mercredi 13 octobre 2021

Bummer : Dead Horse

 

C’était plié d’avance : la publication en septembre 2020 par Thrill Jockey d’un 7’ partagé entre les affreux et hyperactifs The Body et BUMMER ne faisait qu’annoncer l’arrivée fracassante de ces derniers au sein d’un label – tout de même maison de Tortoise comme de Thalia Zedek – qui n’en finit pas de se diversifier. Le trio de Kansas City rejoint ainsi les gros-du-bide Eye Flys dans la catégorie attention ça va faire mal, option overdose de lipides et distribution générale de postillons. Les complétistes noteront cependant que le titre False Floor qui apparaissait sur le susnommé split single figure également – certes dans une version un peu différente – au tracklisting de Dead Horse, le tout nouvel album de Bummer (toujours chez Thrill Jockey, donc). J’aime bien chipoter.
Mais commençons par la pochette et cette superbe peinture intitulée Sense Titol, une œuvre signée Joan Lalucat Vehil. J’ai d’abord pensé à un visage effrayé qui aurait été peint par un Shahda gothique avant d’y voir comme une version fantomatique de la Méduse. Je l’imagine très bien, cette chevelure de serpents menaçants et affamés qui encadrent cette tête émergeant du goudron, une face blafarde que l’on a du mal à trouver réellement monstrueuse et dont finalement on ne sait pas si elle exprime une peur insondable ou si elle cherche à susciter cette même peur chez celui ou celle qui la regarde. Un peu des deux, je crois, comme si ce masque chargé de terreur découvrait son reflet et double dans le miroir de nos yeux. Du coup c’est nous qui nous posons des questions, comme lorsque au cinéma un personnage à l’écran nous agrippe en nous lançant un regard-caméra.







Musicalement Dead Horse reprend les choses là où Bummer les avaient laissées avec ses précédents enregistrements, le gros (gros) son en plus, même si le groupe n’a jamais été avare en débordements soniques et en déflagrations noise. Composé du guitariste et chanteur Matt Perrin, du bassiste Mike Gustafson et du batteur Sam Hutchinson – soit la formation classique du trio noise-rock – Bummer n’est apparemment que peu enclin à faire dans le détail ou dans la finesse. Les amateurs seront donc satisfaits par un disque de facture classiquement bourrine (bourrinement classique ?) où les surprises, bonnes ou mauvaises, ne sont pas de mise et où les ingrédients de base sont archi-connus. Ça passe ou ça casse et dans mon cas ça passe parce que la noirceur et la violence opiniâtre de Dead Horse arrivent à combler mon petit gros déficit existentiel personnel. On remarquera quand même quelques coquetteries (des samples de vieux films dont les notes de l’insert nous indiquent qu’ils sont tombés dans le domaine public depuis des lustres) et des invités de marque aux backing vocals (rien de moins que Matt King de Portrayal Of Guilt sur un titre et l’immense Sean Ingram de Coalesce sur deux autres).
En ce qui concerne plus particulièrement le chant principal et comme souvent avec les groupes de la trempe de Bummer, celui que l’on peut entendre sur Dead Horse est l’élément le moins intéressant du disque. Dans son genre à lui Matt Perrin s’en sort très bien, c’est un braillard aguerri et colérique mais il manque singulièrement d’originalité et de nuances. Comparer est toujours un peu trop facile mais Jesus Lizard avec David Yow, Kevin Whitley avec Cherubs ou – plus contemporain et beaucoup plus proche musicalement de Bummer – ILS avec Tom Glose font toute la différence. On aurait vraiment pu en attendre davantage de la part de Matt Perrin parce qu’on sait aussi qu’il en est capable, la preuve : le chant sur Magic Cruel Bus est de loin le plus nuancé de tout l’album et c’est surtout une vraie réussite. Si on ne rechignera jamais devant de belles gueulantes bien ajustées on peut aussi affirmer qu’ici la teneur et la couleur générales du chant lead ne font pas assez pour l’identité d’un groupe qui joue par ailleurs une musique aussi marquée stylistiquement. Mais là encore je chipote : Bummer et Dead Horse figureront sans aucun doute dans le Top 10 de l’année 2021 des groupes et albums de noise-rock pur et dur.

[Dead Horse est publié en vinyle, CD, etc. par Thrill Jockey]