Attention : grand
disque. Musiciens d’exception. Frissons garantis. Bonheur absolu.
DANDAURE est un quartet découvert grâce à Franck Gaffer. D’abord
avec un premier EP publié en cassette sur son défunt label en 2018 puis lors de
la dixième et dernière édition du Gaffer Fest, en septembre 2019. Un split en compagnie de Chamane Chômeur plus tard, les quatre
musiciens sont enfin de retour avec un premier album enregistré en décembre
2019 et intitulé Rude Nada. Il aura
fallu bien plus d’une année pour que deux des membres du groupe – en
l’occurrence Billy Guidoni (batterie) et Fabrizio Bozzi Fenu (guitare) – se
retrouvent et procèdent au mix puis au mastering de l’album. Un travail au long
cours, les temps sont difficiles pour les musiciens, spécialement pour les plus
pointus d’entre eux.
Mais faisons les présentations. Billy a joué dans Costa Fatal (actuellement en
hibernation plus que prolongée…) et joue toujours – du moins je l’espère – avec
les excellents Emwewme ; il participe à Bruits Confus,
émission musicale incontournable et inclassable, tous les quinze jours sur
Radio Grenouille à Marseille. Le bassiste Krim Bouslama est un vieux complice
puisqu’il est l’autre moitié du duo Costa Fatal et fait aussi partie de
l’équipe Bruits Confus. Par contre je ferai moins le malin en ce qui concerne
les deux guitaristes de Dandaure.
Fabio Cerina a joué dans énormément de groupes dont seul Uncle Faust me dit
vaguement quelque chose. Quant à Fabrizio Fenu, c’est l’inconnu total mais il
semblerait qu’il est très investi dans les musiques improvisées non
idiomatiques. Petit détail géographique, Cerina comme Fenu sont Sardes alors que Bouslama et Guidoni viennent de Marseille.
Rude Nada. Que, selon quelques vagues
et médiocres souvenirs de mes cours d’Espagnol au lycée, je traduirai par
« rien de grossier ». Rien de présomptueux non plus dans ce titre.
S’il faut opposer simplisme, balourdise, vulgarité et inélégance à finesse, distinction
et exigence alors les quatre musiciens ont parfaitement eu raison de choisir un
tel nom d’album. Parce qu’il définit parfaitement leur musique, son inventivité
permanente, sa richesse et sa profondeur, son esprit aventureux.
Résumer un disque aussi court – beaucoup trop court diront peut-être certain·es
– est cependant difficile. Dandaure se présente comme une
formation aux horizons multiples, fouinant dans le bruitisme des guitares,
alliant blues déconstruit et abstrait, taquinant la freeture, frôlant les excès
de la no-wave, aimant les dissonances, les suites d’accords bizarres, les
mesures avec des chiffres à virgule (je sais que cela n’existe pas mais tu
comprends le principe, non ?), le psychédélisme voyageur, les paysages désertiques... et le groupe d’inventer,
semble-t-il spontanément ou en tous les cas d’une manière qui sonne spontanée
et sans entraves ni travail d’écriture formelle en amont, une musique rayonnant d’intelligence.
Beaucoup d’intelligence, même. Mais rien non plus de maniéré, d’orgueilleux ou
de vaniteux : Dandaure, bien qu’étant composé de musiciens aguerris, imaginatifs, sans peur et sans
reproches, n’est pas un groupe élitiste et cérébral s’adressant à un parterre
de connaisseurs ne jouissant de la musique qu’avec leur tête. Au contraire, si Dandaure est un groupe ambitieux c’est
avant tout par générosité et par sensibilité. Son free noise – appellation du
coup un peu courte sur pattes mais bien pratique – est aussi alambiqué et
exigeant que lisible, aussi abrupt qu’altruiste, aussi réfléchi que bouillonnant
et incandescent, exploratoire mais jamais en vain, épidermique et parfois
hallucinatoire, mutant mais limpide et lumineux. Avec en ligne de mire cette
volonté authentique de nous prendre par la main, de nous
embrasser, nous enflammer, nous enlever, la tête qui tourne et le cœur qui s’emballe, qui s'apaise, plus
loin, plus fort. Tout sourire.
[Rude Nada est publié en CD
uniquement – pour l’instant ? – par Araki records ; son
artwork est signé Federico Orrù et je l’aime beaucoup, dommage que l’on ne puisse pas l’admirer sur
une pochette de disque vinyle]