mardi 10 novembre 2020

Neige Morte / IIII

 

Quand j’y repense une année complète se sera bientôt écoulée depuis la dernière fois que j’ai vu Neige Morte en concert. Et quel concert ! Sans aucun doute le meilleur du groupe auquel j’ai jamais assisté – non, là je t’arrête tout de suite : ce n’est absolument pas le manque de musique en conditions live, au milieu de plein de personnes qui se transpirent et se postillonnent les unes sur les autres, qui me fait penser et dire cela. Un concert pendant lequel NEIGE MORTE a bien sûr égrené quelques titres monstrueux de Trinnnt, son troisième et génial album, et a également dévoilé quelques nouvelles compositions, non moins monstrueuses, bientôt enregistrées et destinées à figurer sur le quatrième album du trio.
Et il est là ce quatrième disque… en fait il est arrivé au Printemps 2020, digne successeur d’un Trinnnt dont on pouvait raisonnablement penser qu’il serait la bande-son parfaite et idéale d’un film catastrophe racontant l’anéantissement de l’espèce humaine et la destruction de la planète Terre (Niquez Bien Toutes Vos Mères). Le genre de fable apocalyptique en forme d’aboutissement terminal et de soulagement généralisé, le mal vaincu par le mal, la douleur vaincue par la douleur, le désert mouvant de l’insondable et des ténèbres comme unique horizon et puis après, après plus rien. On sait pourtant ce qui finira par arriver, on sait très bien que l’apocalypse ne ressemblera pas à un effondrement soudain et brutal mais à une longue descente aux enfers que nous pouvons contempler, nous gargarisant parfois du spectacle tant qu’il en est encore temps et tant que nous n’en sommes pas encore tout à fait les victimes principales. L’apocalypse est une mort lente et nous le savons pertinemment, non nous ne pouvons pas nier que nous sommes l’apocalypse.





Et dorénavant nous saurons également que Trinnnt, tout aussi ravageur et dérangeant qu’il peut être, ne sera que le fond sonore sale, bruyant et terrifiant des prémices de ce qui nous attend déjà. Parce que IIII dont je ne veux pas écrire qu’il lui est supérieur, est pourtant un disque encore plus dévastateur sur lequel Neige Morte se montre encore plus lourd, plus compact, plus sombre et plus inquiétant que jamais. En grand pessimiste devant l’éternel je ne peux que saluer un tel enregistrement qui une fois encore permet à Neige Morte de repousser ses propres limites bien au delà de l’inimaginable mais sans risquer de perdre son auditoire en cours de route. 
L’incarnation actuelle du groupe – guitare et chant, basse et batterie – semble au meilleur de sa forme, plus soudée que jamais, ce qui permet aux circonvolutions de sa musique de se glisser en nous avec une facilité déconcertante. Oui, il y a bien ici quelque chose qui a avoir avec le phénomène de toxicité et de possession et on ne parlera même plus de « musique viscérale » tout comme on cessera d’employer toute autre forme superlative pour désigner une image sonore du chaos aussi parfaitement réussie et aussi aliénante. Comme débarrassé des contraintes liées à l’appartenance à de genres musicaux aux définitions trop restrictives – en vrac : black metal vs death metal vs expé vs prog – Neige Morte fonce tout droit et sans peur aucune dans les ténèbres, en arrache toute la splendeur dégoûtante pour nous l’offrir sur un grand plateau de noirceur incommensurable. D’une rare violence, malsains, inattendus ou étouffants, les principaux éléments de la musique du trio – riffs bestiaux, tordus ou dissonants, parties de batterie complètement bluffantes, lignes de basse herculéennes, voix sauvages et manipulations sonores judicieusement déstabilisantes – forment la plus effroyable des entropies, dynamique de mort d’un système où le désordre et l’ordre se confondent, comme une seule entité, une vision multiple et néanmoins achevée. Grandiose. 


[IIII tourne en 45 tours, dure 28 minutes et est publié en vinyle uniquement par Division records]