vendredi 18 décembre 2020

Convulsif / Extinct

 

L’absence de toute trace de guitare n’est pas lélément le moins remarquable de la musique de CONVULSIF. Du moins pour un groupe qui fait autant de bruit, dégage autant d’énergie, peut se montrer aussi furieux et massif, provoque autant de secousses telluriques tout comme il est capable d’instiller des climats chargés en tension claire-obscure. Bien qu’il serait très facile de l’affirmer ainsi, Convulsif n’est pas un groupe de la scène metal / hardcore : il peut certes y être rattaché mais il se démarque déjà avec un étonnant line-up : Christian Müller à la clarinette et à l’électronique, Jamasp Jhabvala au violon et à l’électronique, Loïc Grobéty à la basse électrique et Maxime Hänsenberger à la batterie (ces deux derniers représentant incontestablement le coté metal de Convulsif alors que les deux premiers sont principalement responsables du côté bruitiste et expé de la musique du groupe).
Il y a une certaine « tradition » – je n’aime pas ce mot mais tant pis – du côté de la Suisse avec des groupes dont les profils sont atypiques et qui jouent une musique qui l’est tout autant bien qu’elle puise son inspiration dans quelques figures idiomatiques connues et reconnues. Alboth! bien sûr, au tournant et sur une grosse première moitié des années 90 mais aussi Monno dans les années 2000. Chez les premiers comme chez les seconds il n’y a pas de guitariste mais un recours accru et bruitiste à l’électronique (notamment chez Monno via l’utilisation d’un laptop et les basses fréquences générées par le saxophone d’Antoine Chessex branché sur des amplis guitare). Convulsif est de cette famille là, celle où la voix quand il y en a est onomatopéique (Alboth !) et où surtout les trames sonores et les motifs musicaux proviennent d’instruments détournés et déformés qui en temps normal ne sont pas destinés à un tel usage. On pourrait aussi un peu comparer Convulsif à 16/17 pour l’utilisation commune d’instrument à anches – ici la clarinette basse – et un sens peu commun de la détermination.



Ce qui rapproche (et à juste titre) Convulsif des musiques metal et hardcore c’est donc la lisibilité permanente de son imposante section rythmique. Une basse massive et bien puissante et qui ne bave pas, en doublette avec une batterie spectaculaire et à l’omniprésente technicité. Une assise formidable et incroyablement efficace dont rêveraient nombre de groupes beaucoup plus classiques dans leur forme. La conséquence de tout ça c’est que non seulement Convulsif est capable en concert de rivaliser avec n’importe quel groupe de fous-furieux amateurs de blast beats et de martèlements en continu mais que surtout les quatre suisses laissent bien souvent tout le monde loin derrière eux question fureur et à-propos, y compris lorsqu’ils sont confrontés à une horde de hongrois qui ont vraiment peur de rien.
Mais c’est ce qui m’a toujours un peu manqué en écoutant les enregistrements studio de Convulsif, y compris le deuxième album mystérieusement intitulé IV et publié en 2016 : la présence organique et émotionnelle d’une formation se servant d’éléments aussi différents que significatifs pour faire oublier toute intention trop flagrante. Autrement dit, autant Convulsif peut se montrer acharné et commotionnant en concert autant je trouvais le groupe un peu trop froid et rigide sur disque. Un défaut cette fois largement corrigé avec Extinct, un disque sur lequel on retrouve toutes les façons de faire des Suisses mais mises différemment en perspective, les quatre musiciens choisissant de faire durer davantage leur compositions avec Five Days Of Open Bones sur la face A et surtout The Axe Will Break sur la seconde (plus de 12 minutes à chaque fois). C’est lorsque Convulsif prend ainsi le temps de la développer que je trouve sa musique plus aventureuse, plus pertinente, plus intéressante, plus forte et plus belle, tout simplement.
Les titres très courts – Surround The Arms Of Revolution, Feed My Spirit Side By Side et Torn From The Stone (ce dernier figurant uniquement sur le 7’ joint avec l’édition vinyle limitée de l’album) – sont très convaincants mais me séduisent nettement moins, bien qu’ils ne soient en aucune façon sans intérêt. Buried Between One n’est pas un entre deux : chargée d’ouvrir le disque avec son incroyable montée en puissance, cette composition possède l’intensité des plus virulents assauts de Convulsif mais étalée sur près de sept minutes éprouvantes de fascination, grâce à un sens implacable de la dramaturgie. C’est dans ces moments là que je me dis que le groupe est peut-être unique dans cette façon qu’il a d’assembler petit à petit les éléments de sa musique pour ensuite les densifier et atteindre une certaine vision paroxystique (ce qui est également le cas de Five Days Of Open Bones, une aventure à lui tout seul). Extinct est bien l’album que j’attendais de la part de Convulsif.

[Extinct est publié en vinyle avec plein de variantes de couleurs et en CD par Hummus records]