Je ne sais pas du
tout où j’étais allé chercher cette info mais le 12’ réunissant à nouveau THOU et EMMA RUTH RUNDLE n’a pas attendu le mois de mars 2021 pour être dans
les bacs – comme quoi il ne faut vraiment pas prendre au pied de la lettre tout
ce que tu peux lire ici. Pour être un peu plus exact The Helm Of Sorrow a d’abord été publié en guise de disque bonus avec
la version dite « die hard » de l’album May Ours Chambers Be Full. Et il bénéficie donc maintenant d’une
parution séparée. Une fois de plus et pour le plus grand bonheur des
collectionneurs à haut pouvoir d’achat, le label Sacred Bones aura multiplié
les formats et les versions et en même temps prouvé que question marketing et
tiroir-caisse il en connait un sacré rayon.
Cela me chiffonne un peu parce que Thou a toujours eu cette réputation –
justifiée – de ne pas faire n’importe quoi, de ne pas abuser, d’être engagé
politiquement et plutôt investi dans les questions DIY. Je dois pourtant
reconnaitre qu’en signant avec un label tel que Sacred Bones il a fait
n’importe quoi… Mais n’oublions pas non plus le facteur sanitaire : avec
la crise du coronavirus publier toujours plus de disques et les vendre toujours
plus cher reste le seul moyen pour les groupes (et leurs labels) de continuer à
vivre plus ou moins de leur musique. Monde de merde.
Ceci dit, la
seule question que l’on peut maintenant se poser est : si comme moi on
a adoré May Our Chambers Be Full,
va-t-on également plébisciter son successeur The Helm Of Sorrow ? Oui, assurément. Pourtant il y a quelques
nuances à apporter. May Our Chambers Be
Full est un vrai album collaboratif. THOU et Emma Ruth Rundle peuvent se partager les mérites d’un disque
particulièrement réussi et la chanteuse n’est pas là pour faire de la
figuration ni servir de décoration d’intérieur. Changement de méthodologie avec
The Helm Of Sorrow sur lequel Emma
Ruth Rundle prend beaucoup moins de place. Une fois passée
l’introduction un rien pompeuse d’Orphan
Limbs c’est bien à du Thou pur
et dur auquel nous avons doit, autrement dit un metal viscéral et méchant,
poisseux et gras, sombre et nerveux. Et cela continue avec Crone Dance sur lequel Emma
Ruth Rundle n’apparait qu’au moment des refrains ou en pointillé, assise
sur un strapontin. On remarque surtout que la voix de la chanteuse est un peu
sous-mixée, ce qui ne sera pas pour déplaire à toutes celles et tous ceux qui
sont réticent.e.s par rapport à ses prouesses de chanteuse et au mélange gros
metal / chant de princesse des ténèbres. Avec Recurrence c’est un peu la même, Emma Ruth Rundle continuant de
jouer les seconds rôles dans le fond du mix et au moment des refrains. Pour
l’instant The Helm Of Sorrow devrait
contenter les quelques déçu.e.s de l’album May
Ours Chambers Be Full (il parait qu’il y en a).
Arrive le gros morceau du disque. Hollywood
est une reprise des atroces Cranberries. Emma
Ruth Rundle et Thou reprenaient
déjà régulièrement ce titre en concert, comme en témoignent quelques captations
vidéo que l’on peu aisément trouver sur les internets*. Mais je jubilais avant
même d’écouter cette version studio, imaginant la chanteuse des Cranberries se
retournant dans sa tombe rien qu’à l’évocation d’une telle reprise. C’est là
que le fameux – et fumeux – débat « faut-il séparer l’homme / la femme de
l’artiste ? » prend tout son sens. Lorsqu’on ouvre sa gueule et que l’on
profite de son audience et donc de son pouvoir
pour la ramener et faire de la politique
la réponse est évidemment NON.
Dans le cas de Dolores O’Riordan, connue pour ses positions anti-avortement, ses
critiques contre le féminisme et son catholicisme traditionnaliste et militant
(elle a chanté plusieurs fois au concert de Noël du Vatican), avoir une de ses
chansons-phare reprise par un groupe de branlos libertaires tels que Thou relève du blasphème et de la
profanation. Et cela me fait hurler de rire (imagine un peu les chéris de Fange
reprenant Les Lacs Du Connemara ou
les teigneux d’Hørdur s’attaquant à du Didier Barbelivien par la face nord). Malheureusement
la version que donnent Emma Ruth Rundle
et Thou de Hollywood reste convenue – principal avantage malgré tout : on
n’a pas à subir le chant insupportable de Dolores O’Riordan – et assez sage,
sans que l’on y sente trop de relents de corruption ou de putréfaction. Quelque
chose me dit qu’Emma et ses petits copains du moment sont peut-être bien des
vrais fans de la musique des Cranberries et qu’ils n’ont pas osé aller trop
loin dans le dynamitage. Après tout on peut très bien être un excellent groupe et
une excellente musicienne et avoir des goûts de chiottes. Quant à Dolores, elle
a disparu depuis longtemps dans le tout-à-l’égout.
[The Helm Of Sorrow est publié en vinyle et en CD par Sacred Bones]
* là par exemple, ou bien ici (avec une qualité sonore bien meilleure)