lundi 18 janvier 2021

Magik Markers / 2020


Il fut un temps où les Magik Markers publiaient des enregistrements comme d’autres respirent, c’est-à-dire pratiquement tout le temps. Tout particulièrement pendant la première décennie de ce millénaire maudit, le trio composé de l’imprévisible Elisa Ambrogio (chant et guitare), John Shaw (basse)* et Pete Nolan (batterie) nous pondait sans cesse CDr ou cassettes sur des labels tous plus obscurs les uns que les autres, des enregistrements le plus souvent effectués dans des conditions aléatoires, en live, dans le local de répétitions ou dans la cuisine, avec la plupart du temps une qualité sonore limitée et irritante, ce qui bien sûr faisait aussi beaucoup pour le charme de la musique du trio.
Une avalanche de parutions où tout n’était pas forcément bon à prendre, y compris lorsque le groupe se fendait d’un « véritable » album publié par un label un peu plus établi que la moyenne – dans la liste : Ecstatic Peace !, Textile records ou, depuis 2009, le très reconnu Drag City. Pendant longtemps il a fallu beaucoup trier dans les publications de cette bande d’énergumènes aussi difficiles à cerner que leurs concerts pouvaient être chaotiques. Sur support comme en live c’était un peu la loterie et la seule fois où j’ai eu la chance  de voir les Magik Markers en concert je n’avais pas pu m’empêcher d’être un peu déçu, partagé entre le plaisir de voir enfin le groupe en action et le sentiment qu’il manquait quelque chose pour que la sauce prenne pour de bon, pour que la magie (sic) fonctionne.




Mais revenons-en à l’époque actuelle. C’est donc chez la vénérable maison de disques Drag City que les Magik Markers ont publié leurs trois derniers albums studio dont ce 2020, après sept longues années de silence. 2020 révèle un double miracle : celui de marquer le grand retour d’un groupe que l’on pouvait penser complètement perdu dans les limbes et celui d’un album dans lequel, pour la toute première fois, il n’y a rien à retrancher, pas de reproche à faire quant à l’homogénéité de l’enregistrement, aucune composition ne servant de bouche-trou au sein d’un album qui en plus dévoile mille et une qualités. C’est dire si le contraste est saisissant entre le Magik Markers d’avant, un groupe bouillonnant, imprévisible, bruyant et arty, et celui de maintenant, plus posé et plus soucieux de ses compositions.
Peut-être certaines et certains reprocheront au trio d’être beaucoup moins taré / barré / bruyant / dérangeant qu’auparavant mais je ne ferai pas partie de ces critiques là, louant au contraire l’étrangeté pop d’un Surf’s Up particulièrement alangui, les courants d’air tournoyants d’un Find You Ride, la carrure bien proportionnée d’un That Dream (Shitty Beach), la voute céleste d’un Born Dead, l’évaporescence d’un Hymn For 2020 ou le cristal songeur et apaisant d’un Quarry (If You Dive).
2020 est un grand disque. Il est le plus accessible de toute la discographie de Magik Markers mais il est aussi le plus beau, alliant subtilement poésie, expérimentation doucement persistante et électricité colorée (CDROM, la composition du disque la plus proche de ce à quoi le groupe nous avait habitués depuis de nombreuses années mais passée au tamis de ses aspirations et préoccupations actuelles). Un album lorgnant aussi bien du côté du Velvet Underground que de la power-pop ensoleillée et acide (You Can Find Me), sans oublier quelques tentations plus épaisses et biscornues mais toujours bien dosées. Les Magik Markers n’ont finalement jamais rien fait comme tout le monde mais avec 2020 ils démontrent qu’en matière d’imagination tortillée et de créativité ils ne doivent toujours rien à personne.

* au départ c’est Leah Quimby qui occupait ce poste