lundi 13 septembre 2021

Tachycardie : Sommé·e




 

Je consulte avec toute la fausse monchalence dont je suis capable mon agenda culturel favori pour trouver des concerts qui pourraient m’intéresser prochainement : j’essaye tant bien que mal de m’organiser en conséquence parce que depuis quelques temps je suis un peu, vraiment, vraiment lent (mais toujours aussi flippé). Je tombe sur le nom de TACHYCARDIE* et là j’ai comme une sorte de double flash, me rappelant précisément d’un excellent concert d’il y a presque deux ans à Grrrnd Zero et d’un album, Probables, le tout premier enregistrement jamais publié par ce projet sorti de l’imagination semble-t-il intarissable de Jean-Baptiste Geoffroy.
Je ne vais pas encore refaire les présentations, les mondanités et les accolades ce n’est toujours pas mon truc et pas du tout mon genre. Mais je préciserai malgré tout que, depuis la dernière fois où je me suis intéressé au cas d’un garçon que tout le monde connait surtout comme le batteur foutraque de Pneu ou de Papaye, celui-ci n’a pas arrêté de multiplier les collaborations. Je citerai deux formations qui ont chacune publié un album cette année : Institutrice avec Eric Bentz (ex-Electric Electric) et, surtout, United Colors Of Black Metal, un autre duo cette fois-ci en compagnie de Guillaume Brot de Llamame La Muerte et Tu Brules Mon Esprit (et même Ânes Et Bateaux, rappelle-toi…). Encore un stakhanoviste à la cool.
JB est connu pour sa frappe de caisse claire très particulière, très sèche, très rapide et perçante, au point de rendre les batteurs de grind forcément un peu jaloux face à tant de dextérité du poignet et tant de persévérance au service de la transe électrique. Inutile de polémiquer : on aime ou on n’aime pas ce jeu dense et épileptique. Moi j’aime, c’est tout. Et toute cette science physique du chargement spatio-temporel à grands coupes de rafales percussives et de cascades rythmiques se retrouve évidemment dans Tachycardie.
A la différence de Probables qui était pour moitié consacré à la musique très répétitive et minimale (presque contemporaine) du Tachycardie Ensemble, Sommé·e est entièrement dédié à l’exercice en solo. Et des fois je me demande vraiment comment JB arrive à faire autant de trucs en même temps – touk tak tik touk takatak tok – et surtout avec une telle constance. Il ne joue pas d’une batterie classique (une quoi ?) mais de multiples percussions, parfois plus étonnantes les unes que les autres, comme de la céramique, du bois et même des coquilles d’huitres (?). Il y rajoute des sons extérieurs – je veux dire non percussifs – avec notamment un synthétiseur analogique bricolé et quelques autres trucs indéfinissables.
Le propos reste essentiellement pulsatif, la musique de Tachycardie remplit inlassablement tout l’espace disponible mais pas à la façon d’un robinet de baignoire que l’on aurait malencontreusement oublié de fermer (genre c’est la catastrophe mais surtout l’ennui), plutôt comme une machine à laver en pleine surchauffe d’essorage qui ferait un concours d’atomisation du cosmos avec un four à micro-ondes bourré à l’aluminium (après tout, pourquoi pas ?). Et le monde rythmique a priori très ordonné, millimétré et séquencé de Tachycardie finit fatalement par se détraquer, se dérégler et se reconstituer autrement, peu à peu submergé par des vagues circulaires et hypnotiques, s’échappant d’une logique de rouages et d’articulations pour s’engouffrer dans un univers parallèle où la lévitation et la télékinésie deviendraient le nouveau langage commun. Sommé·e c’est donc un peu comme si Brian Chippendale réinterprétait le Ryanji de John Cage à la sauce centrifugeuse. On peut difficilement faire aussi proche de la surchauffe permanente et aussi proche du zen rassurant.


[Sommé·e est publié en vinyle par Un Je Ne Sais Quoi] 

* pour info et pour les habitant·e·s de Lyon et alentours, Tachycardie est en concert ce mercredi 15 septembre au Périscope