jeudi 25 mars 2021

Louis Jucker / Something Went Wrong


 


 

Lorsque j’écoute un album solo de LOUIS JUCKER je m’imagine toujours la drôle de tête que va faire celle ou celui découvrant pour la première fois la musique du chanteur / guitariste de Coilguns. Mais ne soyons pas intolérants ni obtus et d’ailleurs je ne le suis pas – enfin, pas tout le temps non plus. Bref... il n’y a strictement aucun rapport entre ce que fait le groupe suisse de hardcore noise et ce que fait Louis tout seul. Mais c’est tant mieux, non ?
Pour ma part j’en étais resté à Kråkeslottet, son gros os de baleine, la Norvège, le cercle arctique et les compositions intimistes du jeune homme. Et l’envie d’en entendre bien davantage. Kråkeslottet est un disque très court, presque un instantané. Something Went Wrong a beaucoup plus de quoi combler mon appétit avec ses trente cinq minutes. Mais au fond rien de change. Ce nouvel album possède la même fragilité – disons plutôt le même caractère ténu et aérien – et la même grâce diaphane que son prédécesseur. Et beaucoup plus de lumière. Enregistré au cours du mois d’aout 2018, encore une fois en solitaire ou presque, à l’aide d’un huit-pistes et avec une instrumentation souvent très sommaire, Something Went Wrong peut être appréhendé comme une sorte de journal intime. La première chanson intitulée 31 Years Of Waiting For This évoque d’ailleurs directement l’âge du chanteur au moment de l’enregistrement. On est donc en plein dedans. Comme lorsqu’on regarde le portrait de Louis Jucker sur la pochette du disque. Une photo prise par Augustin Rebetez qui signe également la série des beaux polaroids qui illustrent l’épais livret joint au disque. Les yeux fermés. Après tout, lorsque on se décide à s’ouvrir autant et à livrer beaucoup de soi au travers de sa musique il n’y a sans doute pas d’autre solution que celle là.
Fermer les yeux c’est aussi et surtout ce que l’on est invité à faire en écoutant Something Went Wrong. Un disque dont le caractère intérieur et profond n’est pas altéré par le titre pourtant pessimiste voire négatif du disque. J’ai cherché un début d’explication à un tel titre dans les paroles des chansons et les notes du livret mais je ne l’ai pas vraiment trouvée… En fait je ne vois que celle, assez commune pour tout dire, d’une vie qui n’apporte jamais tout ce que l’on pense pouvoir attendre d’elle, si on se laisse aller (le tout étant de s’en rendre compte). Crise de la trentaine ou pas pour Louis Jucker je n’en sais rien mais Something Went Wrong semble déborder de questionnements existentiels.
Enregistré à la maison, c’est-à-dire dans un chalet des montagnes suisses et non pas en voyage/itinérance et dans un pays lointain, voilà un album qui assemble tout doucement les pièces d’un repli introspectif, pas forcément évident mais nécessaire et inévitable pour son auteur – peut-être est-ce pour cette raison qu’autant de temps a passé entre l’enregistrement et la publication définitive du disque. Voix souvent haut perchée et même quelques fois presque fluette, instrumentations à minima et rarement électriques (une boite-à-rythmes discrète et de la guitare sur
31 Years Of Waiting For This, le caractère plus rock de The Dam et c’est à peu près tout), quelques traces de field recordings parfois (I Hate To Hurt The Hearts I Eat), expérimentations sonores délicates, hasards heureux d’un enregistrement soigneusement lo-fi : Something Went Wrong n’a rien d’un disque neurasthénique et d’abattement. Au contraire j’y vois comme une nouvelle étape poétique pour Louis Jucker et une source de chaleur, douce mais persistante… Then live before I die / Using this time / Leave it all behind / All that’s left.


[Something Went Wrong est publié en vinyle transparent par Hummus records – il est également en téléchargement à prix conseillé sur le site du label]