Une histoire courte mais un moment de vie important. Pendant quelques années les Marseillais de CONGER! CONGER! sont
passés de trois à quatre membres avec l’adjonction d’un batteur (Thierry) en remplacement
de Patrice, également chanteur, qui pour des raisons de santé ne pouvait plus jouer de batterie. Quelle stupéfaction – sans parler
d’une inquiétude certaine, toute personnelle – en apprenant cette nouvelle.
Pour moi, une partie de l’identité du groupe résidait, au milieu de tant
d’autres choses, dans la présence de ce chanteur/batteur trépignant et qui,
précisément, devait en permanence faire le lien entre ses deux rôles, luttait contre des vents contraires, partagé entre ses
envies de galipettes de frontman et ses fantaisies de batteur
équilibriste – un indice pour celles et ceux qui ne le savent pas encore :
Patrice est également danseur/acteur/performeur.
Puis j’ai eu quelques échos des concerts à quatre du groupe. Le démon était en
liberté, le chanteur n’arrêtait pas de cabrioler et
sur scène la musique devenait de plus en plus frontale, cédant de son
originalité à la fois poétique et sensitive mais y gagnant en puissance de
feu. Sans doute était-il alors hors de question de renoncer et hors de question
que l’histoire s’achève – dit autrement : pour Conger! Conger! les concerts n’étaient-ils pas devenus
une forme de revanche, une manière d’affirmer que la musique restait le plus important ? Je n’ai sûrement qu’une
vision incomplète des choses mais c’est ce que j’ai cru comprendre, de loin. De
loin parce que je n’ai jamais pu – ou plutôt il n’y a eu que des occasions
ratées – voir Conger! Conger! jouer
dans cette formation inédite... Depuis, Patrice a pu retourner derrière sa
batterie et le groupe est redevenu un trio – Pierrot (guitare et chant), Didier
(basse et chant) et donc Patrice (batterie et chant principal) souhaitant se
recentrer sur la nature initiale de leur projet.
De cette période transitoire il reste un album complet, le quatrième des
Marseillais, enregistré pendant l’été 2020 par l’indéfectible Nicolas Dick
(Kill The Thrill) venu en ami et qui joue aussi un peu de lapsteel sur le
disque. IV fait plus que documenter une étape particulière dans l’existence
déjà très longue et très riche de Conger! Conger! : les trois
musiciens historiques du groupe ne veulent rien renier ou oublier. Et ils ont entièrement
raison car à l’écoute du disque on reconnait sans difficulté leur patte si
particulière. Mais on découvre également des nouvelles choses ou, plutôt,
certains aspects de leur musique ont pris de l’ascendant tandis que
d’autres ont eu tendance à s’effacer. Plus d’épaisseur, plus de rentre-dedans
et même, quelquefois, un côté braillard (le très killing-jokien Backgate).
Mais la musique reste toujours élégante et racée – que l’on n’aille pas
s’imaginer non plus que Conger! Conger! était devenu un monstre
post-metal-prouto-noise-néo-wave ou je ne sais quoi de trop volumineux ou
indigeste.
On peut aussi penser (et c’est mon cas) que le supplément d’énergie ultra tubesque
diffusée dans IV attenue un peu trop la portée sensible de la musique du groupe.
Que IV est un album vigoureux et chargé en émotions mais que ces
émotions sont plus fermement exprimées et soulignées que réellement fortes, en tous les cas qu’elles peuvent pâtir de ce trop-plein d’expressivité presque agressive. Que
l’album est extrêmement direct, sans équivoques ni ambiguïtés. Sans fragilités apparentes.
Qu’il s’agit d’un enregistrement qui laisse moins de place aux amplitudes de
sensations, aux failles et aux rebonds ainsi qu’aux fluctuations qui ont
toujours été l’une des principales marques de fabrique de Conger! Conger! – bien qu’il y
ait des exceptions telles que le magnifique Upside World,
incontestablement la pièce maitresse du disque, ainsi que le crépusculaire I
Am A Clown.
IV est très loin d’être un mauvais disque et je l’apprécie mais, sans nier sa nature personnelle, c’est
l’œuvre la moins attachante de Conger! Conger!. Comme déjà écrit, la
nécessité humaine et affective de publier un tel enregistrement ne peut faire
l’objet d’aucune discussion – pour passer à autre chose et aller de l’avant ou
tout du moins ailleurs, il faut savoir tirer un bilan de ses expériences
passées – aussi je ne voudrais surtout pas minimiser la sincérité de la
démarche des trois musiciens (la sincérité : la plus grande de leurs qualités, depuis
le début…). Conger! Conger! est tout simplement bien vivant et
fier de l’être… la preuve, le groupe est en train de travailler et a déjà bien avancé sur
son cinquième album. Vivement.
[IV n’existe
pour l’instant que sous la forme d’un CD autoproduit et disponible directement auprès du groupe
ainsi qu’en cassette via le label Ganache records – si jamais un ou plusieurs labels sont intéressés pour sortir une
édition vinyle, Conger! Conger! ne dira évidemment pas non… à bon entendeur]