mardi 23 février 2021

TV Priest / Uppers


 


 

Dans son livre Rip It Off And Start Again le journaliste, chroniqueur et musicologue Simon Reynolds définit le « post punk » comme toutes les musiques arrivées à la fin des années 70 et début des années 80 après l’explosion punk – explosion s’arrêtant d’elle-même à la séparation des Sex Pistols en janvier 1978 (ahem). Une définition strictement et purement temporelle – je n’ose pas écrire historique – qui pour l’auteur a l’immense avantage de lui permettre de parler dans le même livre de musiques autrement insupportables et qui à mon sens n’avaient rien à y faire. Je pense notamment à toutes les productions saucissonnées du label ZTT, une maison scintillante et plaquée-or montée par le producteur / manipulateur Trevor Horn et le journaliste puis musicien Paul Morley. J’ai toujours pensé que Reynolds vouait légitimement une admiration sans bornes à Morley (l’un des premiers, si ce n’est le premier à avoir écrit au sujet de Joy Division, c’était dans les colonnes du New Muscial Express) et donc je lui passerai, parce que je suis du genre magnanime, sa vision trop élargie de l’appellation non contrôlée et surtout incontrôlable de post-punk.
On traduira facilement Rip It Off And Start Again par « déchire tout et recommence », un titre qui fait écho à un autre livre de Simon Reynolds : dans Retromania il déplore que depuis les années 2000 la musique ne soit plus une question d’inventions mais uniquement de recopiages et de citations. Là encore je ne serai pas du tout d’accord avec lui et le présent nous prouve exactement le contraire. J’ai un peu plus de cinquante ans maintenant (et oui) et jamais je n’aurai autant écouté ou découvert de choses nouvelles et passionnantes en matière de musique(s) que ces dix ou quinze dernières années.
TV PRIEST serait un parfait cas d’école pour Simon Reynolds. Voilà un groupe anglais il y a encore quelques semaines complètement inconnu au bataillon et qui publie son premier album sur un label ultra renommé et vénéré : Sub Pop. TV Priest est effectivement ce que l’on appelle un groupe de post punk. Et par post-punk j’entends moi, à la différence de Simon Reynolds, toute une nébuleuse de musiques électriques dont les frontières sont limitées par des lignes dessinées aux alentours des années 1978 / 1981 par quelques groupes pionniers mais peut-être bien complètement inconscients de ce qu’ils étaient alors en train d’inventer : les Buzzcocks, The Fall, Joy Division, Wire, Gang Of Four, The Cure, The Birthday Party, etc… (et cætera parce que cette liste n’est pas forcément exhaustive : par exemple pourquoi ne pas rajouter les trois premiers albums de Cabaret Voltaire ou ceux d’XTC ?).
Uppers a donc tout du disque « rétromaniaque » parce qu’il donne dans un post-punk acétique et nerveux bien que subtilement monotone. TV Priest est le digne héritier d’un The Fall, référence tarte à la crème de toutes ces dernières années dès qu’il s’agit de parler de musique électrique goguenarde et teigneuse, provocatrice et donc… euh, « post punk ». Mais toutes ces histoires d’étiquettes me donnent de plus en plus la nausée parce qu’elles ne font que masquer ce qui à mon sens reste le plus important lorsque on écoute un disque ou que l’on assiste à un concert : que ressent-on vraiment ? A-t-on envie d’aller plus loin avec cette musique ? Dans le cas d’Uppers et de TV Priest la réponse est indubitablement positive. Uppers est un disque excitant qui comporte nombre de pépites éminemment électrisantes. Pas de racolage ou si peu : légèrement plus arrangés que les autres titres de l’album, Powers Of Ten et Saintless peuvent faire figure de hit singles darkos à l’intention des foules (quand le groupe ajoute un peu de synthétiseur à la sécheresse de sa musique je trouve même que cela lui donne un petit côté à la Wire... non ?). Mais question « air du temps revivaliste » et absence d'inventivité ce sera à peu près tout, face à tant d’excitation ressentie.

Uppers
arrive à provoquer un enthousiasme certain, celui du moment, et uniquement lui. Et finalement il n’est pas si étonnant que cela que les quatre TV Priest aient signé chez Sub Pop : malgré le côté très anglais de leur musique j’y trouve aussi parfois quelques concordances avec celle d’un Pissed Jeans, surtout dans ce côté abrasif, grondant et sans concession mais très accrocheur. Oubliez donc les hippunks d’Idles et leurs bonnes intentions. Oubliez les freluquets de Shame et leurs promesses non tenues sur la longueur. Jetez-vous sur cet album sincère, cru et nuageux et bien plus signifiant qu’il n’en a l’air au départ.