lundi 9 janvier 2023

Tachycardie : Nouvelles Et Anciennes Pratiques De Cartographie Amateure


 




Nouvelles Et Anciennes Pratiques De Cartographie Amateure aurait pu être de ces disques dont on se dit, avec une déférence contenue, trop prudemment et donc à tort, qu’il vaut mieux y entrer doucement, à petits pas et en mettant des patins de feutrine pour ne pas rayer le plancher, en faisant attention à ne rien déplacer, rendu silencieux par les impératifs de l’écoute respectueuse. Qu’il s’agit d’un énième enregistrement conceptuel, un peu comme une œuvre d’art à laquelle on ne comprendrait rien, si ce n’est que c’est effectivement de l’Art, du vrai de vrai, avec une cage de plexiglas tout autour et une belle lumière électrique mais tamisée pour rajouter tout le relief nécessaire à son statu d’importance.
Or, il n’en est rien. Qui a déjà vu TACHYCARDIE aka Jean-Baptiste Geoffroy aka JB Pneu en concert comprendra tout de suite de ce dont il est réellement question. Si, à l’écoute, Nouvelles Et Anciennes Pratiques De Cartographie Amateure est techniquement détachable de toute gestuelle et de toute manifestation physique d’intention – rejoignant ainsi l’un des préceptes de la musique concrète, celle qui fixe les sons sur une bande et les arrache méticuleusement à leurs sources d’origine, les transformant en portes ouvrant sur des significations nouvelles et des mondes imaginaires – la musique de Tachycardie transporte malgré et plus que tout l’empreinte du corps humain. Fermons les yeux et nous entendrons des sons. Ouvrons-les pour regarder JB derrière ses dispositifs sonores et nous verrons un magicien qui transpire. Fermons-les à nouveau et nous écouterons ce qui a toujours été là : des sons qui nous parlent. Les vibrations sont de part et d’autre.
Le terme organique n’est pas suffisant pour définir le fil ténu sur lequel Tachycardie funambulise, pendant d’un côté, puis de l’autre, et surtout des deux à la fois, entre une pratique pointilliste des percussions et de la synthèse analogique et, donc, son élévation autour de celle-ci pour donner naissance à une musique immersive qui ouvrira tout un champ des possibles à qui voudra bien se laisser faire – mais comment refuser de se laisse faire ? Concernant le troisième disque (déjà) de Tachycardie, seule l’indication cartographique donnera quelques indices, ceux de la découverte éventuelle de mondes perdus ou imaginés, fantasmagories de lumières et de formes, voyages parfois très exotiques où celle ou celui qui écoute finit par trouver tout·e seul·e le chemin vers la destination.
J’ai écrit exotique parce que mon expérience personnelle de Nouvelles Et Anciennes Pratiques De Cartographie Amateure m’a plusieurs fois emmené au cœur de forêts luxuriantes peuplées d’animaux encore jamais rencontrés et notamment d’oiseaux aux folles couleurs, aux cris et aux sifflements enchanteurs. Parfois je me suis même retrouvé à l’entrée d’une immense caverne, hésitant à rester sous la pénombre d’arbres millénaires laissant tout juste passer la lumière du jour ou bien pénétrer dans les profondeurs attirantes aux bruissements inattendus (nota : je suggère plus que jamais l’utilisation d’un casque audio afin de rien perdre des détails qui ne manqueront pas d’apparaitre à chaque nouvelle écoute du disque). La force-beauté de Nouvelles Et Anciennes Pratiques De Cartographie Amateure réside en grande partie dans le fait qu’il est tout à fait permis – et même inévitable – de se l’approprier car, finalement, l’amateur·e, stricto sensu, c’est toi et c’est moi. C’est nous qui écoutons le déroulement pas si géographique que ça d’un disque subtil et poétique, jamais démonstratif ni définitif.

[Nouvelles Et Anciennes Pratiques De Cartographie Amateure est publié en vinyle chez Kythibong ; à noter qu’un nouvel album de Tachycardie – décidemment très inspiré – et intitulé Autonomie Minérale devrait paraitre sous peu]