samedi 21 avril 2018

Godflesh / Post Self


Mon naturel grognon et rageux m’incite toujours à me méfier des reformations. La nostalgie de ce que l’on n’a musicalement pas connu n’est pas moins de la merde réactionnaire que la recherche effrénée de la nouveauté à tout prix. Et cela tombe bien : ces deux pratiques aveugles et sourdes sont bien souvent le fait des mêmes personnes, celles qui affirment regardez comme j’ai bon goût et comme j’ai raison. Sauf que si la vérité existe, elle se situe ni dans un passé chosifié ni dans un hypothétique futur magnifié. La magie de toute musique – et quelle que soit la musique, si c’est celle que l’on aime vraiment, avec son cœur – est qu’elle est intemporelle autant qu'elle appartient à maintenant. Mais il est vrai que ce maintenant ne dépend pas que de la musique, il dépend aussi de celle ou de celui qui écoute.
Écouter pour de mauvaises raisons (donc : par nostalgie ou par sensationnalisme) cest comme remplir les pages stériles d’un magazine ou d’un site musical publicitaires, activité fort répandue à notre époque où on préfère jouer la carte de l’entertainment en proposant des écoutes en « avant-première » plutôt que de parler de ses ressentis voire de ses sentiments – et dans la même idée les festivals surdimensionnés ou crypto-hypeux (ressemblant dans un cas comme dans l’autre à des fêtes foraines) présentent les mêmes défauts excluant la musique au profit de l’individu en plein prétexte autocentré et qui n’écoute pas. J’ai toujours détesté cette formule, après un bon concert : c’était mortel. Tout comme je déteste celle-ci : c’était la guerre. La guerre ça tue. Et si tu es mort la musique n’existe plus non plus. Ducon. Il me semble tellement plus humain d’avouer en toute simplicité que telle musique me parle vraiment. Ou – au contraire – qu’aujourd’hui ce n’est pas ce qu’il me fallait alors que d’habitude j’aime beaucoup. C’est pourquoi il faut écouter et réécouter ses disques. Se débrancher des flux d’informations continues. Et Aller au delà de la découverte d’un jour.




Je ne savais même pas que Godflesh avait publié un nouvel album à la fin de l’année 2017. Godflesh est vraiment un cas intéressant parce que le duo de Birmingham a eu une approche révolutionnaire de sa musique tout en ayant de cesse de la faire évoluer (presque souvent) pour le meilleur alors qu’il a également engendré toute une succession de groupes pseudo héritiers tous plus mauvais les uns que les autres. N’est donc pas Godflesh qui veut et le nom du groupe n’a jamais semblé aussi bien choisi et, surtout, aussi prophétique.
Séparé pendant de nombreuses années après un album (Hymns, en 2001) largement en deçà des capacités du groupe et au titre complaisant ne soulignant que trop bien l’impasse artistique et finalement humaine dans laquelle Godflesh s’était engagé, Justin Broadrick et Ben C. Green ont décidé de revenir, d’abord uniquement pour des tournées et concerts jouant certes la carte de la nostalgie (confère Streetcleaner : Live At Roadburn 2011) puis sur disques. Le EP Decline And Fall (2014) est décevant parce que fade et insipide mais A World Lit Only By Fire, l’album qui a suivi la même année, a permis à Godflesh de retrouver tous ses esprits sans toutefois faire preuve de grande originalité par rapport aux débuts du groupe et notamment à l’album Streetcleaner, considéré par beaucoup comme l’un des premiers grands incontournables du duo.
Post Self est donc le deuxième album de Godflesh depuis sa reformation, un album au titre vraiment ironique (et qui me fait mourir de rire à l’heure où étaler son égo est devenu presque obligatoire pour prétendre exister – si tu n’es pas d’accord avec cela alors arrête tout de suite de lire cette chronique, mouhaha) et un album qui fait au départ un peu peur : Post Self, Parasite et No Body, à savoir les trois titres placés en ouverture, proposent un visage tellement connu de la musique de Godflesh qu’ils en deviennent caricaturaux et presque affligeants. De la grosse boite-à-rythmes ; des grosses lignes de basse ; des gros riffs de guitare ; du gros chant beuglard… mais c’est tout. Qui aime bien châtie bien.
Mais, si n’est pas Godflesh qui veut, c’est justement parce que Godflesh n’est pas n’importe quel groupe. Et sans remettre totalement en question son plus que glorieux passé, le duo ouvre une nouvelle fois quelques portes. Comme si, après nous avoir balancé à la gueule du bourrin et du bousin particulièrement remâchés et rabâchés, Godflesh estimait avoir fait le boulot et pouvoir enfin s’amuser un peu. S’amuser est bien sûr un abus de langage parce qu’ici cela ne rigole pas du tout. Dans un registre plus glacial et plus oppressant que jamais, Godflesh glisse peu à peu vers l’étrange, s’enfonçant dans les bas-fonds à la recherche d’une lumière improbable, une dernière petite étincelle de vie éclairant ce qu’il nous reste d’humanité. Jamais Godflesh n’aura sonné aussi émotif (The Cyclic End est une merveille de nerfs délicatement à vif et de brulures de l’existence), aussi cold (j’oserais même affirmer qu’il y a du Joy Division sur la fin de The Infinite End), aussi fragile dans toute sa force, maniant les paradoxes de l’âme comme personne. Incarné et finalement mystérieux, peut-être même spirituel (mystique ?) Post Self est ainsi l’un des albums les plus personnels de Godflesh. Mais également l’un de ses tout meilleurs.

[Post Self est publié en CD, vinyle, etc. par Avalanche recordings, le propre label de Justin Broadrick]