vendredi 29 mars 2019

Full Blast / Rio


Publié un petit mois avant Sparrow Nights et toujours par l’incontournable label autrichien Trost records, Rio est un enregistrement récent et en concert du géant du saxophone Peter Brötzmann et de son power trio FULL BLAST. Ces bandes ont été captées le 17 juillet 2016 lors d’un concert incendiaire dans un club de Rio De Janeiro (d’où le nom du disque, pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ?) et Rio ne relève pas du fond de tiroir tant la quarantaine de minutes de musique gravées sur ce vinyle (uniquement) par Full Blast se révèlent aussi intemporelles et aussi puissantes que la plupart des enregistrements de Peter Brötzmann. Et voilà un concert auquel j’aurais vraiment adoré assister.
Le reste du line-up du trio est constitué du bassiste digitaliste Marino Pliakas et du batteur Michael Wertmueller qui après des débuts tonitruants avec les très vrombissants Alboth! (entre 1991 et 2000) a poursuivi une carrière de compositeur et d’instrumentiste au sein d’orchestres de musique contemporaine ou d’avant-garde consciencieuse et donne des cours dans une université berlinoise. Son jeu est extrêmement puissant et virevoltant, il aime autant enchainer les roulements de toms que les roulements de grosse caisse à la double pédale. Marino Pliakas me semble beaucoup plus discret et moins actif mais je dois avouer que je ne connais pas non plus grand chose de lui… en fait rien en dehors de Nohome, autre trio qu’il forme avec ce même Wertmueller et le guitariste Caspar Brötzmann (fils de Peter). Quant à se technique instrumentale elle constitue ce que j’apprécie le moins dans Full Blast : trop de dextérité, pas assez d’électricité ni de boucherie. 




Mais revenons-en à Rio : faute d’avoir pu faire le voyage jusqu’au Brésil et faute de ne jamais avoir eu la chance de voir et entendre Full Blast en concert je peux donc me consoler avec cet enregistrement de premier choix ; la qualité musicale est là malgré une prise de son qui techniquement oscille un peu, ce sont les aléas des prises live. Le disque est divisé en cinq parties simplement numérotées (encore une fois, pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ?). La première constatation qui s’impose est la domination sans partage de Peter Brötzmann. Je ne veux rien enlever aux deux autres musiciens mais encore une fois et malgré son grand âge – au moment du concert il vient de fêter ses 75 ans ! – Brötzmann démontre qu’il est le plus furieux et le plus libre – libertaire ? – des trois. Sa technique est sans aucun doute irréprochable (je laisse ce genre d’appréciation aux savants du biniou), son souffle est toujours aussi impressionnant et le saxophoniste qui multiplie ici les instruments à anches et donc les tonalités employées démontre une fois de plus qu’il sait parfaitement oublier ses mécanismes synaptiques pour laisser parler son épiderme et ses instincts pyromanes. Au cours des quarante dernières années le free jazz et la musique improvisée ont fini par se codifier (un comble) et donc se scléroser or Peter Brötzmann est resté cet électron libre capable de déclencher explosions sur explosions comme de développer une palette élargie et subtile de sonorités (en particulier sur ses enregistrements en solo, souvent très poétiques). Il reste dans la position du leader – au sens de tête de gondole  24 carats – de la freeture européenne et mondiale mais il en est aussi toujours le trublion et l’enfant terrible, un statut bien à part à nouveau conforté (s’il en était encore besoin…) par Rio.
Mais il ne faut pas être injuste non plus : Marino Pliakas et Michael Wertmueller servent de faire-valoir mais également d’accélérateur au saxophoniste. Ils ne réussissent jamais à lui voler la vedette ou au moins à faire à peu près jeu égal avec lui* mais ils savent comment créer et développer la boule d’énergie dont Brötzmann a besoin pour déployer en grand ses ailes de génie des airs. Furieux et abrasif, Full Blast est autant un power trio à la démesure de Peter Brötzmann – il faut écouter Rio 2 pour le croire, le seul passage du disque où la basse s’électrise vraiment – qu’un écrin bien confortablement securit pour un saxophoniste qui pourtant n’a plus rien à prouver depuis longtemps. Malgré son côté un peu froid et technique le tandem rythmique Pliakas/ Wertmueller convient à Brötzmann sans non plus le pousser dans ses derniers retranchements… alors il y a des jours quand même où je me surprends à imaginer Peter Brötzmann prendre un peu plus de risques en se frottant à des musiciens aussi tarés et inconscients que géniaux et là je pense tout particulièrement à Weasel Walter** ou même Ava Mendoza… et encore une fois je recommence à rêver tout éveillé.

* et là vous allez me demander : mais ont-ils seulement essayé ou leur a-t-on permis d’essayer ? Je n’en sais trop rien mais je constate que d’autres musiciens ou musiciennes ayant récemment collaboré avec le saxophoniste ont réussi à jouer avec lui sur un même pied d’égalité – dernier exemple en date : Sparrow Nights, son duo avec Heather Leigh déjà mentionné plus haut
** lequel s’est enfin décidé à reformer les Flying Luttenbachers, on en reparlera