Même accablé par
la stupidité consumériste et l’hypocrisie religieuse des fêtes de fin d’année le
comité rédactionnel au grand complet de cette feuille de choux numérique à l’avenir
incertain est resté à la recherche du grand frisson en matière de noise-rock (et cette phrase ne veut rien dire). Et
une fois de plus l’étincelle salvatrice est apparue du côté du Royaume-Uni pré-Brexit,
véritable Eldorado en la matière.
Repérés il y a quelques mois maintenant par les radars* d’Instant Bullshit, les
anglais de MODERN
TECHNOLOGY ont publié leur premier album Service Provider au
mois de septembre 2020 sur leur propre label Human Worth. Et c’est une vraie
bombe. Toutefois le duo se distingue de la plupart de ses pairs par une
conscience sociale et politique affirmée ainsi que par un activisme militant.
Si la musique de Chris Clark (basse et chant) et Owen Gildersleeve (batterie) est
si sombre et si dure c’est parce qu’elle décrit un monde profondément
inégalitaire, injuste et à la dérive, elle nous parle d’une société
ultra-libérale où crise économique et crise sociale se conjuguent
malheureusement avec naufrage écologique et désastre environnemental. Une
situation qui génère un sentiment d’anxiété croissant contre lequel une prise
en main devient plus que jamais nécessaire et vitale : il faut donc agir.
On pourrait sans doute envisager Service Provider uniquement d’un point
de vue strictement musical mais connaitre les tenants et les aboutissants de la
démarche de Modern
Technology donne à mon sens encore plus de portée à la musique du
groupe**. Car il y a des cas où vouloir absolument rester aveugle revient aussi
à devenir sourd. A toutes celles et tous ceux qui pensent donc qu’écouter un
disque colérique ou tapageur pour évacuer toute sa frustration et ses angoisses
face au monde actuel serait suffisant, les anglais répondent du tac au tac avec
un enregistrement d’une rare noirceur et d’une âpreté dérangeante mais chargé en
questionnements et de significations. Qu’on se le dise : il n’y a absolument aucune
place pour le cynisme sur Service Provider, aucune place pour un
positionnement nombriliste de repli-sur-soi, à la « après moi le déluge ».
Le tableau brossé par Modern Technology est plus que sinistre, il
pourrait même être parfaitement déprimant mais c’est bien tout le
contraire : la musique du duo est en lutte et, confrontée à la nécessité
et fidèle à l’injonction de ne pas se laisser faire, elle utilise les mêmes
armes qu’en face. A l’oppression et les difficultés du monde le groupe oppose
donc une musique très lourde, très dense et souvent très lente, mélangeant à
parts égales le côté viscéralement bruyant d’un noise-rock rebelle avec celui
d’un metal post industriel sans complaisance. Service Provider est un
disque volontaire qui grésille, qui étreint, qui nous violente même parfois
mais qui le fait sans doute pour nous faire réagir. Encore une fois on peut
choisir de prendre cette musique simplement au premier degré – un peu comme
celle d’un groupe de gore-grind caricatural parlant d’automutilation ou celle
d’un groupe de death metal sans cervelle évoquant des scènes de guerre – mais
ce serait complètement passer à côté de son essence même, cette volonté
acharnée, concernée et engagée qui lui donne tout son caractère et cette saveur
peut-être extrêmement grave mais nécessaire, parce qu’il y a encore des choses
à faire et des idées qu’il faut défendre.
[Service
Provider est publié en vinyle noir et blanc par Human Worth – le groupe et le label
s’engagent à reverser une partie des bénéfices tirés des ventes du disque à des
organisations dont les causes leur semblent justes et donc à soutenir]
* le premier
mini album de Modern Technology a rapidement été chroniqué ici
** on peut se reporter aux paroles de Service Provider, imprimées sur la
pochette intérieure du disque et également disponibles sur le b*ndc*mp du
groupe