Il fut un temps
où les Magik Markers publiaient des
enregistrements comme d’autres respirent, c’est-à-dire pratiquement tout
le temps. Tout particulièrement pendant la première décennie de ce millénaire
maudit, le trio composé de l’imprévisible Elisa Ambrogio (chant et guitare),
John Shaw (basse)* et Pete Nolan (batterie) nous pondait sans cesse CDr ou cassettes
sur des labels tous plus obscurs les uns que les autres, des enregistrements le
plus souvent effectués dans des conditions aléatoires, en live, dans le local
de répétitions ou dans la cuisine, avec la plupart du temps une qualité sonore limitée
et irritante, ce qui bien sûr faisait aussi beaucoup pour le charme de la
musique du trio.
Une avalanche de parutions où tout n’était pas forcément bon à
prendre, y compris lorsque le groupe se fendait d’un « véritable »
album publié par un label un peu plus établi que la moyenne – dans la
liste : Ecstatic Peace !, Textile records ou, depuis 2009, le très
reconnu Drag City. Pendant longtemps il a fallu beaucoup trier dans les publications
de cette bande d’énergumènes aussi difficiles à cerner que leurs concerts pouvaient
être chaotiques. Sur support comme en live c’était un peu la loterie et la
seule fois où j’ai eu la chance de voir les
Magik Markers en concert je n’avais pas pu m’empêcher d’être un peu déçu, partagé entre le
plaisir de voir enfin le groupe en action et le sentiment qu’il manquait
quelque chose pour que la sauce prenne pour de bon, pour que la magie (sic)
fonctionne.
Mais revenons-en
à l’époque actuelle. C’est donc chez la vénérable maison de disques Drag City que les Magik Markers ont
publié leurs trois derniers albums studio dont ce 2020, après sept longues années de
silence. 2020 révèle un double miracle :
celui de marquer le grand retour d’un groupe que l’on pouvait penser
complètement perdu dans les limbes et celui d’un album dans lequel, pour la
toute première fois, il n’y a rien à retrancher, pas de reproche à faire quant
à l’homogénéité de l’enregistrement, aucune composition ne servant de
bouche-trou au sein d’un album qui en plus dévoile mille et une qualités. C’est
dire si le contraste est saisissant entre le Magik Markers d’avant, un groupe bouillonnant, imprévisible, bruyant
et arty, et celui de maintenant, plus posé et plus soucieux de ses compositions.
Peut-être certaines et certains reprocheront au trio d’être beaucoup moins taré
/ barré / bruyant / dérangeant qu’auparavant mais je ne ferai pas partie de ces
critiques là, louant au contraire l’étrangeté pop d’un Surf’s Up particulièrement alangui, les courants d’air tournoyants
d’un Find You Ride, la carrure bien
proportionnée d’un That Dream (Shitty
Beach), la voute céleste d’un Born
Dead, l’évaporescence d’un Hymn For
2020 ou le cristal songeur et apaisant d’un Quarry (If You Dive).
2020 est un grand disque. Il est le
plus accessible de toute la discographie de Magik Markers mais il est aussi le plus beau, alliant subtilement
poésie, expérimentation doucement persistante et électricité colorée (CDROM, la composition du disque la plus
proche de ce à quoi le groupe nous avait habitués depuis de nombreuses années
mais passée au tamis de ses aspirations et préoccupations actuelles). Un album
lorgnant aussi bien du côté du Velvet Underground que de la power-pop
ensoleillée et acide (You Can Find Me),
sans oublier quelques tentations plus épaisses et biscornues mais toujours bien
dosées. Les Magik Markers n’ont
finalement jamais rien fait comme tout le monde mais avec 2020 ils démontrent qu’en matière d’imagination tortillée et de
créativité ils ne doivent toujours rien à personne.
* au départ
c’est Leah Quimby qui occupait ce poste