dimanche 21 mars 2021

Comme à la radio : Leadbelly (et le label Night records)



(tout le monde connait Leadbelly, même toi)


Allons-y pour les tartes à la crème. En 1994, DGC records, désireux de presser un peu plus le citron du cadavre encore fumant de Kurt Cobain et de capitaliser une nouvelle fois sur la gloire définitivement posthume du chanteur suicidé, a publié le très aseptisé MTV Unplugged In New York. Ne soyons toutefois pas trop méchant. Ce live débranché – ceci est un oxymore – et télévisuel de Nirvana comporte quelques surprises. Dont une magnifique interprétation de la chanson Where Did You Sleep Last Night ? à l’origine chantée par Leadbelly.


Il serait juste de préciser que Kurt Cobain a en fait piqué l’idée de cette reprise à son très cher ami Mark Lanegan qui avait inclus Where Did You Sleep Last Night ? sur son premier album solo The Winding Sheet (paru 1990 chez Sub Pop). Sur la version Lanegan un certain Krist Novoselić joue les parties de basse tandis qu’un certain Kurt Cobain s’occupe de la guitare… Si tu ne connais pas cet enregistrement je t’enjoins à te jeter dessus : l’interprétation pleine de force et de rugosité que donnent Mark Lanegan et son backing band d’un jour de ce standard du blues folk américain mérite amplement le détour.






Né Huddie William Ledbetter en Louisiane aux alentours des années 1890 (on n’est pas absolument certain de la date exacte), Leadbelly est une véritable légende. Sa vie tumultueuse pourrait à tort être uniquement résumée par une suite de clichés folkloriques – du point de vue de l’homme blanc et dominant – mais malheureusement elle ne fait que trop bien décrire la triste réalité d’un noir dans les Etats Unis ségrégationnistes de la fin du 19ème siècle et début du 20ème : issu d’une famille pauvre, élevé du côté du Texas, ouvrier parfois, musicien toujours, grande gueule, bagarreur, ayant fait de la prison – y compris pour tentative de meurtre – Leadbelly ne connaitra jamais réellement le succès. Son jeu à la guitare douze cordes est très spécifique et aura une influence inestimable (fin de la distribution de tartes à la crème).

Le label Night records vient précisément de publier Easy Rider, une belle anthologie consacrée à Leadbelly et je te rassure tout de suite, Where Did You Sleep Last Night ? fait bien partie du tracklisting :

 

 


Easy Rider est la dixième référence publiée par Night records depuis 2017. Le label, affilié a Replica records, est né de l’association de La Face Cachée – Specific recordings, c’est aussi eux – avec Jean Luc Navette dans le rôle de directeur artistique et d’illustrateur en chef.
Evidemment la première parution du label était consacrée à Robert Johnson – l’homme de la musique du Diable – mais il ne faudrait pas s’arrêter en si bon chemin et vraiment prendre le temps d’écouter tous les autres disques édités par Night records. Un excellent moyen de (re)découvrir des musiciennes et des musiciens dont les œuvres sont aussi essentielles que fondatrices de la musique populaire nord-américaine et même de ce cher bon vieux rock’n’roll (alors encore loin d’être né et pas tout à fait une musique blanche, donc).

Signalons tout d’abord Walking Blues consacré au terrible bluesman Son House et publié en même temps que Easy Rider en février dernier. Une vraie découverte en ce qui me concerne. Quelques noms connus figurent logiquement au programme (Devil Got My Woman de Skip James ou Bad Luck Blues de Blind Lemon Jefferson) mais mes deux références préférées du label restent sans aucun doute Down Home Girl de Memphis Minnie à égalité avec Rise And Erasure de Geeshie Wiley et Elvie Thomas.
C’est bien évidemment Navette qui se charge de tous les artworks des disques Night records et le moins que l’on puisse dire c’est qu’à chaque fois le résultat frise le sublime – l’« objet » Rise And Erasure mérite toutefois la mention spéciale du jury puisqu’il s’agit d’un vinyle monoface avec une illustration gravée sur sa face sans sillon – la grande classe.

Le tout forme une collection de disques très beaux, de grande qualité côté restauration des bandes et côté pressage et au service d’une musique aussi universelle qu’incontournable. Car même si comme moi tu n’y connais absolument rien au blues et au folk américain je te mets au défi de ne pas avoir envie de tendre l’oreille à l’écoute de ces disques et de ne pas reconnaitre, ça et là, une suite d’accords, un riff ou une ligne de chant qui évoqueront quelque chose en toi. Une chose que tu as entendue, ailleurs, qu’en fait tu connais déjà et que tu aimes. Cette chose qui vient de la musique inventée il y a des dizaines d’années par ces grands musiciens et ces grandes musiciennes, et tu ne le savais même pas.