vendredi 18 février 2022

Boucan : self titled

 

Jeudi 26 janvier 2017. Ce n’était absolument pas prévu au départ mais ce jour là j’ai atterri aux Capucins, un bar incontournable du bas des pentes de la Croix Rousse à Lyon. Il y avait un concert, j’ai réussi à descendre dans la cave – théoriquement c’était complet de chez complet – et je suis tombé en plein milieu du set de BOUCAN, un tout jeune groupe local dont, je l’ai appris plus tard, c’était la première fois qu’il jouait devant un public. Aussi incroyable que cela puisse sembler, les plus que renommés Zeus! ont ensuite enchainé et comme on pouvait s’y attendre le concert des Italiens a été phénoménal – tu imagines un peu ? Zeus! avec seulement une cinquantaine de personnes entassées dans un endroit aussi minuscule et serrées les unes contre les autres ? Comme souvent lorsque les concerts partent en vrille dans la cave des Capus il s’est produit ce phénomène remarquable : les pierres des murs et du plafond ont commencé à se couvrir de condensation, mélange de transpiration des corps qui s’agitent, de bière qui s’évapore et d’enthousiasme qui déborde.
Mais revenons-en à nos moutons boucs en chaleur : les Boucan ont ceci en commun avec Zeus! qu’il s’agit de deux duos basse/batterie (avec parfois un peu de voix pour les Italiens). Mais dans mon esprit certes un peu embué (sic) les Lyonnais n’ont absolument pas été ridicules, bien au contraire. Sinon, de mémoire, il me semble que ce concert correspond aussi à la dernière fois où j’ai sacrifié à cette merveilleuse tradition Croix-Roussienne consistant à aller pisser sur la porte d’entrée de l’Eglise de Scientologie, toute proche du bar des Capucins – cette soirée était donc vraiment très, très, réussie (note à moi-même : retourner pisser là-bas à la première occasion, cela fait trop longtemps).






 
Alors maintenant je vais raconter quoi ? Que j’ai revu Boucan trois ou quatre fois en concert ? Que le duo m’a fait systématiquement forte impression ? Et qu’en plus j’avais le sentiment qu’il était en constante progression ? Oui, oui et oui. Seulement voilà, j’ai longtemps pensé sans creuser davantage la question qu’en fait ces deux petits gars ne faisaient que défourailler comme des malades et puis c’est tout. Qu’une musique de la trempe de celle de Boucan était avant tout faite pour être jouée en live, devant un parterre de personnes consentantes s’agitant comme des bazus et écumant de bonheur mais qu’un enregistrement ne rendrait que partiellement justice à toute l’énergie et tout l’allant du groupe. En tant que vieux ronchon râleur et bourré de préjugés, j’ai également quelques difficultés chroniques avec les duos basse/batterie : à deux ou trois exceptions près (tu connais godheadSilo ?), ils ont rarement la cote avec moi.
Boucan est en passe de me faire changer d’avis. Sur le premier album du duo – enregistré à la maison et mixé par le batteur – on retrouve effectivement tout le dynamisme et toute la fougue des concerts. Pourtant les deux musiciens ne font pas que jouer fort et épais : on pourrait basiquement qualifier leur musique instrumentale de mélange de math-rock et de noise-rock (en gros ça tricote et ça fait du bruit) mais un groove aussi imparable que jouissif et aussi explosif que communicatif parsème copieusement tout le disque et le tire maintes fois vers le haut. Entre interventions à la tractopelle et coups de marteau-piqueur la musique de Boucan se révèle bondissante et chaloupée. Pleine de vie, aussi vrombissante que généreuse. De quoi avoir envie de remuer son popotin ou ce que l’on voudra sans aucune retenue.
Mais là où le groupe est vraiment très malin c’est qu’aucune des huit compositions de son disque ne reste cantonnée à un seul et unique registre – bien sûr certains titres possèdent malgré tout une couleur dominante (French Manucure est plutôt très noise). D’autre part, figures et positions acrobatiques varient sans cesse et s’enchainent à un rythme infernal. Très schématiquement, un morceau de Boucan consiste à passer d’un riff qui saigne sur fond de batterie en phase pilonnage à un break tout en ondulation avant de repartir dans une autre direction et ainsi de suite, etc. Tout ça sans artificialité, sans maniérisme, sans prétention, sans esbroufe – pourtant il y a de quoi être épaté ! – mais avec une science de la construction et de la narration qui, oui OK je vais conclure, permet à Boucan de se passer sans problème de toute forme de chant (c’est tout juste si on entend un ou deux hurlements sur le deuxième titre – imprononçable – et sur Marseille) et surtout de toute forme de structures éculées ou prédéterminées à la con. Vitalité, densité, intelligence, imprévisibilité, plaisir d’offrir et joie de recevoir : moi aussi je reste sans voix.

 

[le premier album de Boucan est publié par Araki records, Bigoût Inc., Day Off, Jarane, Mollo Bobby, Muzotte et Vox project]