lundi 15 novembre 2021

Thalia Zedek : Perfect Vision

 

Il y a des choses et des gens qui ne changent pas et on ne peut que s’en réjouir. Il y a aussi des musiques que l’on pense connaitre par cœur, qui ne surprennent plus vraiment depuis longtemps mais dont on est toujours curieux puis content de découvrir les derniers développements, à l’occasion d’un nouvel enregistrement ou d’un énième concert. A ce titre THALIA ZEDEK est un cas d’école et il y aurait deux façons de parler de sa musique, d’évoquer cette musicienne incroyable et cette chanteuse magnifique. La première c’est de dire : encore un disque de Thalia Zedek. La seconde c’est d’affirmer que Thalia Zedek ne déçoit pas et qu’elle reste plus que jamais dans nos cœurs. Je me situe clairement dans le deuxième camp.
Je suis évidemment contre toute forme d’idolâtrie – la musique n’est pas une religion, sauf peut-être, encore une fois, pour les amateurs de heavy metal et de jazz-rock – et les musiciens ne sont pas des dieux, pas plus que les musiciennes ne sont des déesses. La musique peut (et même doit) nous transcender mais, pour moi, cela se passe toujours à un niveau accessible, cela doit toujours rester à l’échelle de l’humain. Et au milieu de toute cette humanité exprimée, Thalia Zedek occupe définitivement une place à part.







J’ai été frappé par la pochette de Perfect Vision. Cette collection d’yeux qui te regardent alors que normalement, si tu es amateur de musique sur supports physiques et notamment de vinyles, c’est toi qui regardes et scrutes la pochette du disque que tu es en train d’écouter. Ce n’est pas vraiment un retournement de situation mais une façon aussi valable qu’une autre de nous dire quelque chose comme : tu sais, cette musique je l’ai écrite pour moi mais je l’ai aussi écrite pour toi, en l’écoutant c’est moi que tu écoutes et que tu regardes mais je te vois également. C’est ça le grand principe d’humanité dans la musique de Thalia Zedek. Et puis, lorsqu’on a déjà eu la chance d’assister à l’un de ses concerts, on connait les yeux clairs et le regard profond, intense et décidé de la chanteuse. On parle souvent de sa voix, de cette incarnation de fait spectaculaire qu’elle donne à ses textes mais son regard est presque tout aussi important, bien que silencieux. Et je pourrais aussi me demander si ses yeux à elles et/ou ceux des musiciens et musiciennes qui l’accompagnent sur Perfect Vision sont ceux qui l’on voit sur la pochette du disque. J’aime à penser que oui et c’est l’avantage d’écouter un disque en pouvant en même temps regarder sa pochette : avoir ce genre de pensées c’est aussi pouvoir s’approprier la musique… et voilà un autre grand principe d’humanité.
Perfect Vision est donc le sixième album du Thalia Zedek Band, mais si on compte les disques sortis sous le seul nom de la musicienne entre 2001 et 2004 on passe à huit albums. La formule voix/guitare/basse/violon/batterie de son groupe semble plus que jamais convenir à Zedek qui livre là l’un de ses meilleurs enregistrements. Si on le compare au précédent Fighting Season (un disque à mon sens plus tendu et en colère, aux limites du positionnement politique) Perfect Vision est un disque plus doux, plus apaisé et diffusant davantage de lumière. C’est en tous les cas ce que semble indiquer Cranes et sa guitare lapsteel aérienne placé au début de la face A. Mais derrière le mélange toujours très fructifiant de blues, folk et rock de Thalia Zedek – toujours unique compositrice et auteure – il y a cette émotion sincère, cette petite musique discrètement mélancolique, ces airs un peu tristes mais dont l’écoute réchauffe plus que tout. Pour en revenir au début de cette chronique, tout y est déjà connu mais tout est également nouveau ou plutôt renouvelé sur Perfect Vision. Même lorsque des arrangements supplémentaires font leur apparition – de la trompette lumineuse sur un From The Fire aux couleurs aussi western spaghetti que balkaniques, du piano sur Smoked et le magnifique Tolls joué par une certaine Alyson Chesley plus connue sous le pseudonyme d’Helen Money – la musique de Thalia Zedek garde cette évidence et ce caractère universel qui lui sont propres. Une définition comme une autre de la beauté.
Je vais peut-être me montrer présomptueux mais je suis prêt à défier qui que ce soit de ne pas être profondément touché·e et ému·e par une chanson telle que Overblown. Ou par Smoke… The Plan, Revelation Time, Remain, Tolls, en fait quasiment toute la deuxième face du disque. La liste des vrais moments forts de Perfect Vision est aussi longue que l’effet bienfaisant et réconfortant du disque est durable et profond… Et maintenant je ne sais vraiment pas quoi dire d’autre. Voilà.


[Perfect Vision est publié en vinyle et en CD par Thrill Jockey]