J’étais tout
heureux que FLY PAN AM se reforme après une
quinzaine d’années de silence. Je l’ai été un peu moins en découvrant C’est Ça, premier album post reformation
des Montréalais. Mais lorsque je relis la chronique lapidaire qui lui est consacrée je me trouve un peu injuste, surtout parce
que je n’ai pas su ni voulu insister sur le point le plus important d’un disque
(trop) touffu et multi-amalgamé, le retour de l’envie. J’ai souvent pensé que
les enregistrements des Fly Pan Am étaient
moins réussis que leurs concerts – une paire de passages à Lyon au début des
années 2000 et autant de très beaux souvenirs, incroyables – mais ils n’ont
jamais été inintéressants, ils ont toujours eu quelque chose à dire et quelque
chose à faire ressentir. La générosité est l’une des caractéristiques d’un
groupe pas comme les autres gravitant dans la sphère du label Constellation. Une
générosité mêlée à de la curiosité et l’envie de partager. Je me rappellerai
longtemps d’une improbable conversation d’après concert pendant laquelle l’un
des quatre musiciens – je crois bien qu’il s’agissait de Jonathan, préposé à la
guitare et à la casquette – me disait que pour lui Sonic Youth, France Gall et
les Bérurier Noir revêtaient la même importance. Maintenant c’est quelque chose
que j’arriverais presque à comprendre mais c’est aussi quelque chose dont je suis,
personnellement, toujours incapable.
Frontera fait suite à C’est Ça et d’une certaine façon l’un ne
va pas sans l’autre. Fly Pan Am
depuis 2018 c’est encore moins de guitare, encore moins de « rock »
et encore plus de bidouilles et d’électronique. Roger – pour la petite histoire
un ancien de Godspeed You! Black Emperor, même s’il doit en avoir plus qu’assez
qu’on le lui rappelle toujours et encore – n’est même pas crédité à la guitare
mais à l’électronique et au laptop. Jean-Sebastien (bassiste aux doigts agiles)
s’occupe aussi de programmation, d’électronique, de synthétiseur et donne un
peu de la voix tandis que Jonathan retraite parfois sa guitare avec un
ordinateur. Il n’y a que Félix, derrière sa batterie, qui reste dans un domaine
strictement organique. Il a toujours été et il reste la pulsation humaine d’un
groupe et d’une musique qui défient les prescripteurs et les donneurs de leçons
d’étiquettes, même si on peut pêle-mêle balancer en l’air celles de noisy,
kraut, rock, pop, expérimental, electro, pipo-bimbo, post-machin dans un
grand blender, placer le curseur sur vitesse maximum et broyer / mélanger le
tout. Le résultat donne quelque chose qui ne ressemblera qu’à du Fly Pan Am.
Frontera est l’enregistrement studio
d’une musique initialement composée et interprétée en live pour un spectacle de
danse de la compagnie Animals Of Distinction, sur une chorégraphie de Dana Gingras. S’il fallait encore
donner un argument en faveur des disques vinyle et de leur supériorité sur tous
les autres formats, le livret qui accompagne celui-ci et présentant des photos
réellement superbes de danseuses et de danseurs en plein(s) mouvement(s) devrait
faire l’affaire. Mais on pourrait tout aussi bien se passer de ces photos enchanteresses
– et qui donnent vraiment envie d’assister à une représentation de Frontera – car la musique de Fly Pan Am composée et interprétée pour
cette chorégraphie et ce spectacle, même si on peut penser qu’elle en est
indissociable, se suffit tout simplement à elle-même. Frontera n’est pas qu’une bande-son, c’est aussi de la musique à
vivre, en toute indépendance. Un très beau disque qui transporte, exalte
l’imagination et se prête totalement à une écoute telle quelle, en mode
lévitation. On peut même inventer sa propre chorégraphie intérieure en
l’écoutant, dessiner des mouvements de formes et de couleurs qui
n’appartiennent qu’à soi. C’est là toute la réussite d’un enregistrement d’une
force et d’une beauté souvent fascinantes, parfois mystérieuses, un
enregistrement tellement abouti et tellement accompli malgré son découpage en
séquences que j’ai pour la première fois le sentiment que Fly Pan Am a totalement réussi son coup avec l’expérience studio…
C’est ça.
[Frontera est publié en vinyle et en CD par Constellation records]