vendredi 1 octobre 2021

Luggage : Happiness

 


 

Le bonheur selon LUGGAGE ? Je n’y crois pas une seule seconde et j’ai envie d’associer tout le second degré et toute la tristesse ironique dont je suis capable avec le titre de ce disque, parce que ça m’arrange : la musique de Michael Vallera (guitare et chant), Michael John Grant (basse) et Luca Cimarusti (batterie) continue de me toucher énormément. Je pourrais parler d’Adn musical ou de flux électriques glissant dangereusement le long de ma moelle épinière – un sujet qui chez moi prend beaucoup de place en ce moment – mais c’est bien plus profond et bien plus ancré que cela. Je n’ai aucune excuse.
Mais revenons-en au « bonheur »… Happiness est le quatrième enregistrement publié de
Luggage mais c’est aussi le premier mini album du groupe : seulement six compositions et dix neuf minutes de musique. Ce qui n’est absolument pas un problème. Comme à chaque fois, il se produit ce même phénomène miraculeusement collant et envahissant avec la musique du groupe… je peux écouter le même disque en boucle, passer des heures à le parcourir inlassablement, sans m’endormir dessus et sans rien faire d’autre. Tu pourrais supposer qu’il s’agit d’un comportement obsessionnel et peut-être même complètement maladif et tu aurais raison. Mais j’assume. Et encore plus que Three (2017) et Shift (2019), Happiness me fait exactement le même effet, malgré donc sa courte durée.
Placé en ouverture, le morceau titre aurait pu être une composition de Slint. Mais ce n’en est pas une. N’importe qui ne pourra qu’admettre l’apparente filiation mais il y a des détails qui changent tout : les micro-larsens qui cisaillent l’air, les petits roulements de batterie, la précision affichée, la tension qui monte aussi rapidement qu’elle peut redescendre, sans aucune mollesse ni effet brouillard… Il y a un côté très volontariste chez
Luggage, une volonté et une affirmation exprimées malgré tout avec distinction et finesse et réellement spécifiques au groupe. Lie Design et Wealth – qui s’achève sur un fade-out plein de promesses – sont deux compositions particulièrement entrainantes tandis que Fear gagne en profondeur et en trouble grâce à quelques notes de lap steel en embuscade et jouées par Michael John Grant. Et même si l’ambiance générale n’est pas à la fête, même si la mélancolie pointe régulièrement le bout de son nez, chez Luggage on sait ce que signifient les mots présence et chaleur. Happiness est ainsi un disque moins glacé, disons qu’il est évite habilement la problématique embarrassante des petits courants d’air frais qui génèrent des frissons parfois trop prévisibles (ce qui n’empêche pas Idiot Bliss de provoquer par contre un sentiment de malaise assez pesant).
Donc Luggage s’affranchit de toute référence encombrante grâce à son sens très personnel de l’intensité et Happiness est un enregistrement débarrassé de tout complexe neurasthénique, un enregistrement encore plus habité que ses prédécesseurs bien que d’apparence encore plus minimale et désossée. Pourtant Luggage s’inscrit toujours dans une vraie tradition, celle commune à moult formations made in Chicago. Encore une fois enregistré au Electrical Audio avec l’aide technique de Jeremy Lemos – pour ses deux disques précédents le trio avait travaillé avec Matthew Barnhart – mais toujours avec le fidèle Bob Weston au mastering, Happiness possède ce son sec et aride de beaucoup de groupes du coin. Un son reconnaissable entre mille mais que Luggage transcende et même domine plus que jamais. Légataires et tributaires comme tant d’autres d’une longue histoire, les trois musiciens réussissent peut-être à en être les seuls héritiers dignes de ce nom : écouter et apprécier à sa juste valeur Happiness c’est reconnaitre en Luggage un groupe unique et incomparable.

[
Happiness est publié en vinyle et en CD par Husky Pants record]