vendredi 29 juillet 2022

Chocolat Billy : Le Feu Au Lac


 


« Ici on ne parlera pas de culture ni d’art mais de sens, de mondes que l’on invente, du monde qu’on détourne, de batailles quotidiennes face à la fadeur mortelle des rues vides »*. Le Feu Au Lac est le cinquième (?) album de CHOCOLAT BILLY et, plus que tous les autres, il nous rappelle que la fantaisie et l’inventivité du groupe n’obéissent à aucune règle connue. De même, la seule certitude que l’on pourrait avoir au sujet de cette musique ce serait plutôt… qu’il n’y a aucune certitude, mise à part la nécessité, vitale, du mouvement. Tu es bien avancé maintenant, hein ? Bon, allez, je recommence : les quatre Chocolat Billy jouent une musique débordante de fantaisie (donc) et de lumières vives, une musique radieuse, drôle, rythmée, dansante, très colorée, odorante, souvent kitsch (exotico-tropicalisante pour employer des mots trop grands), inattendue, désinvolte, joyeusement bordélique, naturellement étrange et irrésistible. Une musique qui pense aussi, mais à sa façon, avec pour principal mot d’ordre la générosité.
Avec ses synthétiseurs fruités qui la plupart du temps mènent la danse des mélodies, ses guitares agiles et alertes, ses lignes de basse rondes et chaloupées, ses rythmes pétillants et ses chants variés – tout le monde a son mot à dire – le groupe a su, depuis plus de vingt années maintenant, se forger une identité artistique (ahem) unique et forte. Déployer une telle liberté de ton, être irrévérencieux, se moquer éperdument des pauvres conventions du bon goût obligatoire et, finalement, inspirer autant de respect et d’amour sont des choses aussi satisfaisantes et rares qu’un voile de fraîcheur et de légèreté en plein milieu d’un été caniculaire préapocalyptique. Mais les Chocolat Billy n’en jouent pas : la démagogie n’est pas du tout leur truc, ils n’utilisent pas de climatiseur et ne font pas de politique même si leur propos peut l’être et alors que le nom de leur nouvel album ne nous dit pas autre chose – l’absurdité tragi-comique d’une expression commune pourtant à prendre au pied de la lettre, plus que jamais.
Plutôt que s’ériger en exemple et plutôt que passer son temps à dire, il faut faire. Et ne rien s’interdire, mélanger ses inspirations – aspirations ? respirations ? oui, également. La musique virevolte aussi bien que les mots (les textes sont tout aussi importants que le reste bien qu’ils n’envahissent pas le disque) mais est-ce que cela suffira ? Chocolat Billy n’en démord pas de son enthousiasme et on est donc obligé de répondre que oui. A la seule condition pourtant de ne pas s’arrêter là. Les chansons contenues dans Le Feu Au Lac ne pédalent pas dans le vide, elles nous racontent des histoires, s’accrochent à des détails d’apparence anodine et à des petites choses de la vie ordinaire, manipulent adroitement les nostalgies (ces pièges sans fond) sans se faire avoir et développent une poétique qui hisse le quotidien au niveau de l’universel. Pas étonnant qu’au moins par deux fois – Au Cinéma puis Cinecittà, peut-être Devant Derrière Californie – le disque évoque directement ce sentiment aussi diffus qu’essentiel que l’on peut ressentir au sortir d’une salle de cinéma de quartier ou d’un vieux film, cette étincelle qui nous éclaire, cette compréhension – même si elle peut être fugitive, temporaire, incomplète – qui l’espace d’un instant fait sens profondément. Que Chocolat Billy retrouve au travers de sa musique un peu de cette magie et de cette force là et que le groupe sache quoi en faire, ce n’est pas rien.

[Le Feu Au Lac est publié en vinyle et en cédé par Kythibong]

* extrait de Scutigères Flamboyantes vs Rats De Bureau, un texte trouvé (?) au Növö Lokal, un endroit à Bordeaux où les Potagers Natures, étroitement liés à Chocolat Billy, organisent plein de concerts