vendredi 30 mars 2018

Comme à la radio : Goz Of Kermeur







J’ai un souvenir très précis de GOZ OF KERMEUR… mais un souvenir avorté, celui de la seule fois où j’ai failli voir le groupe en concert. Le trio suisse était programmé pour la soirée d’inauguration du Pezner, c’était le 31 octobre 1996 et l’évènement était de taille. 
Cela faisait déjà deux ou trois années que les lyonnaises et les lyonnais attendaient l’ouverture de cette salle et le succès a été au rendez-vous pour ce tout premier concert (gratuit) dans un lieu archi comble alors que presque autant de personnes étaient restées dehors, faute de places suffisantes. 
J’ai donc été de ceux qui ont profité un peu de cet évènement sur le trottoir, en fumant des clopes et en buvant des bières pour passer le temps – l’ironie étant que le premier concert réellement payant du Pezner, seulement deux jours plus tard, n’a lui engrangé qu’une quarantaine d’entrées, mais quarante personnes complètement retournées par Oxbow alors venu défendre l’album Serenade In Red qui venait tout juste de paraitre (mais je m’égare).




Great Hits… ce double album serait donc un best of de Goz Kermeur ? Vraiment ? La tâche semble impossible à réaliser tant les trois albums de Goz Of Kermeur – un premier disque sans titre (1992), Hirondelles (1993) et Mythomane (1996) – sont tous indispensables et incontournables. Mais qu’importe : au moins les labels qui se sont cotisés pour publier cette compilation ont réalisé un magnifique travail d’archéologie à la mémoire d’un groupe qui s’est arrêté beaucoup trop tôt et de triste façon, avec la mort du guitariste Yves Charmillot (le chanteur/contrebassiste Adrien Kessler a ensuite monté un groupe du nom de Darling).

Il n’aura échappé à personne que malheureusement bandcamp ne propose pour l’instant qu’une version tronquée de Greatest Hits… qu’importe, j’espère que ces quelques extraits donneront envie d’écouter l’intégralité de ce double album et de l’acheter (les pirates de tous poils sauront eux où aller chercher ce qu’il leur manque tant).

Greatest Hits a été publié par Degelite, Et Mon Cul C'est Du Tofu ? et Jelodanti (surtout) – la version numérique est disponible via Atypeek music. 

jeudi 29 mars 2018

La Chasse / Noir Plus Noir Que le Noir






Le cas de La Chasse pourrait paraitre beaucoup plus simple que celui de FUTUR.s MORT.s tout récemment évoqué : des coyotes qui hurlent à la mort, une basse bourrée de flanger et surtout de lourdeur, une batterie minimale, lente et tribale, deux filles sans pitié qui lancent des invocations maléfiques en vociférant comme des sorcières autour du cadavre d’un mâle sacrifié pour la bonne cause (et donc qui braillent beaucoup plus fort que n’importe quel coyote en rut) et des samples qui rappellent élégamment que la chasse n’est pas un « sport » comme les autres mais une activité très dangereuse propice aux règlements de comptes entre frères ennemis et aux névroses familiales trop difficilement refoulées. Noir c’est noir.
Mais pourquoi parler de ce premier album maintenant, presque une année après sa publication ? Parce qu’avec La Chasse on tient encore un groupe qui fait avec ce qu’il a et rien d’autre, lorgne inévitablement vers des musiques du siècle dernier (en gros : les années 80 mais dans ce qu’elles ont pu avoir de plus sale, de plus rampant et de plus bruyant – ici pas de clinquant, pas de strass ni de prétention en paillettes ) et recrache le truc en l’air comme un glaviot verdâtre et avec une agilité carnassière qui rendrait fous de jalousie David Lee Roth, Kanye West, Franck Ribery, Vladimir Poutine et tous les mâles dominants – ahem – de la terre. Ça suinte, ça pègue, ça trifouille du côté goth de la face cachée du petit monde de l’underground, ça fait mal, ça donne envie de danser comme un zombi et c’est tout simplement réjouissant. Mais ce n’est pas non plus dénué d’une certaine poésie brute, à la limite du grand macabre.
Faisant suite (entre autres) à une
cassette splittée avec Cancer et dont on retrouve ici à peine deux ou trois titres réenregistrés, Noir Plus Noir Que Le Noir s’adresse avant tout à nos sens et reste l’envoutant témoignage d’une transe surnaturelle et magique. Enregistré tout bien comme il faut par Seb Normal à Gigors Electric puis masterisé tout bien comme il faut également par Julien Louvet de The Austrasian Goat (not dead) / 213 records, cet album est donc servi par une production et un son à la hauteur, je veux dire qu’il fallait au moins ça au minimalisme rigide des incantations de Noir Plus Noir Que Le Noir, album sans cesse sur le fil des sortilèges.  

[Noir Plus Noir Que Le Noir a été publié en LP par 213 records, Donnez-Moi Du Feu, Et Mon Cul C’est Du Tofu ?, Katatak, Mammouth, Tremblements Essentiels – pour ces deux derniers labels je n’ai pas trouvé de lien vers un éventuel site, désolé]

mardi 27 mars 2018

FUTUR.s MORT.s / II





Ils sont deux mais c’est largement suffisant. Ils ont auparavant joué dans Seasick6 (groupe malheureusement trop vite disparu mais dont la musique a été fort judicieusement sauvée des eaux et documentée par un album posthume au nom totalement imprononçable) et dans Ultradémon (quoi que là j’ai toujours un très léger doute quant au décès prématuré ou non de ce trio). Sur le tout premier disque de FUTUR.s MORT.s la musique du groupe laissait du reste cette impression, positive, d’être la version à deux de celle d’Ultradémon : un batteur de parti, l’arrivée d’une boite-à-rythmes et de quelques petites machines. Tout comme le « surf sans soleil » de Seasick6 y laissait également quelques traces palpables. C’est toujours un peu le cas aujourd’hui. Et je m’en réjouis.

J’avais peur qu’à l’image des projets précédents d’Estelle et de Miguel FUTUR.s MORT.s disparaisse trop précocement, que le groupe ne s’évanouisse pour de bon dans les limbes, avec un nom pareil vous me direz que l’on pouvait s’attendre à tout et n’importe quoi. Un nom aussi explicite et connoté que moqueur, me semble-t-il : tant qu’à faire, lorsque on crée une musique sombre, taraudée, bosselée et pessimiste telle que celle de FUTUR.s MORT.s autant jouer à fond la carte de l’encadrement sous verre et de l’enluminure funéraire qui brille en faux pour mieux les détourner puis les noyer dans le formol du dérisoire. Et regardez-moi cette pochette. En la découvrant je n’ai pu que penser à cette pratique datant principalement de l’époque victorienne et vraiment très étrange des photos mortuaires et post mortem : deux corps à peine raidis posant devant le même papier peint que celui du salon de mon arrière arrière grand-mère. Mais je le vois bien le sourire en forme de rictus que se dessine presque en creux sur ces deux beaux visages. Ces yeux qui veulent toujours regarder au travers des paupières clauses. Ce grain de peau imparfait qui refuse malgré tout de se faner. Ces bouches qui retiennent des mots, ces bras raidis au bout desquels des mains invisibles manipulent instruments de musique et détermination. FUTUR.s MORT.s est un groupe bien vivant.

Et qu’en est-il de la musique du duo ? Post punk ? Dark wave ? Rock sombre ? Moulinette existentielle ? Gothique réfrigéré ? Vague à l’âme complaisant ? Post noise en bandoulière ? Revival eighties petit-bourgeois ? La musique de FUTUR.s MORT.s est avant tout électrique et émotionnelle. Épaisse, dense et étouffante, grinçante. Sans complaisance, justement. Remplie de colère. Belle à en chialer alors qu’elle ne nous permet pas de chialer, ce serait beaucoup trop évident et beaucoup trop facile.
La basse a gardé toute cette proéminence, cet en-avant. La guitare navigue entre stridence noisy et surf macabre (un petit côté Dead And Gone sauce Bauhaus ?). Le chant – au féminin et au masculin – s’incarne durablement dans une distance contagieuse (celle qui force à écouter) et parfois même litanique, mortuaire (précisément). Tandis que la musique préfère souvent le chemin radical des couches soniques superposées et assourdissantes qui donnent comme une impression de suffocation. Ce qui ne l’empêche pas de se cabrer parfois, violence des rythmes, ardeur des déchirures – sur Darkness Blood la présence d’un batteur invité est ainsi plus que bienvenue, lequel batteur intervient au total sur trois compositions sur sept, sans pour autant déséquilibrer la cohérence de l’album, bien au contraire.
FUTUR.s MORT.s réussit avec II là où beaucoup de groupes bien propres sur eux échouent systématiquement dans leur confort musical : faire vivre indépendamment une musique tout en puisant dans son historique – consenti ou contesté. Toujours la même didactique et toujours le même argumentaire subjectif de ma part… oui, peut-être ! Mais les chroniques de disques trop factuelles et taillées au scalpel par la police du bon goût, les élucubrations des personnalités autorisées et des connaisseurs dont les propres parents n’étaient même pas nés le 10 juin 1980 m’emmerdent plus que jamais. L’important, le plus important, c’est le ressenti, non ? L’affect. Et la colère froide de II fait parfaitement fonctionner le mien, elle parle à l’ensemble de mes organes un peu pourris et se greffe en moi comme une fonction vitale supplémentaire.

[il a beau être plutôt court et tourner en 45 tours, ce deuxième disque de FUTUR.s MORT.s est un véritable album, à part entière – il a été publié par Les Âmes d’Atala, Attila Tralala, Et Mon Cul C’est Du Tofu ? et Tomaturj]

vendredi 23 mars 2018

Comme à la radio : Luggage





S’appeler « bagage » pourrait sembler extrêmement curieux mais Luggage est un trio originaire de Chicago qui mérite vraiment le détour. Je ne pourrais jamais trop remercier la personne qui m’a un jour parlé de ce groupe en pensant que je l’aimerais. Elle ne s’était vraiment pas trompée. 





Luggage pratique une musique entre noise neurasthénique et post-punk très sec, nerveux – l’album Three a été enregistré aux studios Electrical Audio mais pas par Albini – et dégraissé jusqu’à l’os. Une musique qui sait également se faire rêveuse et même mélancolique à loccasion (bien que Three montre un durcissement certain par rapport à son prédécesseur Sun).

Le credo du groupe pourrait bien être moins c’est plus tant Luggage a l’air de s’y connaitre parfaitement en matière de tension rentrée et de recroquevillement. Les compositions sont toujours solides mais jamais envahissantes et certaines des chansons de Three ne sont pas loin d’être merveilleuses, tel le très sombre et inspiré morceau-titre : un vrai tube à écouter tout-e seul-e le soir et dans le noir. Évidemment.

Three a été publié en cassette uniquement (?) par Don Giovanni records. Bienvenue en 2018.

jeudi 22 mars 2018

Sister Iodine / Venom






Abîme de longévité et de chaos. Qui aurait pu parier que Sister Iodine allait encore publier un nouveau disque, quelques vingt-quatre années après ADN 115 ? Si d’entrée je fais allusion et référence au premier album du groupe, ce n’est pas simplement pour le plaisir de voyager dans l’espace-temps (quoique…) mais plutôt pour évoquer le grand écart stylistique qui sépare les débuts discographiques de Sister Iodine de Venom, paru fin février 2018. A l’époque (1994, donc) ADN 115 passait pour être un disque ravageur, bruyant et expérimental, teinté de no wave, de cassures, de bruit et de fureur, un album enregistré en trio (deux guitares, de la batterie, de la bidouille et un peu de voix) après que le groupe soit passé de quatre à trois membres, abandonnant ainsi ce qui lui restait encore d’accessibilité. Ce sont ces trois mêmes membres que l’on retrouve aujourd’hui au sein de Sister Iodine et les mêmes qui ont enregistré l’incomparable Venom, monstrueux double LP et sixième album du groupe – si on ne compte pas l’épuisant Meth - Live In Tokyo en compagnie de Masaya Nakahara de Violent Onsen Geisha et publié en 2010.

Venom appartient donc à la deuxième période de Sister Iodine. Celle qui a commencé, après un hiatus de quelques années, avec Helle (2007) et surtout Flame Desastre (2009). Et Venom en est l’un des plus beaux triomphes, un anti-album érigé à la gloire du bruit, cénotaphe de l’insondable, du désordre, du magma, du déséquilibre, du destructif, voire de l’annihilation, rien que ça. Mais l’annihilation de quoi ? Du confort et de la commodité des codes musicaux, des appellations d’origine contrôlée, y compris celles que l’on a collées sur le dos de Sister Iodine aux débuts du groupe (le terme no wave passant finalement presque pour une énième dénomination de ce bon vieux rock’n’roll à papa). Avec Venom le groupe détruit instantanément sur place toutes les musiques dites extrêmes, celles qui n’ont d’« extrême » que le nom ridicule et répondent surtout à un formatage et à un calibrage très scrupuleux et paresseusement méthodique.
Avoir de la méthode, précisément, les trois Sister Iodine semblent s’en foutre complètement, ou plutôt ils ne font preuve que d’un seul mode de fonctionnement : se débarrasser de toutes formulations préconçues tout en sculptant le bruit et ses conséquences directes et indirectes. En comparaison, même Missing Foundation (formation new-yorkaise culte des 80’s et débuts des 90’s, trop méconnue, mésestimée et pour le coup absolument pas formatée ni prévisible) pourrait éventuellement passer pour un groupe de baloche du dimanche après-midi après la messe. Facilité de la démarche et je-m’en-foutisme ? Non : Venom sait également surprendre – Phase /\ en clôture de la troisième face, The Female en ouverture de la quatrième puis Venom Horizon à la toute fin du disque, comme si sur sa deuxième moitié l’album atteignait, en même temps que ses derniers retranchements, une sorte de plénitude et de quintessence, abysses de bruits débouchant sur un irrémédiable proche de l’accomplissement.
Surtout Sister Iodine sait faire palpiter et donc vivre sa musique, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes lorsque on joue autant sur et avec la destruction, miroir volontaire ou non d’un nihilisme contemporain et accablant, et qu’en plus on a affublé son disque d’un nom tout simplement synonyme de poison et donc de mort. Je me demande d’ailleurs si ce nom Venom évoque plutôt les venins fulgurants, ceux qui brûlent vif, ou les venins qui empoisonnent lentement, ceux qui prennent le temps de la consumation. Un nom qui laisse tout l’espace nécessaire à un enregistrement qui fait les deux à la fois, option barbecue/grill et option mijotage de civet, comme s’il n’y avait finalement et définitivement toujours pas le choix, entre absence de toute échappatoire possible et luxe de l’agonie d’un temps qui n’existe déjà plus. Venom est un disque franchement et naturellement foudroyant tout comme il est persistant, jusque dans ses moindres effets. Donc, finalement, pas si nihiliste que cela. Peut-être juste désespérément pessimiste.

[Venom est un double album vinyle publié par le label Nashazphone basé au Caire et dont le catalogue est aussi varié que délirant (ÉlG, Smegma, Skullflower, Sunroof!, E.E.K.  Sun City Girls, etc.) ; si vous n’avez pas la chance de croiser Sister Iodine lors d’un concert*, Venom est disponible auprès de quelques dealers plus que recommandables – par exemple en France et alentours c’est Metamkine qui en assure la distribution]

* pour les lyonnaises, les lyonnais et autres expatrié-e-s au pays du populisme bourgeois et de la gentrification bienpensante ce sera le 4 avril 2018, un concert organisé par Grrrnd Zero Hors Les Murs – plus d’infos en écrivant à jesuisanxieux[arobase]gmail[point]com

mardi 20 mars 2018

Heliogabale / Ecce Homo





J’ai déjà longuement écrit et déblatéré sur ce disque, ailleurs*. Parlé de son affirmation nietzschéenne, de sa rage passionnelle, de ses explosions noise, de ses tempêtes blues, de ses textes volontairement explicites, crus et poétiques, de sa révolte, de sa colère brute, de son caractère entier mais multiple, de sa nature charnelle, sexuelle, de sa grâce impudique, de sa violence farouche, de son intégrité, de sa noblesse, de sa liberté, de sa beauté incandescente, de cette façon qu’il a de se poser abruptement au milieu, de jeter un bref coup d’œil en arrière (mais vraiment pas longtemps – quel intérêt ?) et de regarder devant, autour, loin. Et de regarder de si près, également.

Alors pourquoi en reparler aujourd’hui ? HELIOGABALE est depuis longtemps l’un de mes groupes préférés. Et Ecce Homo, septième album d’Heliogabale, est devenu, au fil des mois et au fil des écoutes, sans que je ne m’en aperçoive vraiment mais finalement avec tout mon consentement, mon album préféré du groupe. Cependant je ne saurais pas et je ne pourrais pas expliciter exactement ce qui m’attire autant dans ce disque. Un disque qui me fait également violence. Un disque qui me malmène mais qui me parle, donc. Profondément. A chaque écoute – et je l’écoute très régulièrement, dès que l’envie s’en fait trop pressante – Ecce Homo semble se dévoiler un peu plus en entier et s’offrir à moi. Mais il garde toujours quelque chose en lui, pour lui, que je découvrirai une autre fois. Peut être.
J’ai bien conscience que dans ce monde de paraitre superficiel et de suffisance narcissique avouer son attachement viscéral à un bout de plastique contenant neuf chansons (ou avouer son attachement à toute forme de création artistique, dans le sens le plus élevé du terme) pourrait être interprété comme une facilité simpliste, une tentative de déni de soi face à une exemplarité magnifiée et donc pourrait être interprété comme un signe d’abandon et de lâcheté. Mais dans les faits il s’agit très exactement de tout le contraire : en nous renvoyant à nous-mêmes sans pour autant nous donner la permission ou même simplement l’occasion  de  nous identifier même partiellement à quelque chose qui ne  nous appartient pas, Ecce Homo fait partie de ces œuvres qui donnent toute la force nécessaire. Un disque qui montre et dit, finalement : « voilà, maintenant démerde-toi, sinon tant pis pour toi ».

Je ne vais donc pas m’ériger en intégriste d’Heliogabale et d’Ecce Homo. Pas de leçons à attendre ni de leçons à recevoir. Après tout chacun fait ce qu’il veut et c’est précisément ce qu’Heliogabale a fait avec ce disque (et ce que le groupe a de toute façon toujours fait). Un disque que rien au monde ni personne ne m’empêchera de qualifier de magnifique – avec entre autres une mise en son qui me parait d’une telle justesse, d’un tel à propos (le fond et la forme main dans la main) – et de merveilleux – parce ce n’est pas tous les jours que je découvre et redécouvre sans cesse un disque, au point de le mettre en très bonne place dans mon tout petit firmament personnel, intemporel (et partial, cela va se soi). Une telle évidence que toutes les vérités ne sauraient la contenir. Sauf celle-ci : que faire d’un monde sans musique et, surtout, que faire d’un monde sans cette musique là, précisément ?

[Ecce Homo a été publié en CD par Les Disques Du Hangar 221 tandis que Atypeek music s’est occupé de la version numérique – pour l’instant aucune édition vinyle ne semble se profiler à l’horizon]

* ailleurs c'est juste là


jeudi 15 mars 2018

Peter Kernel / The Size Of The Night


L’expérience du jour. Je n’ai jamais vraiment apprécié les concerts de Peter Kernel. Aussi, le groupe entamant une nouvelle tournée à l’occasion de la parution de son quatrième album intitulé The Size Of The Night, me suis-je décidé à retourner le voir sur scène, sans doute pour la toute dernière fois. Peter Kernel c’est principalement Barbara Lehnhoff (chant, basse) et Aris Bassetti (chant, guitare) et je ne connais pas beaucoup de groupe qui joue autant avec l’intime. Que ces deux là forment un couple on n’en doute pas une seule seconde, Peter Kernel maniant les canons d’une pop noisy et arty aussi bien que la mise en scène de l’évidente complicité entre ses membres actifs. Je ne remets absolument pas en doute la sincérité affective des deux musiciens mais cela ne m’intéresse absolument pas : pour moi cela n’a strictement rien à voir avec de la musique.
Le débat sur la séparation nécessaire entre l’œuvre et son créateur ayant fait des ravages de tous temps, j’avoue également que puisque je suis généralement favorable intellectuellement à cette délicate dichotomie, le cas Peter Kernel me gêne profondément – je n’ai pas besoin de la permission d’entrer dans un peu de l’intimité de ces deux jeunes gens, de rire à leurs blagues (certes souvent très drôles), de me shooter à la bonne humeur d’une vie qui n’est pas la mienne et ne le sera jamais pour apprécier la musique de Peter Kernel. En concert, je parle donc de celui auquel j’ai assisté à Lyon le 14 mars 2018, j’ai eu trop souvent l’impression de participer à une réunion du club des Castor Junior, l’esprit boy-scout à son maximum – le groupe expliquant même que pour changer un peu et pour faire la nique à la stratégie marketing de sa boite de promotion, il envisageait de demander à un fan pris au hasard de poster la nouvelle vidéo du groupe en avant-première sur sa page f***b**k personnelle. L’idée m’aurait semblé amusante si je n’étais pas réfractaire à tant d’ingénuité démagogue. 




Mais parlons un peu de ce quatrième album. The Size Of The Night parait près de trois années après Thrill Addict qui reste l’enregistrement le plus accompli et le plus sophistiqué de Peter Kernel. Difficile de faire mieux ? Sans doute. Et ce ne sont pas les deux premières plages de The Size Of The Night qui convaincront du contraire : on y entend un certain retour à plus d’épure et on y goûte à tous les ingrédients qui ont fait le succès de Peter Kernel, voix à moitié criées façon si je t’attrape je te mords, lignes de basse et riffs de guitare simplistes, gimmicks mélodiques dotés de ventouses synaptiques, fausse déconstruction apparente de l’effort de composition. Mais cela ne fonctionne pas très bien, l’impression d’entendre les mêmes recettes prenant le pas sur le plaisir d’entendre des nouveaux tubes. Des tubes il y en a pourtant quelques uns sur The Size Of The Night – le plus que céleste Bad Luck et son successeur direct Drift To Death, on dirait que les guitares ont été passées à l’envers – mais ils n’ont ni la puissance juvénile de ceux, mémorables, de l’album White Death & Black Heart ni l’accomplissement irréel des meilleurs moments de Thrill Addict.
Devais-je m’attendre à quelque chose de vraiment excitant avec The Size Of The Night ? Sans doute que non mais son prédécesseur – je parle encore et toujours de Thrill Addict – ayant été cette bonne surprise brisant toutes les réticences de ma rochonitude naturelle, je m’étais pris au jeu et espérais sûrement un peu trop de ce quatrième album. Un album avec lequel Peter Kernel semble finalement définir les contours arrondis de son visage fardé à la poudre de vie, celui d’un groupe qui a trouvé son petit espace à lui, son biotope musical, son confort amoureux, un groupe qui arrive à tirer quelques pépites luisantes de bonnes intentions, mais qui n’arrive pas à sortir de son système. Peut-être que Peter Kernel arrivera encore à l’avenir à me surprendre ne serait-ce qu’un tout petit peu mais désormais je choisis de regarder ailleurs. Au moins jusqu’à la prochaine fois.

[le chien qui figure sur la pochette de The Size Of The Night s’appelle Harold et c’était celui de Barbara Lehnhoff quand elle était petite ; le disque est écoutable en intégralité sur la page bandcamp de Peter Kernel et a été publié en CD et vinyle avec pochette gatefold par On The Camper, le propre label du groupe]

dimanche 11 mars 2018

Jessica93 / Guilty Species


Evidemment ça a l’air tellement facile et jouissif de tailler en pièces un album comme Guilty Species et de dire tout le mal du monde de Jessica93. Mais c’est que le petit Geoff l’a bien cherché aussi, avec ses provocations naturelles : il est (encore) jeune, il est beau, il a des yeux magnifiques, il a toujours tous ses cheveux (même si désormais il devrait aller un peu plus souvent chez le coiffeur, maintenant qu’il en a les moyens) et en plus il est musicien – oula, quelle insulte. Ça commence à faire beaucoup pour les rageux et les jaloux. Lesquels ont toutefois souvent raison au sujet de sa tenue vestimentaire : dis-moi Geoff, quand arrêteras-tu donc de porter ces casquettes et ces anoraks ou ces vestes de survêts pour teenagers attardés ? Maintenant que tu tutoies le succès, il serait peut-être temps de grandir un petit peu, non, tu ne trouves pas ?





Et bien grandir c’est précisément ce qui est arrivé à Jessica93 pour l’album Guilty Species. La musique du groupe, sans évoluer intrinsèquement – elle se situe toujours dans une veine gothic rock à tendance noisy mais dansante – a pris énormément d’ampleur. La boite-à-rythmes est toujours plus en avant, à fortes connotations eighties et à tel point que Doktor Avalanche à côté c’est vraiment de la gnognotte ; fondamentalement elle construit un exosquelette invincible à l’usage d’une instrumentation basique mais imparable, y compris sur les titres lents et plus brumeux : deux guitares qui charcutent en mode velours piégé et une basse qui fait vroum-vrrroooummm tout le temps. Guilty Species a été composé pour un vrai groupe de trois musiciens, cela s’entend tout de suite et surtout cela a donné des ailes à Geoff qui continue de diriger le tout d’une main de maitre, posant ses textes acides avec toujours cette diction particulière (trainante mais pas tout à fait) et cette voix un peu nasale. Il est donc bel et bien terminé le temps où Jessica93 était un projet solo et bricolé (même efficacement) à grands coups de boucles, fini également le temps des tournées des caves humides et autres lieux malfamés en compagnie des affreux Judas Donneger. Place désormais au spectacle et à la luxuriance.

Je dois cependant avouer que j’ai eu un peu de mal au début avec Guilty Species. Je me rappelle encore très bien d’une conversation animée avec une amie très chère, encore une amoureuse de Geoff : je lui faisais part de toutes mes réticences, trouvant le disque un peu trop en mode superproduction, m’évoquant même par son côté kitschement caparacé ce que ce pays de suiveurs musicaux avait pu engendrer de pire dans les années 80, années si passionnantes mais trop souvent tellement caricaturales et sans fondements (Opéra De Nuit, par exemple). Or Il s’est avéré que Guilty Species est un album qui se bonifie avec le temps – à l’inverse de son prédécesseur Rise qui contrairement à son titre a fini par s’effondrer, parce que trop inégal et aux intentions trop évidentes, et que je n’écoute plus du tout. Il y a autre chose derrière toute l’efficacité rythmique et mélodique de Guilty Species, autre chose derrière toute cette rigueur bien ajustée et lisse comme l’asphalte brûlant d’une autoroute domaniale surfacturée au contribuable non-consentant. Jessica93 n’a pas froid aux yeux et sa musique n’est pas un bloc de glace maniéré, totalitaire et dépourvu d’âme. Des fois, tout comme il faut savoir lire entre les lignes, il faut savoir écouter entre les notes.

[Guilty Species a été publié en vinyle et CD conjointement par MusicFearSatan et Teenage Menopause]

samedi 10 mars 2018

Litige / Fuite En Avant


Il me semble que c’est Carlotta qui est à l’origine de la ressortie récente et en version restaurée de Sid And Nancy, film d’Alex Cox consacré à John Simon Ritchie aka Sid Vicious, à Nancy Spungen ainsi qu’à leur histoire désastreuse sur fond de défonce, de sexe et de musique, tous les clichés éculés de ce bon vieux rock’n’roll – les Sex Pistols bien sûr. De Sid And Nancy je ne me souvenais que de deux ou trois choses : j’avais vu le film à l’époque de sa première sortie en salles en 1986 (!) et je l’avais aimé contre l’avis du héros survivant John Lydon qui dans ses interviews d’alors lâchait à qui voulait bien l’entendre n’allez pas voir ce film, c’est une grosse merde. Au milieu des années 80 la légende du punk était encore très vivace, l’alterno français allait bientôt débarquer en force dans les cours de récréation des lycées et tout ce cirque paraissait tout naturel.
Par contre ce n’était pas forcément une très bonne idée de revoir ce film. J’avais oublié que dans Sid And Nancy une toute jeune Courtney Love (parfaitement reconnaissable, encore en mode never mind the botox), Iggy Pop, Coati Mundi ou Keith Morris et les Germs apparaissaient au détour d’une scène. Surtout j’avais oublié que ce film n’était qu’un désastre illustratif de complaisance bien loin du choc supposément déclenché par les Sex Pistols et toute la clique des punks anglais à partir du milieu des années 70. Gary Oldman qui tient le rôle-titre surjoue jusqu’à l’écœurement ; les faits d’armes de Sid Vicious ainsi que ceux des Sex Pistols y sont méticuleusement reconstitués – pourtant au cinéma la vérité des choses ne ressort jamais de leur simple imitation. La polémique sur Sid Vicious victime ou meurtrier, innocent ou coupable de la mort de Nancy Spungen (pour ça il faut demander l’avis de Wattie Buchan, je tiens de source sûre qu’il en a un) ne m’intéresse pas. L’avantage de revoir Sid And Nancy aujourd’hui, en 2018, c’est que le film coupe court à toute forme de nostalgie. Même les adolescents apprentis punks à chiens ne devraient trouver à Sid And Nancy qu’un intérêt limité, film aussi tiède que le fond d’une canette de bière crust.





Et il est là le miracle du punk. On s’en fout de savoir si c’est Richard Hell qui le premier a porté un t-shirt déchiré et rafistolé avec des épingles à nourrices. On s’en fout de savoir si les (géniaux, à leur débuts) Stranglers étaient des opportunistes, ou pas. On s’en fout que les Ramones avaient des cheveux longs et une logistique de groupe quasi militaire. On s’en fout des défilés de mode signés Vivienne Westwood. On s’en fout de qui a inventé quoi. Aujourd’hui le punk tel qu’il a été vendu n’existe plus depuis longtemps. Mais il peut merveilleusement s’incarner dans un groupe tel que Litige, sans complexe et avec du cœur.
Suite à une chouette démo publiée en 2015, le groupe a donc sorti son premier album fin 2017. Huit compositions (quatre tubes et quatre réussites), même pas vingt minutes, un titre de disque qui claque, une pochette qui nous parle comme du Raymond Pettibon, un enregistrement équilibré et dynamique – mille mercis pour les lignes de basse –, des compositions magnifiques dans le sens que même à moi elles me donnent envie de faire fi de mes rhumatismes, de me trémousser sur un pied et de hurluberluer au moment des chœurs. Du punk un brin poppy, de la rage qui doit sortir, aucune apologie, ni malveillante ni bienveillante, parce que des trucs à dire, surtout. C’est important.

[Fuite En Avant tourne en 45 tours et a été publié par Destructure records]