L’absence de toute
trace de guitare n’est pas l’élément le moins remarquable de la musique de CONVULSIF. Du moins pour un groupe qui fait autant de bruit,
dégage autant d’énergie, peut se montrer aussi furieux et massif, provoque
autant de secousses telluriques tout comme il est capable d’instiller des
climats chargés en tension claire-obscure. Bien qu’il serait très facile de
l’affirmer ainsi, Convulsif n’est
pas un groupe de la scène metal / hardcore : il peut certes y être rattaché
mais il se démarque déjà avec un étonnant line-up : Christian Müller à la clarinette et
à l’électronique, Jamasp Jhabvala
au violon et à l’électronique, Loïc Grobéty à la basse électrique et Maxime
Hänsenberger à la batterie (ces deux derniers représentant incontestablement le
coté metal de Convulsif alors que
les deux premiers sont principalement responsables du côté bruitiste et expé de
la musique du groupe).
Il y a une
certaine « tradition » – je n’aime pas ce mot mais tant pis – du côté de la Suisse avec
des groupes dont les profils sont atypiques et qui jouent une musique qui l’est
tout autant bien qu’elle puise son inspiration dans quelques figures
idiomatiques connues et reconnues. Alboth! bien sûr, au tournant et sur une
grosse première moitié des années 90 mais aussi Monno dans les années 2000.
Chez les premiers comme chez les seconds il n’y a pas de guitariste mais un
recours accru et bruitiste à l’électronique (notamment chez Monno via
l’utilisation d’un laptop et les basses fréquences générées par le saxophone
d’Antoine Chessex branché sur des amplis guitare). Convulsif est de cette famille là, celle où la voix quand il y en a
est onomatopéique (Alboth !) et où surtout les trames sonores et les motifs
musicaux proviennent d’instruments détournés et déformés qui en temps normal ne sont pas destinés à
un tel usage. On pourrait aussi un peu comparer Convulsif
à 16/17 pour l’utilisation commune d’instrument à anches – ici la clarinette
basse – et un sens peu commun de la détermination.
Ce qui rapproche
(et à juste titre) Convulsif des musiques
metal et hardcore c’est donc la lisibilité permanente de son imposante section
rythmique. Une basse massive et bien puissante et qui ne bave pas, en doublette
avec une batterie spectaculaire et à l’omniprésente technicité. Une assise
formidable et incroyablement efficace dont rêveraient nombre de groupes
beaucoup plus classiques dans leur forme. La conséquence de tout ça c’est que
non seulement Convulsif est capable
en concert de rivaliser avec n’importe quel groupe de fous-furieux amateurs de
blast beats et de martèlements en continu mais que surtout les quatre suisses
laissent bien souvent tout le monde loin derrière eux question fureur et
à-propos, y compris lorsqu’ils sont confrontés à une horde de hongrois qui ont vraiment peur de rien.
Mais c’est ce qui
m’a toujours un peu manqué en écoutant les enregistrements studio de Convulsif, y compris le deuxième album mystérieusement
intitulé IV et publié en 2016 :
la présence organique et émotionnelle d’une formation se servant d’éléments
aussi différents que significatifs pour faire oublier toute intention trop
flagrante. Autrement dit, autant Convulsif
peut se montrer acharné et commotionnant en concert autant je trouvais le
groupe un peu trop froid et rigide sur disque. Un défaut cette fois largement
corrigé avec Extinct, un disque sur
lequel on retrouve toutes les façons de faire des Suisses mais mises différemment
en perspective, les quatre musiciens choisissant de faire durer davantage leur
compositions avec Five Days Of Open Bones
sur la face A et surtout The Axe Will
Break sur la seconde (plus de 12 minutes à chaque fois). C’est lorsque Convulsif prend ainsi le temps de la
développer que je trouve sa musique plus aventureuse, plus pertinente, plus
intéressante, plus forte et plus belle, tout simplement.
Les titres très
courts – Surround The Arms Of Revolution,
Feed My Spirit Side By Side et Torn From The Stone (ce dernier figurant
uniquement sur le 7’ joint avec l’édition vinyle limitée de l’album) – sont
très convaincants mais me séduisent nettement moins, bien qu’ils ne soient en
aucune façon sans intérêt. Buried Between
One n’est pas un entre deux : chargée d’ouvrir le disque avec son
incroyable montée en puissance, cette composition possède l’intensité des plus
virulents assauts de Convulsif mais
étalée sur près de sept minutes éprouvantes de fascination, grâce à un sens
implacable de la dramaturgie. C’est dans ces moments là que je me dis que le
groupe est peut-être unique dans cette façon qu’il a d’assembler petit à petit
les éléments de sa musique pour ensuite les densifier et atteindre une certaine
vision paroxystique (ce qui est également le cas de Five Days Of Open Bones, une aventure à lui tout seul). Extinct est bien l’album que j’attendais
de la part de Convulsif.
[Extinct est publié
en vinyle avec plein de variantes de couleurs et en CD par Hummus records]