lundi 4 mars 2019

Noyades - Tomaga - Josef Van Wissem - La Jungle / Studios Davout


Quel point commun y a-t-il entre Abbey Lincoln, Passion Fodder, Catherine Ribeiro + Alpes, Danny Brillant, The Cure, Archie Shepp, Vince Taylor, Los Carayos, La Bande A Basile, Rihanna, Blasphème, NTM, Sam Rivers, Vladimir Cosma, Stockhausen, Les P.P.I., André Popp, Dalida, Nico, Rhys Chatham, Yves Duteil, Pharrel Williams, AC/DC, Jimmy Sommerville, U2 ou Luciano Berio ? Elles/ils ont toutes/tous publié un disque enregistré et/ou mixé aux Studios Davout. Pour tous les détails historiques je vous laisse faire vos propres recherches et relire plus attentivement les notes de pochette des disques de votre collection personnelle ; pour les larmes à l’œil ne comptez pas non plus sur moi : bien qu’ayant définitivement fermé ses portes en avril 2017, victimes de je ne sais quelle ambition d’urbaniste du Grand Paris, les Studios Davout resteront à jamais dans les mémoires (et les oreilles) de milliers millions de fans de musique(s) grâce aux caractéristiques techniques et acoustiques d’un lieu à jamais mythique – le célèbre studio A mesurait pas moins de 320 m² avec une hauteur de plafond de 9 mètres, fastoche puisque c’était à la base une ancienne salle de cinéma...
Alors que la fermeture des Studios Davout était programmée, le projet de profiter (si j’ose dire) une dernière fois de l’endroit et de sa magie afin d’y enregistrer un disque ultime avec la participation de quatre groupes amis et/ou admirés naissait dans les esprits d’une bande d’énergumènes passionnés : l’idée de départ n’était pas de procéder à un enterrement de première classe avec homélie, tralalas et couronnes de fleurs mais bien de rendre éternellement hommage à un haut lieu de la musique enregistrée, comme un baroud d’honneur. Ainsi est né l’ambitieux projet Studios Davout… une entreprise de longue haleine puisque le disque a mis presque deux ans pour être publié.




C’est précisément aux Studios Davout que les lyonnais de NOYADES ont enregistré en janvier 2016 leur premier album Go Fast – avec toute la réussite que l’on sait. Évidemment Noyades est de la partie pour Studios Davout avec un inédit d’excellente facture et surtout complètement dingue, ahurissant. Mixture haute tension de noise catartique, de metal sous acides, de transe chamanique et de kraut psychédélique, la musique de Noyades prend ici une toute autre dimension, celle du free : la première partie de Djouhri est aussi explosive qu’explosée, chaque instrument (guitare/basse/batterie) semblant tournoyer sur lui-même et le résultat possède la fureur et la densité d’un geyser de magma incandescent, comme quoi on peut parfaitement être straight-edge – le guitariste de Noyades ne consomme que des pizzas sans champignons – et jouer une musique totalement hallucinogène. Sur sa seconde moitié Djouhri calme nettement le jeu, prenant les allures d’un dub maléfique, parfaite descente et plénitude des sens quand tu nous tiens. J’ai ouï-dire que les trois musiciens de Noyades ne sont pas des ultra-rapides de la composition mais si le prochain album du groupe (parution attendue pour 2023 ?) se révèle être dans la veine de ce Djouhri je sens que je vais être à nouveau obligé de me prosterner.
Suit TOMAGA, duo anglo-italien formé de Tom Relleen (basse, synthétiseur, etc.) et Valentina Magaletti (batterie, percussions, etc.) qui jouent l’une des musiques parmi les plus subtiles et les plus belles que j’ai pu découvrir ces dernières années. Si les mots « magie » et « émerveillement » pouvaient avoir une traduction musicale, Tomaga en serait l’inventeur ou tout du moins l’un des initiateurs. The First Lesson Is Free possède également un sous-texte dubisant et s’enchaine parfaitement avec la partie finale du Djouhri de Noyades sauf qu’ici tout est question de micro-impacts et de bribes mélodiques s’articulant en une mécanique sphérique multidimensionnelle, comme la réponse simple et limpide à une question des plus complexes. Faire preuve d’autant d’évidence que de mystère et de poésie est une chose tellement rare.
La première face de Studios Davout sachève avec JOSEF VAN WISSEM, compositeur minimaliste néerlandais et basé à Brooklyn/New York. Van Wissem utilise le luth comme instrument principal, instrument qu’il dépoussière de tous ses clichés moyenâgeux et barbants : The Priests Bones Lie Burned On The Altar, Purged ne déroge pas à la règle et résonne (au sens propre comme au sens figuré) comme la plupart des travaux du compositeur, entre mélopées crépusculaires et mélancolie aride – Jozef Van Wissem apporte lui aussi sa contribution poétique au disque…

… Poésie qui perdure au début de la seconde face puisque le musicien y figure à nouveau avec The Shunning, composition peut-être un peu plus dense et moins contemplative. Tomaga enchaine avec un deuxième morceau intitulé The Inexorable Sadness Of Pencils qui n’est pas réellement un inédit puisque entre l’enregistrement de celui-ci début 2017 et la publication de Studios Davout le duo l’a inclus dans son mini album Memory In Vivo Exposure publié par Hands In The Dark, un disque épuisé depuis. Alors qu’importe puisque The Inexorable Sadness Of Pencils est une nouvelle démonstration de tout le talent de Tomaga et de l’incroyable capacité du duo à faire naitre rêverie éveillée et fourmillements spatio-temporels.
Dernier groupe à figurer sur le disque, LA JUNGLE trouve d’ordinaire peu de grâce à mes yeux, disons que le duo bruxellois me fatigue plutôt rapidement avec ses trépidations transe-noise-whatever, que ce soit sur disque ou en concert. En ne proposant qu’un seul titre – certes de plus de neuf minutes – La Jungle n’a pas le temps de m’échauffer les oreilles et je suis même obligé d’avouer que la suite progressive et hystérisée de OK But This Is Not A Parachute est non seulement efficace et revigorante mais qu’en plus elle est très pertinente vis-à-vis de la « construction » de Studios Davout en présentant une alternative très électrique au Djouhri de Noyades. OK But This Is Not A Parachute est la conclusion paroxystique mais néanmoins chargée d’étrangeté d’un projet qui exécute une rotation sur lui-même et qui honore ses intentions initiales avec à-propos et inventivité, offrant à l’ensemble cohérence, pertinence et soulignant toute la diversité d’un disque particulièrement éloquent et réussi. Pour en revenir à La Jungle, le duo s’apprête à publier son troisième album… et je sens que je vais me laisser faire.

[Studios Davout est publié avec une pochette gatefold illustrée par Michael Sallit et en vinyle rouge transparent par S.K. records]