Voilà un disque
qui techniquement n’est pas nouveau : Stay Buried porte bien son nom puisqu’il traine sur les
internets depuis environ deux ans et qu’il a failli tomber à jamais dans
l’oubli de la sédimentation numérique pour finir écrasé en fin de liste sur un
serveur malaysien de seconde zone – l’Internationale Digitale sera le genre
humain. Mais les quatre CANYONS qui nous viennent de Kansas City
dans le Missouri ont choisi de persister et d’attendre que le label Reptilian records s’en mêle et
édite Stay Buried en version vinyle,
tout récemment donc (février 2022). Un disque finalement publié autant de temps
après sa conception et son enregistrement ne pouvait que bouleverser ma
vision supra-nombriliste de l’existence et mon rapport fébrile à la temporalité. Comme
si tout n’était déjà pas suffisamment compliqué comme ça.
Reprenons depuis le début. Est-ce comme si, de fait, le temps n’existait que pour nous autres, pauvres êtres humains ?
Ce serait l’évidence même, puisque la musique est précisément là pour nous le
rappeler en permanence (sic) et qu’elle nous sert de marqueur. A chacune et à chacun
sa façon de tromper l’ennemi : jouer de la musique parce qu’on a que ça à
foutre et que l’on n’a pas trop peur de se chier dessus ; ou se contenter
d’en écouter à longueur de journée ou de nuit parce que là aussi on n’a rien de
mieux à faire à part bailler aux corneilles en se faisant du bien tout·e seul·e
dans son coin (et ce ne sont pas les méthodes, délicieuses et/ou éprouvantes,
qui manquent). Fin de la parenthèse pseudo philosophico-métaphysico-existentielle,
maintenant parlons musique.
Les garçons de Canyons partagent avec leurs petits
camarades de label Intercourse le même penchant pour un hardcore épais,
puissant et lourd teinté de noise-rock. Sauf que sur Stay Buried la musique est vraiment beaucoup plus hardcore que
noise et que question rétropédalage jusqu’au tout début des années 2000 et
retour vers le futur sans avenir du metalcore, le groupe a tout bon et excelle
dans la manchette bourre-pif et le crochet à l’estomac. C’est pas fin et très
poilu, c’est court et concis, c’est assez monotone (le chant ne dévie jamais de
ses obligations dégurgitatives et glavioteuses), pas du tout du tout original
mais cela fonctionne carrément bien, même si la fin du disque part en sucette à
cause d’un titre au rabais et sorti dont on ne sait où*.
Et là on touche du doigt une autre caractéristique essentielle de toute
fantasmagorie musicale – spoiler : retour inexorable à la philosophie de
comptoir – car si j’apprécie la musique de Canyons
et Stay Buried, c’est parce qu’en
l’écoutant j’imagine volontiers le groupe donnant un concert dans un bar ou un
pub quelconque et un peu paumé (j’avais bien dit : « de
comptoir »), balançant des versions dantesques de Check Game, Endless Fiction
ou du génial Oil Change, transpirant
sang et houblon fermenté devant un public épars hésitant lui entre être éberlué
devant tant de violence ou boire un dernier verre pour terminer complètement
bourré et aller crever sur un bout du trottoir d’en face. Gueuler pour
communier contre la merde qui nous entoure et nous étouffe, ne serait-ce point
une autre façon de tuer le temps ? Oui, et je crois que c’est aussi l’une
des meilleures.
* le titre en question n’a pas été mis en ligne
et ne figure que sur le vinyle…