lundi 1 juillet 2019

Blackthread / The Way You Haunt My Dreams






Il y a quelque chose d’extrêmement troublant et au départ de presque dérangeant dans The Way You Haunt My Dreams. Ce deuxième album de BLACKTHREAD (troisième si on compte un premier CDr autoproduit et publié en 2010) continue de développer des atmosphères plus intimistes que jamais dans un processus de mise à nu qui racle profondément sous la peau, au risque de jouer avec le feu et les méfaits de l’impudeur… et pourtant cela fonctionne. Cela fonctionne parce qu’en définitive on n’a guère le choix. Pierre Georges Desenfant – l’homme qui se cache derrière Blackthread et ses fantômes – a enregistré The Way You Haunt My Dreams presque tout seul dans son coin mais surtout il ne l’a pas enregistré pour rien : il se présente à nous tel quel, finalement non sans une certaine humilité mais aussi et surtout en nous tendant la main. C’est lui qui a fait le plus gros du travail et j’imagine qu’il a du fournir des efforts dont au départ il ne se sentait peut-être pas capable, alors c’est à nous de jouer, maintenant. Et de répondre favorablement à cette invitation dans son intimité. La vie ce n’est pas du cinéma.

Musicalement, il y aurait beaucoup à dire sur The Way You Haunt My Dreams et sur l’évolution de la musique de Blackthread bien que les principes de base de celle-ci ne sont en rien fondamentalement bouleversés sur ce nouvel album – en gros : des spoken words distinctement prononcés, un peu à la façon d’un poète mélancolique de la fin du XIXème délivrant ses nouveaux vers fraichement écrits devant un parterre d’amis avant de leur demander ce qu’ils en pensent, des dentelles et des échappées de mots confrontées à une musique minimaliste et spectrale au contraire à peine articulée, peu rythmique (ou alors légèrement) et finalement aux effets très organiques.
Des intrusions d’un extérieur proche viennent parfois renforcer l’épiderme et modifier un peu l’incarnation de The Way You Haunt My Dreams. La voix de Béatrice Morel Journel (de Grand Veymont) assure quelques chœurs éthérés sur Ghost, le piano de Frédéric D. Oberland (Le Réveil Des Tropiques) égraine quelques notes fantomatiques et réverbérées sur I Live In A Tree, Rémi Dulaurier (Alabaster) joue un peu de batterie sur le très court et abrupt I’ll Keep Daydreaming et la guitare de Stéphane Pigneul (également membre du Réveil Des Tropiques) sert de trame principale au magnifique Got To Give Me Shelter qui n’est pas sans évoquer certains travaux de Tim Hecker ou même de Barn Owl. Quelques rythmiques apparaissent également, comme sur le lancinant Running ou l’encore plus aérien Good Evening Blues, deux modèles d’electronica rêveuse et inspirée. Quant au chant (je parle de « vrai chant » et non pas de toutes les parties en mode spoken words) il est encore plus parcellaire et accidenté qu’auparavant, marquant la fin de I Live In A Tree et surtout la complainte TV Behind My eyes d’un étrange lyrisme presque à bout de souffle mais toujours pressant et, ainsi, émouvant.

Plus globalement le recours aux machines et autres bidouilleries était déjà monnaie courante dans la musique de Blackthread mais il se généralise sur The Way You Haunt My Dreams : le fait le plus remarquable reste donc l’utilisation accrue des sons synthétiques (analogiques) qui arrivent à faire résonner la musique de Blackthread avec un rare sens de l’humain tandis que la basse – instrument de départ de Pierre – semble quasiment disparaitre de la surface de l’album (même si par exemple on peut l’entendre de façon lointaine sur Ghost). 
C’est sans doute pour cette raison que l’album me semble tramé différemment et surtout sonne plus coloré que les précédents enregistrements de Blackthread. Les couleurs entendues y sont vives, crues, parfois enflammées mais je pense plutôt à ces flammes éphémères provoquées par une allumette allumée dans la pénombre ou à ces étincelles de lumière émises par un néon déréglé dans la vitrine d’un magasin de nuit. La lueur surgit comme un éclat mais le plus important ce n’est pas la lueur en elle-même mais la persistance rétinienne qu’elle provoque. C’est beau, mélancolique, spectral mais cependant aigu et cela reste en mémoire, comme une confidence au milieu d’une vraie conversation. Exactement comme la musique de Pierre.

[The Way You Haunt My Dreams est publié en vinyle par Nahal recordings ; la superbe photo qui orne la pochette est signée Gaël Bonnefon]