mercredi 2 février 2022

Rorcal & Earthflesh : Witch Coven


L’esperluette prend tout son sens : Witch Coven n’est pas un split entre Rorcal et Earthflesh mais bien un disque collaboratif, enregistré à deux. On ne présente plus les premiers, tenants helvétiques (Genève) d’un metal fortement teinté de black et adeptes du chaos hardcore ; quant au second il s’agit d’un one man band derrière lequel on retrouve un ex-membre de Rorcal, justement, à savoir Bruno Silvestre Favez, anciennement bassiste et aujourd’hui bidouilleur electo-bruitiste/harsh noiseux. On n’est jamais aussi bien qu’entre vieux amis.
J’ai souvent trouvé RORCAL trop emprunté, trop démonstratif et trop intentionnel. Le groupe aime les albums-concept, les enregistrements qui embrassent des formes narratives (en 2019, Eric Steiner Carlson, auteur du livre ayant inspiré l’album Muladona, avait même été invité à en lire quelques passages pour le disque). Moi qui aime plus que tout inventer mes propres histoires lorsque j’écoute de la musique ou qui, plus simplement, préfère me laisser aller et emmener n’importe où mais sûrement pas au milieu de récits mêlant créatures sanguinolentes surgies des abîmes, magiciens vengeurs et anges du mal exterminateurs, écouter un disque des Suisses me laisse un sentiment de frustration : je peux être d’accord lorsque la musique est au service d’une idée, d’un sentiment, d’un état d’esprit mais lorsqu’elle n’est que le vecteur d’une histoire ficelée, pliée et emboitée cela me laisse froid… Mais la bonne nouvelle est qu’en dépit de son titre Witch Coven semble débarrassé de tout concept ou alors il est tellement bien caché – car non explicité dans les maigres notes accompagnant le disque – que l’on ne s’en aperçoit pas. On peut prendre cet enregistrement tel quel, bien que le côté folklorique de l’artwork donne quelques indices. Evoquer les sorcières est un sujet définitivement bien à la mode.







Le disque se divise en deux parties, en fait deux titres d’un quart d’heure chacun. Le premier s’intitule Altars Of Nothingness et lorgne impitoyablement du côté d’un The Body version liturgique et emphatique (avec chœurs et tout et tout). N’aimant pas du tout guère les disques les plus récents de ce duo de Portland – je me suis arrêté en 2014 et à l’album I Shall Die Here – le fait que Rorcal semble s’en inspirer de façon aussi évidente devient assez perturbant. Heureusement cette première impression s’efface rapidement et la combinaison entre metal noirci mais joué lentement et les trames harsh concoctées par EARTHFLESH fait son œuvre et si l’emphase persiste, elle se teinte d’une inexorable montée en puissance et d’une obscurité toujours plus envahissante. La tension est presque à son comble mais les chœurs font leur réapparition à la fin de Altars Of Nothingness et, à nouveau, c’est un peu la déconvenue, comme un élan brisé – tout ça pour ça ?
Non : on écoute la deuxième face du disque et la seconde partie de Witch Coven. Et là c’est la grosse mandale. Inévitablement. Happiness Sucks - So Do You (un titre idéal à faire imprimer sur des beaux t-shirts misanthropes) est le point ascensionnel du disque. Tu me diras sans doute qu’Altars Of Nothingness n’était qu’une sorte de passage nécessaire et obligé pour mettre encore plus en relief cette suite cauchemardesque et brutale mais je te répondrai que non. Happiness Sucks - So Do You se suffit à lui-même, démarrant sur les chapeaux de roues et renouant impeccablement avec le côté black metal de la musique de Rorcal puis ménageant en son milieu un long passage anxiogène et ténébreux aboutissant à l’ultime saccage. Il ne faudrait pas croire non plus que l’empreinte d’Earthflesh y est moins importante. Les grésillements et autres perturbations sonores de Bruno Silvestre Favez sont nettement perceptibles, vont en s’intensifiant et entourent d’une aura particulièrement malsaine toutes les dernières minutes du disque. L’écoute au casque, une pratique qui d’habitude n’a guère mes faveurs, est cette fois plus que conseillée pour réussir à saisir toute la justesse de l’association entre les deux parties en présence.
Jusqu’ici Világvége était le disque des Suisses qui me posait le moins de problèmes. Il est désormais détrôné, dépassé de la tête et des épaules par Witch Coven qui, malgré les quelques réticences exprimées, démontre que Rorcal n’est pas un groupe du genre content de lui, à s’endormir glorieusement sur un matelas de ronces ou ficelé au milieu d’un bucher en flammes. Ce qui m’incitera encore et toujours à écouter sa musique dans le futur.

[Witch Coven est publié en vinyle par Hummus records]