mercredi 6 janvier 2021

Reptoid / Worship False Gods


Le coup du petit gars tout seul dans son coin qui fait un one man band à l’aide de tout un dispositif bidouillé à partir de pédales d’effets, de samplers et d’autres trucs encore dont je n’ai pas la moindre idée, on nous l’a déjà fait mille fois. Tu sais bien : un batteur plus ou moins frappadingue (ou poète…) installé derrière ses fûts avec un micro attaché (ou pas) devant la gueule par un masque, un harnais ou un simple pied et qui en même temps balance des sons pour donner corps à des compositions des fois bien troussées ou bordéliques et hallucinées. Il y en a eu des tas et sûrement que ce n’est pas fini, on peut citer l’ex-lyonnais et presque suédois Sheik Anorak dans un genre cette fois plutôt pop mais aussi Black Pus c’est-à-dire Brian Chippendale de Lightning Bolt tentant sans y arriver de récréer tout seul le chaos irisé de son groupe d’origine. Il y a Octopoulpe également, qui lui complique le bousin en rajoutant des vidéos qui se déclenchent simultanément à ses parties samplées.
La plupart du temps tous ces bande-tout-seul sont bien rigolos à voir en concert – ça transpire et ça glaviotte comme au bon vieux temps – mais comme toute performance qui se respecte et qui respecte son public il ne faut pas que cela dure trop longtemps. Et surtout sur disque c’est souvent inintéressant voir carrément chiatique. Mais on trouve quelques exceptions telles que le déjà cité Sheik Anorak (c’est lui le poète du genre solitaire) et, complètement à l’opposé, il y a le furieux REPTOID. 

 


 

Reptoid c’est donc un certain Jordan Sobolew et uniquement lui*. Il nous vient d’Oakland en Californie et Worship False Gods est son tout premier album. Il trimbale dans ses valises tout un arsenal de pédales, de pads et de mixettes qu’il manie entre deux coups de caisse claire et deux bombardements de kick. Une grosse installation pour des concerts bien éruptifs.
Le premier truc que l’on remarque chez Reptoid c’est le côté très percussif et très tribal de sa musique, aux frontières de l’industriel ou plutôt aux frontières d’un noise-rock qui au lieu d’être basiquement axé sur des guitares qui dérapent et des basses qui terrassent ferait appel à des polyrythmies en cascades enrobant une multitude de sons complètement barrés – parfois on croit reconnaitre une guitare samplée** mais rien n’est moins sûr –, de nappages bruitistes et d’interventions éclair de crissements synthétiques et bruitistes. Ça fait un sacré barouf mais un barouf toujours délimité par la batterie et les percussions incessantes et omniprésentes et un barouf au dessus duquel surnage le chant de Jordan Sobolew qui n’a pas besoin d’effets supplémentaires sur sa voix et autres subterfuges pour nous faire peur avec. Non seulement ce petit gars est un batteur infatigable et un lanceur de samples aguerri mais en plus c’est un bon chanteur, avec une super voix.

Une voix qui souvent me fait penser à Tod A et – logiquement – Reptoid rejoint le Cop Shoot Cop des débuts et même parfois certains trucs à la Foetus / J.G. Thirlwell, ce genre de mélange d’éléments industriels et d’éléments plus conventionnels.
C’est dire si la musique de Reptoid se tient et si Sobalew est un vrai compositeur et un véritable auteur*** (comme on dit de par chez nous). Un orfèvre en matière d’arrachage et de foutraquage. Sa musique dépasse largement le gimmick sensationnaliste du one man band explosif qui fera écarquiller des yeux et des oreilles les puceaux et les pucelles du bruit savant en recherche de sensations fortes. Avec Worship False Gods Reptoid nous présente un bourbier incandescent et furieux que l’on est pas prêt d’oublier et Jordan Sobolew se révèle être déjà une sacrée personnalité. Et en plus ce type développe une incroyable passion pour les pizzas. J’en reprendrai bien une tranche et Worship False Gods est l'une meilleure découverte de l’année 2020, haut la main.

[Worship False Gods est publié en vinyle avec une pochette gatefold d’un goût délicieusement douteux et très explicite**** par Learning Curve records]

* une seule exception pour l’instrumental Cerebral Wall, plus tribal que jamais avec sa doublette de batterie, la seconde étant tenue par Max Senna du groupe Facet
** certains de ces samples ont été fournis par des guitaristes invités pour les titres You Have Already Been Compromised et le terrible I Drunk The Punch
*** un auteur qui n’a pas honte de ses textes, reproduits à l’intérieur de la pochette et qui méritent d’être lus

**** toutes les photos ont été réalisées par Christopher Sturm