lundi 19 décembre 2022

Girls In Synthesis : The Rest Is Distraction

 

Le froid, la désolation, l’enfermement, l’abandon, l’ennui… c’est une partie de ce qu’évoque la pochette de The Rest Is Distraction, le deuxième album de GIRLS IN SYNTHESIS. Un trio londonien que les ethno-socio-musicologues qualifieraient aveuglément de post punk mais qui se démarque d’une mouvance musicale actuellement très à la mode en Grande Bretagne comme dans le reste de ce monde surpeuplé de hipsters quarantenaires. Parce que les Girls In Synthesis aiment que cela explose, sans démagogie.
On ne va pas râler : ce sont bien des Anglais qui ont inventé, peut-être par mégarde, ce genre qui n’en est pas vraiment un, au lendemain de la déflagration musicale et sociale du punk, celle du milieu des années 70 et qui, quoi qu’on en dise, recyclait nombre de clichés de ce bon vieux rock’n’roll à papa en l’enrobant d’une nouvelle couche de scandale. Le post-punk, miraculé du chaos qu’il a volontiers laissé aux groupes anarcho-punk ou oï, a lui aussi été la bande-son, en plus sophistiquée, de la fin des 70’s et du début des 80’ en Angleterre, tant il pouvait illustrer les difficultés d’alors d’une société en plein marasme et en voie de désagrégation, torpillée par la crise économique et le saccage ultra-libéral d’une Margaret Thatcher – en France on n’aura droit qu’au tardif « tournant de la rigueur » de 1983, avec toutes les compromissions et bassesses que cela a impliqué, mais pas à des groupes de l’importance d’un Crisis, d’un The Fall, d’un Gang Of 4 ou d’un Wire. A chacun ses héros du peuple.









Mais qu’est-ce qu’elle nous dit réellement, cette photo granuleuse qui occupe tout le recto de la pochette de The Rest Is Distraction ? Un bunker abandonné ou un vieux bâtiment industriel désossé posé au bord d’une étendue d’eau, au milieu d’arbres décharnés et pétrifiés de froid ? Voilà, la musique de Girls In Synthesis sera ainsi : minimale, austère, martiale, glaciale et implacable. Autant de qualificatifs auxquels on rajoutera celui de dansable puisqu’il s’agit également de cela, sortir de son corps – et de son apathie ? – par la musique, des gens qui chantent voire hurlent, avec le double espoir de se faire entendre et que cela serve aussi à quelque chose et à quelqu’un. Les musiques reviennent vers nous telles des modes (et ce, plus ou moins judicieusement) alors ce très cher post punk n’a donc pas échappé à la règle. Mais on est quand même plus que frappé que celui de Girls In Synthesis colle si bien et sans équivoque à l’époque actuelle, la nôtre, en Angleterre ou ailleurs, et à ce monde en train de s’effondrer pour de bon sans que rien ni personne puisse affirmer sans mentir ou invoquer les puissances divines qu’il donnera naissance à un autrement, un ailleurs.
Les trois Girls In Synthesis sont champion·nes toute catégorie en matière de combustion instantanée : leur musique réchauffe (réconforte) tout en plongeant dans les abysses de la détresse, qu’elle soit collective ou individuelle, en évoquant des sujets aussi graves que révoltants. Le groupe est composé de Nicole à la batterie, Jim à la guitare et au chant ainsi que de John à la basse, au chant, au synthétiseur et aux interventions bruitistes. Girls In Synthesis sait donc parfaitement conjuguer rythmes implacables et tribaux, mélodies, étourdissements et bruit, fracas. Derrière la simplicité ou plutôt l’immédiateté des compositions, un pouvoir incendiaire de premier ordre mâtiné d’attractivité, de frénésie et de passion. Tubesque et irrésistible, la musique des Londoniens l’est forcément mais elle sent très fort le vitriol et la radicalité.
Tout porte à croire également que Girls In Synthesis penche pour les pratiques et l’esprit Do It Yourself : comme bon nombre de ses enregistrements, The Rest Is Distraction est publié en vinyle, CD, patati et patata par le propre label du groupe, Own It Music. Ce n’est sans doute pas pour rien et agir autrement n’aurait aucun sens. Et puis la clairvoyance en musique, cela existe, en tous les cas moi je veux carrément y croire.