Lorsque j’écoute
un album solo de LOUIS JUCKER je m’imagine toujours la drôle de tête que va faire
celle ou celui découvrant pour la première fois la musique du chanteur /
guitariste de Coilguns. Mais ne soyons pas intolérants ni obtus et d’ailleurs
je ne le suis pas – enfin, pas tout le temps non plus. Bref... il n’y a strictement
aucun rapport entre ce que fait le groupe suisse de hardcore noise et ce que
fait Louis tout seul. Mais c’est tant mieux, non ?
Pour ma part j’en étais resté à Kråkeslottet, son gros os de
baleine, la Norvège, le cercle arctique et les compositions intimistes du jeune
homme. Et l’envie d’en entendre bien davantage. Kråkeslottet est un disque très court, presque un instantané. Something Went Wrong a beaucoup plus de
quoi combler mon appétit avec ses trente cinq minutes. Mais au fond rien de
change. Ce nouvel album possède
la même fragilité – disons plutôt le même caractère ténu et aérien – et la même
grâce diaphane que son prédécesseur. Et beaucoup plus de lumière. Enregistré
au cours du mois d’aout 2018, encore une fois en solitaire ou presque, à l’aide
d’un huit-pistes et avec une instrumentation souvent très sommaire, Something Went Wrong peut être appréhendé
comme une sorte de journal intime. La première chanson intitulée 31 Years Of Waiting For This évoque d’ailleurs
directement l’âge du chanteur au moment de l’enregistrement. On est donc en
plein dedans. Comme lorsqu’on regarde le portrait de Louis Jucker sur la pochette du disque. Une photo prise par Augustin Rebetez qui signe également la
série des beaux polaroids qui illustrent l’épais livret joint au disque. Les
yeux fermés. Après tout, lorsque on se décide à s’ouvrir autant et à livrer
beaucoup de soi au travers de sa musique il n’y a sans doute pas d’autre
solution que celle là.
Fermer les yeux c’est aussi et surtout ce que l’on est invité à faire en
écoutant Something Went Wrong. Un disque
dont le caractère intérieur et profond n’est pas altéré par le titre pourtant pessimiste
voire négatif du disque. J’ai cherché un début d’explication à un tel titre
dans les paroles des chansons et les notes du livret mais je ne l’ai pas vraiment
trouvée… En fait je ne vois que celle, assez commune pour tout dire, d’une vie
qui n’apporte jamais tout ce que l’on pense pouvoir attendre d’elle, si on se
laisse aller (le tout étant de s’en rendre compte). Crise de la trentaine ou
pas pour Louis Jucker je n’en sais
rien mais Something Went Wrong semble
déborder de questionnements existentiels.
Enregistré à la maison, c’est-à-dire dans un chalet des montagnes suisses et
non pas en voyage/itinérance et dans un pays lointain, voilà un album qui
assemble tout doucement les pièces d’un repli introspectif, pas forcément
évident mais nécessaire et inévitable pour son auteur – peut-être est-ce pour
cette raison qu’autant de temps a passé entre l’enregistrement et la
publication définitive du disque. Voix souvent haut perchée et même quelques fois
presque fluette, instrumentations à minima et rarement électriques (une
boite-à-rythmes discrète et de la guitare sur 31 Years Of Waiting For This, le caractère plus rock
de The Dam et c’est à peu près tout),
quelques traces de field recordings parfois (I
Hate To Hurt The Hearts I Eat), expérimentations sonores délicates, hasards
heureux d’un enregistrement soigneusement lo-fi : Something Went Wrong n’a rien d’un disque neurasthénique et
d’abattement. Au contraire j’y vois comme une nouvelle étape poétique pour Louis Jucker et une source de chaleur,
douce mais persistante… Then live before
I die / Using this time / Leave it all behind / All that’s left.
[Something Went Wrong est publié en
vinyle transparent par Hummus records
– il est également en téléchargement à prix conseillé sur le site du label]