Je pense parfois que ce pays manque singulièrement de dignes – j’ai bien
écrit dignes – représentants de l’indie rock, ce genre musical tellement
populaire chez les trente-quarante-cinquantenaires éternellement adolescents mais
dont la réelle définition reste obscure et incertaine. Un truc un peu fourre-tout,
faussement mou ou pas vraiment énervé (c’est selon), un peu arty, un peu punk
(mal coiffé si tu préfères), toujours mélodique bien que souvent délicieusement
tordu, des fois sucré-acidulé et peut-être légèrement grungy sur les bords
(encore plus mal coiffé, mais différemment que chez les punks). Oui, bon, OK,
je caricature un peu, carrément beaucoup en fait, mais la nonchalance assumée
et la branlitude experte en matière de musique (tout en sachant plutôt ce que
l’on est en train de faire) sont deux choses difficiles à définir correctement
– on se poserait moins de questions avec un groupe de black metal complotiste ou
de goregrind zoophile, ça c’est sûr.
Et puis voilà que le nom de TARDIS
apparait sur les écrans des radars balayant les vortex spatio-temporels de
l’univers connu. Un groupe dont on nous dit que les quatre membres, une fille
et trois garçons, se partagent entre la France, la Belgique et le Luxembourg
mais que pour plus de facilité et par pure paresse – donc – on géolocalisera à
Nancy, à quelques dizaines de kilomètre de Metz, la ville où est basée son
label actuel, Les Disques de la Face Cachée. Il n’en a pas toujours été ainsi :
Never Grow Up est le deuxième LP de Tardis mais le premier, intitulé Machines Are Talking Behind Your Back et
datant de 2017, était lui sorti de façon complètement autoproduite, c’est à
dire sans l’aide d’aucun label, et il porte la référence Tardis001. Un bel
exemple de DIY.
Il m’est
impossible de parler de Never Grow Up
sans évoquer ce premier essai. D’abord j’ai découvert les deux en même temps et
une bonne partie des innombrables qualités de la musique de Tardis sont déjà
présentes sur Machines Are Talking Behind
Your Back. Le point essentiel étant que pour un premier album celui-ci
était d’une maturité incroyable – oui cette affirmation sonne paradoxalement
s’agissant d’une telle musique, volontairement juvénile – et contenait nombre
de chansons imparables et foutrement réussies. Tardis s’imposait comme une usine à tubes, maniant aussi bien la chaleur
pop que l’électricité alternative, le tout avec un sens affûté de la
composition et donnant une musique finalement pas si régressive que ça.
Quatre années ont passé : Tardis
tourne désormais à plein régime et les promesses faites sur Machines Are Talking Behind Your Back
sont plus que tenues avec Never Grow Up.
C’est là que l’on s’aperçoit que finalement le groupe ne saurait être trop
facilement catalogué et que son indie rock définitivement 90’s possède encore
plus de cordes à son arc qu’on pouvait le penser au départ (ce qui n’est pas
peu dire). Un peu de gras délicatement saturé, des mélodies qui coulent de
source, une énergie jamais gaspillée, ce qu’il faut de bizarreries séduisantes
(quelques zigouigouis électroniques et autres instruments additionnels), un
chant masculin un peu nasillard mais non dénué d’une emphase certaine donc souvent
interpelant et un chant féminin qui tombe toujours juste et au bon moment.
Never Grow Up c’est tout cela et
encore plus, beaucoup plus en fait qu’une tentative d’intrusion acnéique dans
le continuum temporel, bien que le nom du groupe tende à nous faire croire le
contraire – Tardis serait l’acronyme
de « Time And Relative Dimension In Space », du nom d’une machine à
remonter dans le temps utilisée par Doctor Who dans la série britannique des
années 60 du même nom. Indices quelque peu trompeurs, la pochette de l’album rappellera,
surtout par jeu, celle du Dirty de
Sonic Youth tandis que l’alternance couplet calme / refrain agité de Ragle Gumm et surtout French Movies Are Cinematic Guano évoquera
les vieux Pixies (ou Nirvana, on le sait bien). Et j’ai évidemment fait exprès
de ne citer que des groupes américains. Pourtant avec Never Grow Up Tardis
s’affranchit de la dimension indie US de sa musique grâce à toujours plus de
sophistication dans ses arrangements (At
The Arcade, le superbe Isolation Tank),
une production léchée à mille lieues du lo-fi indé et un niveau d’écriture
encore plus sublimé qu’auparavant (la pop y prend toujours plus de place, comme
sur Video Nasties et New Gods, New Stigmata – et au passage, jette
un coup d’œil sur les textes du groupe, d’une rare acuité).
Dit autrement, ce que ces jeunes gens perdent en américanismes, ils le gagnent
en se rapprochant singulièrement de la musique anglaise, encore celle des
années 90 – britpop mon amour – mais celle également du début des années 70, grâce
à ce lyrisme élégant hérité du glam flamboyant. Que du bonheur, si tu veux tout
savoir : Never Grow Up est un disque idéal pour se tenir
bien au chaud avec ses doudous fétiches et, personnellement, refuser de
grandir ne m’a jamais posé aucun problème.
[Never Grow Up
est publié en vinyle de couleur blanche nacrée (super beau) par Les Disques de la Face Cachée – quant à Machines Are Talking Behind Your Back, bien qu’édité à seulement 100
exemplaires, il semble qu’il est toujours disponible auprès du groupe ou de
quelques distros et revendeurs consciencieux]