Je n’avais
jamais entendu parler de The Witch – The VVitch pour les intimes – un film
réalisé par un certain Robert Eggers et sorti en salles en 2015 ou 2016. Mais il
faut me pardonner : j’ai tellement de mal (je reste poli) avec le cinéma actuel
et je préfère tellement les films en noir et blanc, des premiers Fritz Lang et
tout le cinéma expressionniste allemand à l’insurpassable Kenji Mizoguchi en
passant par les polars américains des 50’s (au hasard : Kiss Me Deadly de Robert Aldrich)… En fait,
au départ, j’ai tout simplement cru que The
Witch était un film tombé dans les oubliettes depuis longtemps et qui avait
échappé à mes obsessions cinématographiques, un film tellement ancien qu’il
était désormais libre de droits et pouvait être repris et projeté par n’importe
qui et n’importe où.
Si j’ai pensé une telle chose, c’est à cause de YRRE. Un groupe de La Chaux De Fonds en Suisse et dont le premier
méfait a été de proposer un ciné-concert autour de The Witch dans le cadre du Festival 2300 Plan 9 - Les Etranges Nuits
du Cinéma. A l’époque le projet s’intitulait Luhlæ.
En général ce sont les vieux films qui font l’objet d’un tel traitement, ce qui explique en grande partie mon erreur – je me
rappellerai toujours des New-yorkais de Liminal (avec DJ Olive !) jouant
sur le Nosferatu de Murnau, plus
récemment on peut citer Brame et son interprétation de l’incomparable film
Danois Häxan - La Sorcellerie A Travers
Les Ages réalisé en 1922 (!) par Benjamin Christensen.
Depuis cette première tentative de mise en musique The Witch est devenu un véritable
enregistrement publié en vinyle à trop peu d’exemplaires (une centaine ?) par Hummus records mais heureusement
téléchargeable à prix libre (et même gratuitement) sur le b*ndc*mp ou le site
du label. Et le projet a changé de nom pour devenir YRRE, pérennisé en
tant que groupe composé d’Alex Straubhaar, Julien Floch, Naser Ardelean, Anna
Sauter-Mc Dowell – que l’on a pu voir en solo sous le nom de Dubuk en décembre dernier à Grrrnd Zero – et Iannis Valvini.
Traversées de paysages anxiogènes dans une obscurité presque totale, climax haletants parsemés de
hurlements aussi effroyables qu’insaisissables, déchainements de forces
malfaisantes animées de pulsions meurtrières : Luhlæ x The Witch est un monstre multiforme d’une lourdeur écrasante et faisant
preuve d’un sens de la tension à la limite de la cruauté. Un disque
incroyablement dense et captivant qui remet à jour
les compteurs du doom moderne comme du post hardcore. Tous ces trucs lents et
lourds dont j’avais fini par me lasser parce qu’au delà de quelques groupes un peu plus doués que la moyenne le genre avait fini au cours
des années 2000 par se perdre en route à force de trop de circonvolutions, de prétention
mollassonne voire de digressions progressives. Des passages atmosphériques il y
en a malgré tout quelques uns sur Luhlæ x The Witch (j’apprécie particulièrement Uhtceare)
mais là encore YRRE ne perd rien de
son élan et balaie tout sur son passage. Quant au beaucoup plus lourd Aglaeca, il en devient même complètement inclassable avec sa partie de guitare en forme de
ressort charmeur/titilleur de nerfs à vif.
Cela fait bien longtemps que je n’avais pas écouté un disque de musique électrique et plombée aussi
organique qu’inconfortable, aussi beau que vénéneux. Un disque qui refile
immanquablement la chair de poule mais totalement ensorcelant, entre invitation
et contrainte.... comme dans un vrai bon film d’épouvante et d’horreur, lorsqu’un
sentiment de terreur incontrôlable fait prendre aux personnages des décisions
complètement irrationnelles et aux conséquences potentiellement dangereuses ou
même fatales. Sauf que la musique de YRRE
n’a pas besoin des images du film qui l’ont inspirée pour exister en
tant que telle et nous entrainer toujours plus loin sur ces chemins parsemés d’embuches que l’on redoute autant qu’ils nous fascinent, en direction des ténèbres. Une vraie réussite.