Les réseaux
sociaux c’est vraiment formidable, non ? Grâce à eux j’apprends plein de
trucs essentiels et même des fois de toute première importance. Par exemple,
que Darby Crash et Bryan Ferry sont carrément nés le même jour (mais pas la
même année, hein). Ainsi le dimanche 26 septembre dernier j’ai vu fleurir sur
les internets des hommages larmoyants et réactionnaires avec photos à l’appui
d’un jeune punk complètement tête brûlée mort beaucoup trop tôt d’une overdose
suicidaire et d’un vieux-beau dandy so british, amateur de petits déjeuners à la française et malgré tout encore vivant et encore bankable pour sa maison de
disques.
Je reconnais que raconter tout cela n’a strictement aucun intérêt si ce n’est
celui de résumer l’incongruité d’un monde qui s’intéresse plus aux détails nés
du hasard – un des effets collatéraux de la sérendipité – qu’au fond des choses :
bien que chanter ne soit pas le terme
le plus approprié et bien qu’il ait souvent été trop bourré ou trop défoncé
pour réellement y arriver, on peut et on doit affirmer que Darby Crash chantait
dans rien de moins que l’un des groupes les plus
importants et les plus géniaux de la scène punk hardcore de Los Angeles au
tournant des années 70/80 (The Germs). Tout comme on peut aussi affirmer que
Bryan Ferry chantait dans l’un des meilleurs groupes de glam anglais des années
70 (Roxy Music).
Tout le reste ne devrait pas exister. Que The Germs se soient reformés – sans
Darby Crash évidemment – une première fois dans la deuxième moitié des années
2000 puis une seconde, beaucoup plus brièvement, dans les années 2010, n’a
semble-t-il pas choqué grand-monde… Et apparemment il est plus facile de
célébrer un type mort il y a plus de 40 ans que de se demander pourquoi depuis
au moins une bonne quinzaine d’années maintenant beaucoup de punks ou supposés
comme tels font comme les chanteurs de variétés et de heavy metal : ils
reforment les groupes qu’ils avaient du temps de leur splendeur, ils remontent
sur scène devant un public transgénérationnel et gentiment familial, ils
chantent à nouveau leurs vieux succès et ils espèrent capitaliser sur la
nostalgie. Moi aussi je suis nostalgique : je peux aimer et donc écouter
des musiques d’une époque où je n’étais même pas né ou alors encore trop gamin
pour m’y intéresser. Mais je fais ça tout seul dans mon coin, en écoutant des
disques, des fois en regardant des vidéos de concerts (mais je n’aime pas
beaucoup ça, les vidéos de concerts) et c’est tout. La nostalgie musicale ce
n’est que de la masturbation, quelque chose qui éventuellement peut se
pratiquer à deux alors que se masturber collectivement en groupe pendant un
concert c’est juste pas possible (pour ça il y a les évènements sportifs ou les
cérémonies religieuses, beaucoup plus efficaces).
Mais j’en oublie l’objet de cette chronique : DANIEL MENCHE.
Ce type est un musicien et un agitateur de génie. Et en plus il est toujours
vivant, ce qui ne gâche rien. Ce qui ne gâche rien non plus c’est l’humour du
monsieur et notamment l’utilisation qu’il fait des réseaux sociaux – nous y
revoilà. Son compte Instagram est l’un de ceux que je suis avec le plus
d’assiduité : Daniel Menche y
met régulièrement en scène son chien – c’est un chihuahua et il s’appelle Arrow
– avec des commentaires souvent loufoques et une fausse candeur désopilante.
Cela donne des trucs du genre « Arrow au milieu des massifs de fleurs dans le
jardin de mon voisin », « Arrow déguisé en biche », « Arrow prend le bateau »,
« Arrow aime le harsh noise », etc. L’un de mes posts préférés est celui du 8 août 2018 dans
lequel Menche annonce fièrement qu’Arrow vient de gagner un concours de beauté
(?) pour chiens. Toutes mes félicitations.
Et puis de temps
en temps Daniel Menche donne de ses
nouvelles musicales (quand même). Et là je me jette dessus, comme sur ce Dirge publié au
printemps dernier par Ferns recordings et qui présente une longue pièce bruitiste enregistrée à l’aide
d’un piano à queue incliné sur le côté et dont les cordes sont frottées par des
crins de cheval placés entre afin de « broyer » les harmoniques tirées de
l’instrument – détail supplémentaire : pendant ce temps là une brique
bloquait bien comme il faut la pédale « forte », celle qui agit sur le sustain.
L’histoire ne dit pas si le piano s’en est sorti indemne. Quant à Dirge, il s’agit un disque qui s’écoute
très – très – fort, histoire de bien pouvoir gouter au broyage en question,
d’apprécier pleinement toutes les nuances d’harmoniques ainsi produites et de
partir complètement ailleurs. Merci les internets pour le tip et merci beaucoup
Daniel, tu es bien plus punk dans l’âme et dans l’esprit que tous les gugusses
qui préfèrent se souvenir artificiellement de choses et de personnes qu’ils n’ont pas connues de
leur vivant et qu’ils ne connaitront jamais qu’à travers le prisme d’un miroir
déformant.