La présentation
d’Abandon est d’une méticulosité affinée
et d’une rigueur redoutable qui me laissent sans voix mais surtout béat d’admiration.
Tout dans le soin apporté au graphisme et au contenu de la pochette et de l’insert
impressionne, même le vieux ronchon psychorigide et maniaque que je suis.
Chaque intervenant·e et chaque personne impliqué·e dans le deuxième (troisième ?)
album de MILKILO
est dument mentionné·e ou remercié·e selon un ordre étudié, avec une police de caractères
précise, un souci permanent d’homogénéité et un (chouette) esprit d’unicité et de partage. Tout y est. Sans oublier les belles
photos – signées Marina Uzelac
– porteuses d’un flou très poétique et de mouvements lumineux. Et si tu es du
genre bordélique et que tu ranges tes vinyles n’importe comment sur ton étagère
(ou pire, malheureux hérétique, si tu les laisses trainer n’importe où) le nom
du groupe et le nom du disque ont été imprimés sur les trois tranches fermées
de la pochette. C’est imparable.
Milkilo est un duo instrumental basse/batterie de Saint Etienne. Sa musique est très monolithique et
imagée, très construite et architecturée, variée et haletante comme une
course-poursuite. Du foisonnement, beaucoup d’idées qui fusent et de
choses/impressions/sensations à faire passer mais pas n’importe comment. On
peut lire dans l’insert que la composition et la conception d’Abandon auront pris plus d’une année au
duo, s’étalant entre 2019 et 2020. Et cela se sent : là aussi rien ne
semble avoir été laissé au hasard, chaque élément est à sa place, chaque
rebondissement musical est comme scénarisé, chaque intervention, chaque
apparition d’une sonorité nouvelle s’intègre dans l’ensemble, soit en soulignant
le mouvement général, soit en faisant contrepoint et marquant le début d’une
nouvelle phase. Difficile de faire plus cinématographique que la musique de Milkilo mais cependant celle-ci n’a que
peu – voire pas du tout – de points communs avec le post rock et à peine plus
avec le post hardcore. Bien que le groupe utilise quelques éléments ascensionnels
propres à ces musiques là et bien que le mastering du disque ait été confié à
Magnus Lindberg de Cult Of Luna.
Les neufs titres d’Abandon sont
relativement courts pour de la musique instrumentale (entre quatre et cinq
minutes, Qirmzi descend même aux
alentours de deux) et ne perdent donc pas de temps, comme toute bonne
composition de rock qui se respecte et qui respecte ses auditeurs. Il est clair
que les deux musiciens préfèrent les déchainements électriques aux
développements progressifs et chez Milkilo
on tient avant tout aux notions d’impact et d’emprise, malgré toute la
sophistication et toute l’attention apportées – ces deux là jouent un peu comme
des brutes de technique : le bassiste taquine même de la cinq-cordes. Le
vocabulaire employé est très large, alliant lourdeur, épaisseur, moments
épiques, turbulences, fulgurances, faux-plats, aérations/dégazages ou
chausse-trappes, tout en ne s’interdisant pas quelques fantaisies bien trouvées
(les résonances black metal de Matze).
La seule constante d’Abandon – hormis
son caractère hautement énergétique – c’est sa puissance mélodique. Jamais Milkilo ne tombe sciemment
dans le bruit pur ou le chaos facile à l’usage des sourds et l’explosivité de
sa musique révèle une abondance de trajectoires hautes en couleurs et en variations
de volumes et de formes qui toutes convergent en un point que seuls les deux
musiciens semblent connaitre… Mais à aucun moment non plus je me suis senti manipulé à
l’écoute du disque et, bien au contraire,
j’ai suivi la seule voie qui s’ouvrait devant moi : celle de l’abandon
dans la musique (oui).
[Abandon est publié en
vinyle (le mien est bleu/vert transparent mais il existe plusieurs versions,
toutes à tirage limité et numéroté) et en CD (couleur cédé) par Araki records, Bad Health records, Itawak records et Vox Project – respecter l’ordre
alphabétique c’est important]