Ça grince,
couine, ralentit, part de travers, trépigne, accélère, donne volontairement des
fausses informations ou des faux espoirs, projette des giclées d’étincelles
dans la nuit noire, fait sauter les plombs et le disjoncteur de l’installation
électrique, détraque tous les appareils
alentour et… et… WHITE SUNS ou le coté obscur de la musique expérimentale. Celle
qui ne te laisse jamais tranquille, te plante des cailloux dans la tête et
t’interdit de sourire. The Lower Way
est le cinquième album du trio new-yorkais (le précédent album Psychic Drift avait été enregistré à
deux pour un résultat beaucoup plus électronique), un groupe déjà passé par des
labels tels que ugEXPLODE, Load records et The Flenser, une belle carte de
visite. Aussi belle que la photo en noir et blanc qui illustre l’insert de The Lower Way : on y voit Kevin
Barry, Dana Matthiessen et Rick Visser sur scène, en plein concert. Pendant que
l’un martyrise une guitare un autre manipule des pédales d’effet et le
troisième est tout absorbé par ce qui me semble être un synthétiseur modulaire.
On ne voit pas le public mais on devine malgré tout au premier rang une
personne qui a l'air de se boucher les oreilles. Voilà.
La musique de White Suns est totalement brutale.
Elle rejoint certaines préoccupations de groupes tels que The Dead C. (la
branlitude en moins) et le Sister Iodine de la deuxième période mais en moins
bruitiste. Avec aussi une pointe de Missing Foundation (New-York oblige). Le
propos est précisément de ne pas avoir de propos intelligible, de ne pas
composer de chansons, de bannir toutes formes de mélodies, de s’interdire toutes
structures conventionnelles, de faire du bruit et encore du bruit mais surtout
de déranger et de provoquer l’inconfort. On peut lire quelque part que le trio
fait de l’antirock music et effectivement White
Suns reprend parfois quelques éléments (re)connus de musique pour les
tordre, les maltraiter, les torturer. Dès que l’on pense pouvoir retrouver ou
définir un élément acceptable – une voix qui braille dans l’obscurité plus de
deux minutes, un rythme qui se répète ou qui se déchaine, une guitare qui
décolle… – celui-ci est systématiquement et sadiquement saboté et s’écrase en
plein vol. White Suns a
littéralement inventé la musique d’ascenseur qui se détache entre deux étages et
se précipite dans le vide en rebondissant contre les parois de la cage d'un immeuble
avant de se crasher tout en bas de celle-ci (avec nous à l’intérieur, cela va
de soi).
Mais je crois que le trio joue préfère surtout jouer avec nos nerfs.
L’agression sonore n’est pas tant dans sa révélation – et phase d’autocombustion
– que dans l’attente souvent intolérable de celle-ci. Pour en revenir au
descriptif du début de cette chronique : ça grince, ça couine, frotte,
patine même si White Suns peut aussi
la jouer franc (Dawn Raid aurait
presque pu faire l’objet d’un hit-single). Les explosions, puisqu’il y en a
malgré tout, nous libèrent de rien et surtout pas de l’attente. On sait que
derrière il y aura encore ces interminables couloirs tapissés de malaises
cardiaques et d’accidents cérébraux qui déboucheront sur de nouveaux corridors
qui eux-mêmes, etc. Personne ne dira que les choses vont pouvoir s’améliorer.
[The Lower Way est publié en vinyle
par Decoherence records]