Veins Feel Strange est un disque profondément et génialement
sournois*. Et c’est aussi le meilleur enregistrement
de PSYCHIC GRAVEYARD à ce jour. S’en est terminé avec les petits
reproches que l’on pouvait adresser au groupe à l’époque de son premier LP Loud As Laughter (2019) tandis que les changements
opérés à partir d’A Bluebird Vacation (2020)
prennent encore plus d’ampleur et redessinent le caractère quasi souverain
d’un troisième album qui tourne en boucle et ambiance en continu le
dance-floor-tapis-de-salon du QG d’Instant Bullshit. Une invitation à la danse
qui fait froid dans le dos, une flopée de rictus sarcastiques comme armes
absolues et une odeur acide et collante en guise de transpiration.
Faussement festif, aussi bancal qu’une promesse de lendemain de tentative de
suicide, glaçant et désespérant comme l’avenir de l’humanité mais
particulièrement irrésistible et électrisant, Veins Feel Strange s’affranchit des éléments hérités
des précédents groupes communs à Eric Paul et Paul Vieira (je pense surtout à The
Chinese Stars). Si
ce n’est la voix, la façon de chanter et les textes du grand Eric, souvent
imité mais jamais égalé. Pour le reste, la robotique humaine fonctionne à plein régime et les
guitares, celles dont on pouvait déjà douter de la présence majoritaire sur A Bluebird Vacation, ont de toute
évidence complètement disparu des modes de pensée et d’action de Psychic Graveyard. Une nouvelle donne confirmée** par le label Deathbomb Arc et pourtant on s’y
croirait : même sans guitare la musique de cette bande de psychopathes vaut largement et
dépasse souvent en tension, férocité et en véhémence celle de maints groupes
de noise-rock, spazz, punk ou autres et écrabouille sans pitié tous les musiciens
et toutes les musiciennes qui n’ont juré allégeance qu’au matraquage d’instruments à
cordes tendues à l’extrême.
Paul Vieira a toujours été un habitué des sons chelous et déviants
mais il a donc décidé d’aller encore plus loin en abandonnant son instrument de prédilection et en partageant avec son
camarade Nathan Joyner l’utilisation des machines et autres générateurs de sons
synthétiques (le mot partage est à prendre dans tous les sens du terme puisque
Paul et Vieira habitent à Providence dans le Rhode Island tandis qu’à l’opposé
Joyner est à San Diego / Californie : les musiciens composent et échangent
entre eux en s’envoyant des fichiers via les internets). Psychic Graveyard sublime l’association entre la dureté cristallisée
d’une musique dansable, synthétique et robotique et la noirceur d’atmosphères
étouffantes sans rémission. Jamais une musique à base de textures synthétiques
et de bidouilles électroniques n’aura sonné aussi électrique et ne sera parvenue
à convoquer de façon aussi convaincante les démons putrescent du rock’n’roll et
les mauvais génies mi-rigolards mi-tourmenteurs du vague à l’âme dépressif. Très dur et
très punk dans l’esprit, Hijack A Star
conclut brillamment une collection de titres mutagènes et inquiétants et ferme autant de
portes qu’il en ouvre : Veins Feel
Strange restera aussi inclassable qu’évident, un disque inhospitalier et malaisant
dont on ne saurait se passer et se débarrasser pour autant.
* la pochette de
l’album est tendrement décalée et le vinyle est d’un rose pâle très inoffensif…
mais il ne faut surtout pas s’y fier
** « throbbing electronics, heavy percussion, and vocals like a riddle
winding their around everything – but not a guitar in sight »