(tout le monde
connait Leadbelly, même toi)
Allons-y pour les
tartes à la crème. En 1994, DGC records, désireux de presser un peu plus le
citron du cadavre encore fumant de Kurt Cobain et de capitaliser une nouvelle fois
sur la gloire définitivement posthume du chanteur suicidé, a publié le très
aseptisé MTV Unplugged In New York.
Ne soyons toutefois pas trop méchant. Ce live débranché – ceci est un oxymore –
et télévisuel de Nirvana comporte quelques surprises. Dont une magnifique interprétation
de la chanson Where Did You Sleep Last
Night ? à l’origine chantée par Leadbelly.
Il serait juste de préciser que Kurt Cobain a en fait piqué l’idée de cette
reprise à son très cher ami Mark Lanegan qui avait inclus Where Did You Sleep Last Night ? sur son premier album solo The Winding Sheet (paru 1990 chez Sub
Pop). Sur la version Lanegan un certain Krist Novoselić joue les parties de basse tandis
qu’un certain Kurt Cobain s’occupe de la guitare… Si tu ne connais pas cet
enregistrement je t’enjoins à te jeter dessus : l’interprétation pleine de
force et de rugosité que donnent Mark Lanegan et son backing band d’un jour de
ce standard du blues folk américain mérite amplement le détour.
Né Huddie William
Ledbetter en Louisiane aux alentours des années 1890 (on n’est pas absolument certain
de la date exacte), Leadbelly est
une véritable légende. Sa vie tumultueuse pourrait à tort être uniquement résumée
par une suite de clichés folkloriques – du point de vue de l’homme blanc et
dominant – mais malheureusement elle ne fait que trop bien décrire la triste
réalité d’un noir dans les Etats Unis ségrégationnistes de la fin du 19ème
siècle et début du 20ème : issu d’une famille pauvre, élevé du côté
du Texas, ouvrier parfois, musicien toujours, grande gueule, bagarreur,
ayant fait de la prison – y compris pour tentative de meurtre – Leadbelly ne connaitra jamais
réellement le succès. Son jeu à la guitare douze cordes est très spécifique et
aura une influence inestimable (fin de la distribution de tartes à la crème).
Le label Night records vient précisément
de publier Easy Rider, une belle
anthologie consacrée à Leadbelly et
je te rassure tout de suite, Where Did
You Sleep Last Night ? fait bien partie du tracklisting :
Easy
Rider est la dixième référence publiée par Night records
depuis 2017. Le label, affilié a Replica records, est né de l’association de La Face Cachée – Specific recordings,
c’est aussi eux – avec Jean Luc Navette dans le rôle de directeur artistique et d’illustrateur en chef.
Evidemment la première parution du label était consacrée à Robert Johnson – l’homme
de la musique du Diable – mais il ne faudrait pas s’arrêter en si bon chemin et
vraiment prendre le temps d’écouter tous les autres disques édités par Night
records. Un excellent moyen de (re)découvrir des musiciennes et des musiciens
dont les œuvres sont aussi essentielles que fondatrices de la musique populaire
nord-américaine et même de ce cher bon vieux rock’n’roll (alors encore loin
d’être né et pas tout à fait une musique blanche, donc).
Signalons tout d’abord Walking Blues consacré
au terrible bluesman Son House et publié en même temps que Easy Rider en février dernier. Une vraie découverte en ce qui me
concerne. Quelques noms connus figurent logiquement au
programme (Devil Got My Woman de Skip
James ou Bad Luck Blues de Blind
Lemon Jefferson) mais mes deux références préférées du label restent sans aucun
doute Down Home Girl
de Memphis Minnie à égalité avec Rise And Erasure
de Geeshie Wiley et Elvie Thomas.
C’est bien évidemment Navette qui se charge de tous les artworks des disques
Night records et le moins que l’on puisse dire c’est qu’à chaque fois le résultat frise le sublime – l’« objet » Rise And Erasure mérite toutefois la mention spéciale du jury puisqu’il
s’agit d’un vinyle monoface avec une illustration gravée sur sa face sans
sillon – la grande classe.
Le tout forme une collection de disques très beaux, de grande qualité côté restauration
des bandes et côté pressage et au service d’une musique aussi universelle qu’incontournable.
Car même si comme moi tu n’y connais absolument rien au blues et au folk
américain je te mets au défi de ne pas avoir envie de tendre l’oreille à l’écoute
de ces disques et de ne pas reconnaitre, ça et là, une suite d’accords, un riff
ou une ligne de chant qui évoqueront quelque chose en toi. Une chose que tu as entendue,
ailleurs, qu’en fait tu connais déjà et que tu aimes. Cette chose qui vient de
la musique inventée il y a des dizaines d’années par ces grands musiciens et ces
grandes musiciennes, et tu ne le savais même pas.