Il y a des
choses et des gens qui ne changent pas et on ne peut que s’en réjouir. Il y a
aussi des musiques que l’on pense connaitre par cœur, qui ne surprennent plus
vraiment depuis longtemps mais dont on est toujours curieux puis content de
découvrir les derniers développements, à l’occasion d’un nouvel enregistrement ou
d’un énième concert. A ce titre THALIA
ZEDEK est un cas d’école et il y aurait deux façons de parler de sa
musique, d’évoquer cette musicienne incroyable et cette chanteuse magnifique.
La première c’est de dire : encore un disque de Thalia Zedek. La seconde c’est d’affirmer que Thalia Zedek ne déçoit pas et qu’elle reste plus que jamais dans
nos cœurs. Je me situe clairement dans le deuxième camp.
Je suis évidemment contre toute forme d’idolâtrie – la musique n’est pas une
religion, sauf peut-être, encore une fois, pour les amateurs de heavy metal et
de jazz-rock – et les musiciens ne sont pas des dieux, pas plus que les
musiciennes ne sont des déesses. La musique peut (et même doit) nous
transcender mais, pour moi, cela se passe toujours à un niveau accessible, cela
doit toujours rester à l’échelle de l’humain. Et au milieu de toute cette
humanité exprimée, Thalia Zedek
occupe définitivement une place à part.
J’ai été frappé par la pochette de Perfect
Vision. Cette collection d’yeux qui te regardent alors que normalement, si tu
es amateur de musique sur supports physiques et notamment de vinyles,
c’est toi qui regardes et scrutes la pochette du disque que tu es en train
d’écouter. Ce n’est pas vraiment un retournement de situation mais une façon
aussi valable qu’une autre de nous dire quelque chose comme : tu sais,
cette musique je l’ai écrite pour moi mais je l’ai aussi écrite pour toi, en
l’écoutant c’est moi que tu écoutes et que tu regardes mais je te vois
également. C’est ça le grand principe d’humanité dans la musique de Thalia Zedek. Et puis, lorsqu’on a déjà
eu la chance d’assister à l’un de ses concerts, on connait les yeux clairs et
le regard profond, intense et décidé de la chanteuse. On parle souvent de sa
voix, de cette incarnation de fait spectaculaire qu’elle donne à ses textes
mais son regard est presque tout aussi important, bien que silencieux. Et je pourrais
aussi me demander si ses yeux à elles et/ou ceux des musiciens et musiciennes qui
l’accompagnent sur Perfect Vision
sont ceux qui l’on voit sur la pochette du disque. J’aime à penser que oui et
c’est l’avantage d’écouter un disque en pouvant en même
temps regarder sa pochette : avoir ce genre de pensées c’est aussi pouvoir
s’approprier la musique… et voilà un autre grand principe d’humanité.
Perfect Vision est donc le sixième
album du Thalia Zedek Band, mais si
on compte les disques sortis sous le seul nom de la musicienne entre 2001 et
2004 on passe à huit albums. La formule voix/guitare/basse/violon/batterie de
son groupe semble plus que jamais convenir à Zedek qui livre là l’un de ses
meilleurs enregistrements. Si on le compare au précédent Fighting Season (un
disque à mon sens plus tendu et en colère, aux limites du positionnement
politique) Perfect Vision est un
disque plus doux, plus apaisé et diffusant davantage de lumière. C’est en tous
les cas ce que semble indiquer Cranes
et sa guitare lapsteel aérienne placé au début de la face A. Mais derrière le
mélange toujours très fructifiant de blues, folk et rock de Thalia Zedek – toujours unique
compositrice et auteure – il y a cette émotion sincère, cette petite musique
discrètement mélancolique, ces airs un peu tristes mais dont l’écoute réchauffe
plus que tout. Pour en revenir au début de cette chronique, tout y est déjà
connu mais tout est également nouveau ou plutôt renouvelé sur Perfect Vision. Même lorsque des
arrangements supplémentaires font leur apparition – de la trompette lumineuse
sur un From The Fire aux couleurs aussi
western spaghetti que balkaniques, du piano sur Smoked et le magnifique Tolls
joué par une certaine Alyson Chesley plus connue sous le pseudonyme d’Helen Money – la musique de Thalia Zedek
garde cette évidence et ce caractère universel qui lui sont propres. Une
définition comme une autre de la beauté.
Je vais peut-être me montrer
présomptueux mais je suis prêt à défier qui que ce soit de ne pas être profondément
touché·e et ému·e par une chanson telle que Overblown.
Ou par Smoke… The Plan, Revelation Time,
Remain, Tolls, en fait quasiment toute la deuxième face du disque. La liste
des vrais moments forts de Perfect Vision
est aussi longue que l’effet bienfaisant et réconfortant du disque est durable et
profond… Et maintenant je ne sais vraiment pas quoi dire d’autre. Voilà.
[Perfect Vision
est publié en vinyle et en CD par Thrill Jockey]