C’était plié
d’avance : la publication en septembre 2020 par Thrill Jockey d’un 7’ partagé entre les
affreux et hyperactifs The Body et BUMMER ne faisait qu’annoncer l’arrivée
fracassante de ces derniers au sein d’un label – tout de même maison de
Tortoise comme de Thalia Zedek – qui n’en finit pas de se diversifier. Le trio
de Kansas City rejoint ainsi les gros-du-bide Eye Flys dans la catégorie
attention ça va faire mal, option overdose de lipides et distribution générale
de postillons. Les complétistes noteront cependant que le titre False Floor qui apparaissait sur le susnommé
split single figure également – certes dans une version un peu différente – au tracklisting de Dead Horse, le tout nouvel album de Bummer (toujours chez Thrill Jockey, donc).
J’aime bien chipoter.
Mais commençons par la pochette et cette superbe peinture intitulée Sense Titol, une œuvre signée Joan Lalucat Vehil. J’ai d’abord pensé à un
visage effrayé qui aurait été peint par un Shahda gothique avant d’y voir comme
une version fantomatique de la Méduse. Je l’imagine très bien, cette chevelure
de serpents menaçants et affamés qui encadrent cette tête émergeant du goudron,
une face blafarde que l’on a du mal à trouver réellement monstrueuse et dont
finalement on ne sait pas si elle exprime une peur insondable ou si elle cherche
à susciter cette même peur chez celui ou celle qui la regarde. Un peu des deux,
je crois, comme si ce masque chargé de terreur découvrait son reflet et double dans
le miroir de nos yeux. Du coup c’est nous qui nous posons des questions, comme
lorsque au cinéma un personnage à l’écran nous agrippe en nous lançant un
regard-caméra.
Musicalement Dead Horse reprend les
choses là où Bummer les avaient laissées avec ses précédents
enregistrements, le gros (gros) son en plus, même si le groupe n’a jamais été
avare en débordements soniques et en déflagrations noise. Composé du guitariste
et chanteur Matt Perrin, du bassiste Mike Gustafson et du batteur Sam Hutchinson –
soit la formation classique du trio noise-rock – Bummer n’est apparemment que peu enclin à faire dans le détail ou
dans la finesse. Les amateurs seront donc satisfaits par un disque de
facture classiquement bourrine (bourrinement classique ?) où les
surprises, bonnes ou mauvaises, ne sont pas de mise et où les ingrédients de
base sont archi-connus. Ça passe ou ça casse et dans mon cas ça passe parce que
la noirceur et la violence opiniâtre de Dead
Horse arrivent à combler mon petit gros déficit existentiel
personnel. On remarquera quand même quelques coquetteries (des samples de vieux
films dont les notes de l’insert nous indiquent qu’ils sont tombés dans le domaine
public depuis des lustres) et des invités de marque aux backing vocals (rien de
moins que Matt King de Portrayal Of Guilt sur un titre et l’immense Sean Ingram
de Coalesce sur deux autres).
En ce qui concerne plus particulièrement le chant principal et comme souvent
avec les groupes de la trempe de Bummer, celui que l’on peut entendre sur Dead Horse est l’élément le moins
intéressant du disque. Dans son genre à lui Matt
Perrin s’en sort très bien, c’est un braillard aguerri et colérique mais il
manque singulièrement d’originalité et de nuances. Comparer est toujours un peu
trop facile mais Jesus Lizard avec David Yow, Kevin Whitley avec Cherubs ou –
plus contemporain et beaucoup plus proche musicalement de Bummer – ILS avec Tom Glose font toute la différence. On aurait vraiment
pu en attendre davantage de la part de Matt Perrin parce qu’on sait aussi qu’il
en est capable, la preuve : le chant sur Magic Cruel Bus est de loin le plus nuancé de tout l’album et c’est surtout une vraie réussite. Si on
ne rechignera jamais devant de belles gueulantes bien ajustées on peut aussi
affirmer qu’ici la teneur et la couleur générales du chant lead ne font pas assez pour
l’identité d’un groupe qui joue par ailleurs une musique aussi marquée
stylistiquement. Mais là encore je chipote : Bummer et Dead Horse
figureront sans aucun doute dans le Top 10 de l’année 2021 des groupes et
albums de noise-rock pur et dur.
[Dead Horse est publié en vinyle, CD, etc. par Thrill Jockey]