Mon naturel grognon et rageux m’incite
toujours à me méfier des reformations. La nostalgie de ce que l’on n’a musicalement
pas connu n’est pas moins de la merde réactionnaire que la recherche effrénée
de la nouveauté à tout prix. Et cela tombe bien : ces deux pratiques
aveugles et sourdes sont bien souvent le fait des mêmes personnes, celles qui affirment regardez comme j’ai bon goût et comme j’ai
raison. Sauf que si la vérité existe, elle se situe ni dans un passé chosifié
ni dans un hypothétique futur magnifié. La magie de toute musique – et quelle
que soit la musique, si c’est celle que l’on aime vraiment, avec son cœur – est qu’elle est intemporelle
autant qu'elle appartient à maintenant. Mais il est vrai que ce maintenant ne dépend pas que de la musique, il dépend aussi de celle ou de
celui qui écoute.
Écouter pour de mauvaises raisons (donc :
par nostalgie ou par sensationnalisme) c’est comme remplir les pages stériles
d’un magazine ou d’un site musical publicitaires, activité fort répandue
à notre époque où on préfère jouer la carte de l’entertainment en proposant des
écoutes en « avant-première » plutôt que de parler de ses ressentis
voire de ses sentiments – et dans la même idée les festivals surdimensionnés ou
crypto-hypeux (ressemblant dans un cas comme dans l’autre à des fêtes foraines)
présentent les mêmes défauts excluant la musique au profit de l’individu en
plein prétexte autocentré et qui n’écoute pas. J’ai toujours détesté cette
formule, après un bon concert : c’était
mortel. Tout comme je déteste celle-ci : c’était la guerre. La guerre ça tue. Et si tu es mort la musique n’existe
plus non plus. Ducon. Il me semble tellement plus humain d’avouer en toute simplicité que telle musique me parle vraiment. Ou – au contraire – qu’aujourd’hui ce n’est pas ce qu’il me fallait
alors que d’habitude j’aime beaucoup. C’est pourquoi il faut écouter et
réécouter ses disques. Se débrancher des flux d’informations continues. Et Aller
au delà de la découverte d’un jour.
Je ne savais même pas que Godflesh avait publié un nouvel album à la
fin de l’année 2017. Godflesh est vraiment un cas intéressant parce que le duo
de Birmingham a eu une approche révolutionnaire de sa musique tout en ayant de
cesse de la faire évoluer (presque souvent) pour le meilleur alors qu’il a
également engendré toute une succession de groupes pseudo héritiers tous plus
mauvais les uns que les autres. N’est donc pas Godflesh qui veut et le nom du groupe n’a jamais semblé aussi bien choisi et, surtout,
aussi prophétique.
Séparé pendant de nombreuses années
après un album (Hymns, en 2001)
largement en deçà des capacités du groupe et au titre complaisant ne soulignant
que trop bien l’impasse artistique et finalement humaine dans laquelle Godflesh
s’était engagé, Justin Broadrick et Ben C. Green ont décidé de revenir, d’abord
uniquement pour des tournées et concerts jouant certes la carte de la nostalgie
(confère Streetcleaner : Live At Roadburn 2011) puis sur disques. Le EP Decline And Fall (2014) est décevant parce que fade et insipide
mais A World Lit Only By Fire, l’album qui a suivi la même année, a permis à
Godflesh de retrouver tous ses esprits sans toutefois faire preuve de grande
originalité par rapport aux débuts du groupe et notamment à l’album Streetcleaner, considéré par beaucoup
comme l’un des premiers grands incontournables du duo.
Post
Self
est donc le deuxième album de Godflesh depuis sa reformation, un album au titre
vraiment ironique (et qui me fait mourir de rire à l’heure où étaler son égo
est devenu presque obligatoire pour prétendre exister – si tu n’es pas d’accord
avec cela alors arrête tout de suite de lire cette chronique, mouhaha) et un album qui fait au départ
un peu peur : Post Self, Parasite et No Body, à savoir les trois titres placés en ouverture, proposent
un visage tellement connu de la musique de Godflesh qu’ils en deviennent caricaturaux
et presque affligeants. De la grosse boite-à-rythmes ; des grosses lignes
de basse ; des gros riffs de guitare ; du gros chant beuglard… mais c’est
tout. Qui aime bien châtie bien.
Mais, si n’est pas Godflesh qui veut, c’est
justement parce que Godflesh n’est pas n’importe quel groupe. Et sans remettre
totalement en question son plus que glorieux passé, le duo ouvre une nouvelle
fois quelques portes. Comme si, après nous avoir balancé à la gueule du bourrin
et du bousin particulièrement remâchés et rabâchés, Godflesh estimait avoir
fait le boulot et pouvoir enfin s’amuser un peu. S’amuser est bien sûr un abus de langage parce qu’ici cela ne
rigole pas du tout. Dans un registre plus glacial et plus oppressant que
jamais, Godflesh glisse peu à peu vers l’étrange, s’enfonçant dans les
bas-fonds à la recherche d’une lumière improbable, une dernière petite
étincelle de vie éclairant ce qu’il nous reste d’humanité. Jamais Godflesh n’aura
sonné aussi émotif (The Cyclic End
est une merveille de nerfs délicatement à vif et de brulures de l’existence), aussi
cold (j’oserais même affirmer qu’il y a du Joy Division sur la fin de The Infinite End), aussi fragile dans
toute sa force, maniant les paradoxes de l’âme comme personne. Incarné et finalement
mystérieux, peut-être même spirituel (mystique ?) Post Self est ainsi l’un des albums les plus personnels de
Godflesh. Mais également l’un de ses tout meilleurs.
[Post Self est
publié en CD, vinyle, etc. par Avalanche recordings, le
propre label de Justin Broadrick]