisée depuis plus de vingt-cinq ans en trésors mais aussi en gadgets phonographiques. On retrouve sur ce disque deux groupes distincts et on ne présente plus les premiers : Xaddax est un duo – et un couple marié – formé par Nick Sakes (Dazzling Killmen, Colossamite, Sicbay) à la guitare et au chant et Chrissy Rossettie à la batterie et à la bidouille électronique. De l’autre côté My Name Is Rar-Rar a tout du faux groupe inconnu puisqu’il s’agit, justement, de l’ancien groupe de Chrissy Rossettie et dans lequel ont également joué le guitariste Chuck Falzone ainsi que le bassiste Jonathan Hischke qui ont un temps participé aux Flying Luttenbachers de Weasel Walter – par exemple sur les albums Revenge, Gods Of Chaos ou The Truth Is A Fucking Lie pour le premier, Infection And Decline pour le second. Du bon gros gratin de l’underground excentrique, quoi.
Donc, je récapitule : Ripper / Mr Deer un split entre Xaddax et My Name Is Rar-Rar. Un 7’ qui comporte deux nouveaux titres de Xaddax ainsi que deux titres remasterisés et issus d’un album que My Name Is Rar-Rar avait enregistré en 2003 mais n’avait jamais pu sortir, le groupe s’étant séparé juste avant. Il existe deux pochettes différentes pour ce petit bout de plastique, chaque groupe ayant la sienne. Mais ce disque existe également en CD, toujours avec ses deux pochettes alternatives et un track listing qui cette fois comporte l’intégralité de l’album perdu de My Name Is Rar-Rar et toujours les deux inédits de Xaddax. J’en ai mal à la tête… 




Je n’épiloguerai pas sur l’intérêt très limité de sortir autant de versions différentes d’un même disque. Les productions Skingraft étant qui plus est très difficiles à trouver à des prix décents et accessibles pour les travailleurs honteusement exploités par le capitalisme triomphant et les allocataires de l’aide sociale – en résumé tous les branleurs paresseux, cyniques et extrêmes –, ce disque n’est qu’une incitation pure et simple au vol et au téléchargement illégal. Ce qui me désole parce que refuser d’engraisser Warner, Universal ou Sony Music me parait légitime voire hautement nécessaire alors qu’un label tel que Skingraft mériterait tout notre soutien, en débit de ses quelques pratiques commerciales peu reluisantes.
Par contre je m’en foutrais un peu plus si ce split présentait plus d’intérêt musical et artistique. Sur les deux titres signés Xaddax, seul Ripper mérite que l’on s’y attarde un peu, mais pas de trop quand même parce que cette nouvelle composition, bien trop courte et presque simpliste, peine à égaler le niveau de celles de Counterclockwork, l’unique album que Xaddax a publié jusqu’ici, c’était en 2012 ; l’autre titre proposé ici par le duo s’intitule Bug March et constitue un instrumental particulièrement indigent et fade, alors on passe rapidement.
Le cas de l’« album » de My Name Is Rar-Rar est un peu plus complexe. Replacé dans son contexte (c'est-à-dire l’année 2003) Mr Deer est une skingrafterie typique et datée avec son outrance arty et son côté foutraque pour clowns-musiciens. Un disque qu’effectivement Skingraft aurait pu largement publier à l’époque, alors que le label perdait de plus en plus de son aura et de sa crédibilité et peinait à trouver des nouveaux groupes réellement palpitants (cette déliquescence de Skingraft ne trouvant pas de meilleur symbole que dans la signature dans la deuxième moitié des années 2000 des tout juste passables Aids Wolf et Pre ou des effroyables Gay Beast, mais passons). Mr Deer n’a qu’un intérêt documentaire et donc historique mais cela s’arrête là. Je n’ai jamais vraiment aimé les groupes dont les musiciens portent des faux-nez rouges et jouent des trucs qui se veulent décomplexés alors qu’ils respirent le maniérisme démonstratif, ce bidule cérébral que Franck Zappa a malencontreusement mais sciemment introduit dans les musiques électriques. Quel enfoiré celui-là.