L’un des groupes parmi
les plus indéfinissables du moment s’appelle THE GRASSHOPPER LIES HEAVY et il nous vient du Texas. On avait connu le trio de San
Antonio adepte de post rock, de post hardcore instrumental, d’ambient-drone, de
pipo-bimbo, de noise-rock et, plus récemment encore, il s’était acoquiné avec la chanteuse de Capra pour nous torcher une reprise assez hallucinante de Jesus
Lizard. Oui, rien que ça : il faut déjà avoir un certain courage pour
s’attaquer à un tel monstre du noise-rock made in Chicago mais il faut surtout
un sacré culot pour carrément oser reprendre
Mouth Breather, l’un des chefs-d’œuvre
absolu de la bande à David Yow et Duane Denison. Autrement dit The Grasshopper Lies Heavy est non
seulement insaisissable mais en plus le trio a vraiment peur de rien. Pas très
étonnant qu’il ait choisi un nom de groupe faisant explicitement référence à l’écrivain Philip
K. Kick, le maitre paranoïaque des faux-semblants, des chausse-trappes et du
vertige existentiel.
A Cult That Worships A God Of Death
est le premier véritable album de The Grasshopper Lies Heavy depuis bien longtemps, ce qui ne signifie pas que James
Woodard (guitare, chant et synthétiseur), Mario Trejo (basse) et Steven Barrera
(batterie) se fassent rares – au contraire ils ont multiplié EP, 12’, cassettes
et autres splits au cours des dix dernières années. Il s’agit également du
disque le plus « classique » du groupe, c’est-à-dire que ce n’est ni
un enregistrement en forme de collaboration ni un enregistrement ouvertement expérimental.
Question brutalité et intensité électrique A
Cult That Worships A God Of Death se pose carrément là, développant, du
moins dans un premier temps, le côté le plus noise-rock et le plus post
hardcore d’une musique toujours aussi riche en rebondissements.
Techniquement l’album se divise en deux parties distinctes : si on excepte
son intro instrumentale et sournoise (Untitled)
la première ne comporte que des compositions avec du chant – un bon gros chant
de barbare sans pitié et qui fait peur. Ce chant, pas très fin tu l’auras bien
compris, ne remplit pas tout l’espace disponible et laisse beaucoup de place à
des passages instrumentaux surchargés en tension dramaturgique et débouchant
sur des climax abrupts ou savamment frustrants (Charging Bull). La seconde partie d’A Cult That Worships A God Of Death est elle purement instrumentale
et, outre le morceau-titre assez génial, ne comporte que deux autres
compositions. The Grasshopper Lies Heavy
y laisse libre cours à son imagination dévastatrice et – même si on n’était
jusqu’ici pas très familier avec le musique du groupe – on reconnaitra le
penchant très narratif et cinématographique du trio, ce côté volontiers imagé
que l’on avait déjà bien perçu sur la première partie du disque. Si par contre on
avait déjà eu vent des débordements en tous genres de The Grasshopper Lies Heavy (sur le split 12’ avec Gay Witch
Abortion par exemple), on ne sera peut-être pas surpris par ces trois
instrumentaux mais on sera une nouvelle fois estomaqué par la puissance
imaginative et libératrice développée par la musique du trio, une puissance qui
prend ici toute sa folle démesure (et à ce niveau là A Cult That Worships A God Of Death, Bullet Curtain et サウンドチェック me
semblent être sans égal au sein d’une discographie pourtant déjà très riche).
Les trois musiciens ne sauraient donc se contenter de n’être qu’une formation parmi
tant d’autres de noise-rock saturé de gras et de distorsion et adepte de
l’urgence – après tout, le Texas a toujours été une pépinière en la matière
– car on sent bien que les élucubrations
presque progressives de leurs compositions instrumentales (ou des
passages instrumentaux de leurs compositions chantées) constituent leur principale et
profonde motivation. Toute l’intelligence musicale de The Grasshopper Lies Heavy réside dans un appétit vorace et une
insatiabilité finalement bien maitrisés où raison et déraison s’interpénètrent
sans que l’on puisse tout à fait les départager – et cela aussi me fait penser
à du Philip K. Dick.
[A Cult That Worships A God Of Death n’est pour l’instant
disponible qu’en CD – ainsi qu’en format numérique pour les personnes non
fétichistes – mais il devrait un jour bénéficier d’une édition vinyle grâce au
valeureux label Learning Curve records
dont on est très content ici qu’il reprenne enfin du poil de la bête]