Euh… des « bateaux de béton » ? La curiosité me poussant
à découvrir d’où pouvait bien provenir le nom de Concrete Ships, j’ai effectué quelques recherches rapides sur les
internets pour apprendre que ceux ci avaient réellement existé et,
notamment, que la marine américaine s’était lancée dans la construction de
bateaux de béton pendant les deux premières guerres mondiales, parce que l’acier se faisait
rare et coutait alors curieusement trop cher. Tu ne me crois pas ? Je te dis que
j’ai des preuves. Il n’y a que le stupide génie humain pour avoir des idées pareilles et pour réussir à les concrétiser (sic)…
Le bassiste / chanteur Chris Thompson, le guitariste Joe Dickinson et le
batteur Jamie Batt viennent de Lincoln en Grande Bretagne et ils ont fondé CONCRETE SHIPS dans
les années 2010. Un premier enregistrement sans titre a été publié
en 2018 sous la forme d’une cassette autoproduite et déjà on pouvait sentir quelque
chose d’un peu à part dans la musique du trio. Malgré un final assez curieux The Last Public Execution est d’une
facture noise-rock assez classique tandis que SleepSpeak peut sembler davantage aventureux. On s’intéressera également à Six Degrees Of Prostration et Fighting
Men in Their Uniforms, deux compositions trop bancales qui tournent autour
de la dizaine de minutes et qui donnent un bon aperçu des ambitions progressives
de Concrete Ships.
In
Observance marque une étonnante et bienvenue évolution par rapport
au premier EP. Le son – c’est le guitariste qui s’est collé à l’enregistrement et
au mixage – est devenu imposant et massif, crépitant et urticant, tandis que
les compositions de Concrete Ships se sont elles grandement
étoffées, abandonnant le côté trop gentiment psychédélique pour gagner en
dureté et en violence mais sans pour autant perdre ce soupçon progressif destiné
à brouiller intrusivement les cartes. Dit autrement, la musique du trio possède
toujours le même côté alambiqué et à tiroirs mais sans la naïveté des intentions
trop facilement expliquées. Et ça fait plus de bruit : les longs corridors souterrains empruntés ici sont redéfinis selon les règles du noise-rock et du post hardcore et dégueulent d’incandescence et de viscéralité. On comprend
là où les trois musiciens veulent en venir (et là où ils nous emmènent) tout en
restant toujours surpris et scotché par un tel déploiement et un tel
déferlement de rage électrique.
C’est d’autant plus marquant que Concrete Ships n’a pas pour autant renoncé
à ses ambitions au long court puisque, hormis le premier titre Flotilla ouvertement noise qui avoisine les quatre minutes
et un interlude instrumental qui en fait moins de deux, toutes les compositions
du disque tournent entre huit et dix minutes et sont carénées de passages hallucinatoires qui génèrent noirceur ou tension (le
déconcertant A Records Of Ancient Matters,
l’incroyablement addictif Clouds, Vibration White Finger dont les quatre
premières minutes me font tellement penser – et c’est un énorme compliment – à
du Hey Colossus et We Never Were en guise de coup de grâce débordant de théâtralité
sanguinaire). Avec In Observance Concrete Ships passe réellement à la
vitesse supérieure et tous les éléments de sa musique ont gagné en épaisseur,
en virulence et donc en superlativité, notamment le chant, jamais trop systématique,
qui fait preuve d’une braillardise éclairée qui jusqu’ici lui faisait trop souvent défaut…
Touché, coulé !
[In Observance est publié en CD,
cassette ou vinyle par Trepanation recordings]