Impossible
de se frayer facilement un chemin au milieu de la discographie pléthorique de GNOD, un groupe ou plutôt un collectif à
géométrie très variable originaire de la banlieue de Manchester et qui depuis
plus de quinze ans multiplie les enregistrements sans aucune logique apparente,
si ce n’est la sienne. Des albums studio à la pelle, des collaborations
(notamment en compagnie des new-yorkais de White Hills – que j’adore – et avec
lesquels Gnod partage plus d’un
point commun), des splits en veux-tu en voilà, des captations live, etc… je ne
connais pas et je n’ai jamais entendu la moindre note des
trois-quarts de tout ce que le groupe a publié depuis 2007. Par contre à chaque
fois que j’ai eu la chance d’écouter un disque de Gnod
j’en suis instantanément tombé amoureux.
Musicalement, c’est à peu près le même bordel. Avec toutefois une seule et même
constante : la volonté de semer le chaos et de déstabiliser. Entre
psychédélisme explosif, drone malfaisant, expérimentations diverses, noise
fracassée et parfois même freeture malsaine, s’y retrouver devient toujours
plus compliqué mais on peut se fier aux disques publiés par Rocket
recording : Ingnodwetrust
(2011), Infinity Machines (2014) ou
la géniale compilation Chaudelande
regroupant des enregistrements de 2011 et 2012 me semblent représenter le
versant le plus expérimental, psychédélique et hallucinatoire de la musique de Gnod. Les albums Just Say No To The Psycho Right-Wing Capitalist Fascist Industrial
Death Machine (2017 et meilleur titre de disque du 21ème siècle,
définitivement) et, dans une moindre mesure, Chapel Perilous (2018) sont plus axés guitares pyromanes
dissonantes et rythmiques écrasantes. Quant à Mirror (2016) et sa superbe pochette aux reflets déformants, il
s’agit d’un album qui fait le lien entre les obsessions kraut-magmatiques,
pilonnage indus et déchirances maladives chères du groupe. C’est même mon album
préféré de Gnod.
Faisant suite à Easy To Build - Hard To
Destroy, un double LP
compilatoire très instructif paru au Printemps 2021 regroupant raretés en tous genres et
permettant de constater que la musique de Gnod
est aussi dangereusement diversifiée que son line-up est totalement fluctuant,
le collectif a publié La Mort Du Sens
en fin d’année dernière. Un nouvel album des Anglais c’est toujours un
événement en soi et celui-ci ne déroge pas à la règle. Assez proche de Just Say No To The Psycho Right-Wing
Capitalist Fascist Industrial Death Machine – OK : j’aime tellement ce
titre et je suis tellement d’accord avec que je ne peux pas m’empêcher de le
réécrire en entier – La Mort Du Sens
se hisse rapidement au sommet d’une discographie qui ne manque pas
d’enregistrements incontournables et essentiels. Un de plus me diras-tu, oui,
peut-être, mais je persiste à penser qu’être aussi prolifique sans perdre en
qualité est un phénomène suffisamment rare pour être signalé.
Cinq titres seulement composent La Mort
Du Sens mais chez Gnod on aime
bien s’étaler et faire durer le plaisir. Ainsi la musique emprunte des chemins
étonnants et accidentés, à la fois puissants et aériens. C’est très frappant
dès Regimental qui culmine du côté
des hautes sphères gazeuses tout en se montrant impitoyable et oppressant. Que
l’on écoute le disque à un volume raisonnable ou bien très fort (ce qui est
plus que vivement conseillé) le résultat sera le même : Gnod se révèle plus que jamais comme
l’un des groupes les plus passionnants du moment lorsqu’il met la pédale douce sur côté le plus expérimental de sa musique et respecte un peu plus les formats traditionnels, ahem.
Un peu plus loin et malgré la légèreté de ses
quelques premières secondes, The Whip And
The Tongue dévoile une ligne de basse reptilienne qui fera immanquablement
penser à celles des ancêtres et vénérés God tandis que l’intervention d’un saxophone renforce encore
plus une filiation qui finit par prendre tout son sens (sic) sur Giro Day et ses douze minutes en forme
de chef-d’œuvre. De longues minutes électrisées à la sauce psycho-noise et dont
l’intro laisse entrevoir des relents de Terminal Cheesecake (d’autres ancêtres, tout aussi vénérés) période King Of All Spaceheads. Le disque
négocie alors un dernier virage complètement irréel et hypnotique, l’emprise de
Gnod devient inévitable et, surtout,
totale. Giro Day aurait pu durer deux
fois plus de temps ou même s’étaler sur les quatre faces d’un double album
conceptuel, le résultat serait le même, celui d’une profonde addiction.
[La
Mort Du Sens
est publié en vinyle et CD par Rocket recordings – comme très souvent avec ce
label la présentation du disque est magnifiquement soignée : vinyle de
couleur, pochette découpée, etc.]