Surprise, incrédulité, curiosité, joie, bonheur. Voilà à peu près – et dans l’ordre – ce que j’ai ressenti lorsque Weasel Walter a annoncé la reformation et le grand retour des FLYING LUTTENBACHERS. Je croyais le bonhomme pourtant bien occupé par ailleurs (Lydia Lunch’s Retrovirus, Cellular Chaos et plein d’autres projets dont je n’ai même jamais entendu une seule note) pourtant l’évidence s’impose d’elle-même : The Flying Luttenbachers a toujours été le groupe numéro un de ce cher Christopher Todd Walter, celui pour lequel il a le plus donné de lui-même, celui qu’il chérit au plus profond de son cœur et, même s’il avait juré qu’on ne l’y reprendrait plus, je crois qu’une telle reformation était inévitable.
En 2007 Weasel Walter avait enregistré tout seul Incarceration By Abstraction, un acte de bravoure pour lequel il avait assuré l’intégralité des parties de guitare, basse, batterie, clarinette, orgue et bidouille électronique et donné naissance à un album des Flying Luttenbachers que l’on pensait ultime et définitif, testamentaire. Une façon également de signifier que l’aventure devait s’arrêter là et que le batteur multi-instrumentiste était à bout (dans les notes du livret Walter avait écrit, en parlant de ses acolytes musiciens : « […] unfortunately neither musician is currently able to work with the band, so I have recorded definitive solo versions here for the sake of documentation »). Douze années plus tard l’alarme s’est brutalement remise à sonner : la machine Flying Luttenbachers est à nouveau en ordre de marche avec de nouveaux membres et, bien sûr, un nouvel album intitulé Shattered Dimension.
La première bonne nouvelle c’est que les deux titres totalement barrés et estomaquants publiés en amont par les Flying Luttenbachers sur la compilation Post Now : Round One – Chicago vs New York ne figurent pas sur Shattered Dimension. Enfin presque : en fait ce nouvel album présente une version extra longue et non censurée de Prelude To Mutation (mais on y reviendra). La deuxième bonne nouvelle est que le line-up qui a enregistré ce quinzième long format est exactement le même que celui de la compilation à savoir Brandon Seabrook à la guitare, Matt Nelson au saxophone ténor, Tim Dahl à la basse et (cela va de soi) Weasel Walter à la batterie et aux compositions. Un vrai groupe de grosses pointures mais cela a toujours été le cas des Flying Luttenbachers dont Walter est l’unique membre permanent et qui au cours de son histoire a compté dans ses rangs des sommités telles que Ken Vandermark, Jeb Bishop, Dylan Possa, Ed Rodriguez, Chad Organ, Mike Green, Mick Barr (je crois que j’en ai oublié beaucoup).
En réintégrant un souffleur dans la composition de son groupe Weasel Walter revient en quelque sorte aux origines de celui-ci tout en faisant une sorte de synthèse de la musique des Flying Luttenbachers entre free jazz incendiaire, noise épileptique, metal extrême, prog démantibulé… l’ancienne devise du groupe – Death Metal Is Free Jazz – est plus que jamais d’actualité même si cette fois ci les notes du disque indiquent également thanks to : sex, drugs, alcohol, fun, death, money (avec toute l’ironie habituelle et mordante de Weasel Walter).
En réintégrant un souffleur dans la composition de son groupe Weasel Walter revient en quelque sorte aux origines de celui-ci tout en faisant une sorte de synthèse de la musique des Flying Luttenbachers entre free jazz incendiaire, noise épileptique, metal extrême, prog démantibulé… l’ancienne devise du groupe – Death Metal Is Free Jazz – est plus que jamais d’actualité même si cette fois ci les notes du disque indiquent également thanks to : sex, drugs, alcohol, fun, death, money (avec toute l’ironie habituelle et mordante de Weasel Walter).
Tout commence avec un Goosesteppin’ au taquet. Guitare et saxophone se lancent mutuellement des défis pour savoir qui va foutre le plus de bordel, le tout sous l’arbitrage de Weasel Walter dont les interventions à la batterie canalisent tout le monde (un coup de double pédale pas ici ou un coup de blast par là pour remettre chacun à sa place et signifier que c’est lui le patron). Cripple Walk – avec le son de basse si caractéristique de Tim Dahl – et Sleaze Factory sont d’apparence plus calme et plus linéaire, permettant des développements moins chaotiques, ça tricote même pas mal et ça distille éventuellement de la mélodie. Il y a beaucoup de notes et pas forcément jouées dans le désordre mais jamais l’impression de dextérité ou de virtuosité ne prend le dessus et parfois le spectre du maelstrom supersonique repointe le bout de son nez pour de brusques embardées (en particulier sur Sleaze Factory). Ces deux titres permettent à Matt Nelson et à Brandon Seabrook de se faire vraiment plaisir et surtout de se faire davantage entendre – en particulier le jeu du guitariste, plein d’épines et d’arêtes, mérite toute notre admiration.
Epitaph est l’un de mes moments préférés de Shattered Dimension, une composition qui encore une fois tourne complètement autour de la batterie de Weasel Walter et de son insistance furieuse – martèlements succèdent aux blasts et inversement – canalisant et exacerbant à la fois toute la furie free noise des Flying Luttenbachers. Entendre la batterie diriger les débats, découvrir comment tout est construit à partir de ce point d’encrage en dit long sur la maitrise acquise par Weasel Walter au cours des années. C’était déjà le cas auparavant – je me rappelle d’un concert pendant lequel le batteur, tout en continuant de jouer, ne cessait de donner des instructions aux autres musiciens en faisant de grands moulinets avec les bras – mais avec Shattered Dimension on a vraiment l’impression que les Flying Luttenbachers ont atteint le niveau d’excellence, d’implication et de folie qui manquait tant à son mentor au point de le pousser à arrêter le groupe en 2007.
Pour autant maitrise ne signifie pas assagissement, loin de là : les vingt deux minutes de Mutation sont le sommet d’un disque déjà prodigue en matière de chaos expansionniste et destructeur. Vingt deux minutes qui pourraient résumer à elles seules ce que sont les Flying Luttenbachers en 2019, un groupe complètement inclassable, éclairé par la frénésie, poussant la folie musicale dans ses derniers retranchements paroxystiques, détruisant pour mieux reconstruire (et ainsi de suite), semant l’auditeur pour mieux le rattraper au vol et le torturer un peu plus fort. Mutation est la conclusion parfaite d’un album qui pourrait être une longue séance de bondage musical : Shattered Dimension fait mal mais on aime ça et surtout on est consentant... Encore !
[Shattered Dimension est publié en CD par ugEXPLODE et en double vinyle par God Records]