lundi 21 septembre 2020

Blacklisters / Fantastic Man

 


 

C’est dingue comme je suis faible et comme c’est trop facile de m’avoir par les sentiments. Parce que c’est un peu toujours la même histoire, non ? Donc : prenez un groupe composé d’un chanteur spécialisé dans les couinements psychotiques et les beuglements de bête sauvage en pleine crise de rage, prenez également un guitariste qui aurait rêvé de découper des plaques de tôle ondulée à la scie circulaire, ajoutez-y une section basse/batterie intraitable, saupoudrez de mélodies imparables sans être putassières mais évidemment couplées à des dissonances bien choisies et glacez généreusement le tout d’un esprit féroce… vous obtiendrez l’archétype absolu du groupe de noise-rock tel qu’il réchauffe quoi qu’il arrive mon petit cœur d’animal humain blessé par la vie.
Alors à quoi bon parler d’un groupe apparemment comme tant d’autres et jouant une musique répondant encore une fois aux caractéristiques et aux conventions de ce bon vieux noise-rock à papa ? Autant faire un copier/coller de toutes les chroniques trop nombreuses déjà écrites pour cette gazette internet qui je veux bien l’admettre a tendance à rabâcher plus que de raison sur un sujet qui reste malgré tout primordial. Sauf que je suis un obsessionnel et un grand sentimental (donc), que j’aime avoir mal (logiquement) et que les anglais de BLACKLISTERS (ou si tu préfères : BLKLSTRS) ne sont vraiment pas n’importe qui. Malheureusement ce n’est pas demain la veille que l’on pourra voir tourner sur le vieux continent européen des groupes de la trempe d’un Chat Pile, d’un Hoaries, d’un Vincas ou d’un Wailing Storm, bref tous ces groupes nord-américains héritiers et détenteurs numéro un des secrets du genre… Mais on peut largement se consoler, et bien plus encore, avec la myriade de groupes anglais qui depuis de nombreuses années maintenant font preuve d’une vigueur et d’une inventivité assez incroyables – non ce n’est pas un juste retour des choses même s’il est toujours bon de préciser qu’à l’origine les Etats Unis d’Amérique ne sont qu’une colonie britannique qui a mal tourné.
J’avais déjà eu ce sentiment lorsque les quatre Blacklisters avaient publié leur deuxième album en 2015 : Adult dépassait allégrement le niveau pourtant très honorable du premier album sans titre paru en 2012… Avec Fantastic Man les anglais font encore plus fort en nous livrant sur un plateau d’argent un disque de très haute qualité et à très forte teneur électrique. Je peux donc reprendre mon petit descriptif ci-dessus en matière de noise-rock (saturation, mélodies/dissonances, trépidations, acidité, rage, férocité, secousses à tous les étages, suintements, reptation, etc.) pour l’appliquer tel quel à Blacklisters qui dès l’ouverture du disque rue dans les brancards en envoyant direct un magistral Sport Drinks et plaçant derechef sa musique à un nouveau niveau d’excellence puis explose encore plus fort avec Strange Face et le plus lent mais pas moins énervé Fantastic Man. Quel que soit le format emprunté et la vitesse d’exécution choisie – le niveau général restant malgré tout à la grosse bourrade – le troisième album des anglais est de bout en bout un formidable brûlot dont on pardonnera les quelques mimétismes (Sleeves fait beaucoup penser à du Jesus Lizard mais en même temps c’est tellement bon !) puisqu’il n’y a rien à jeter ici et surtout pas le fascinant I Read My Own Mind et l’implacablement tortueux Mambo N°5 qui arrivent eux en fin de disque et nous achèvent par la même occasion, dans un grand bain saignant de déflagrations noise, de furie acharnée et de combustion lente.

Avec Fantastic Man Blacklisters fait plus que confirmer tout le bien que jusqu’ici je pouvais penser du groupe en s’imposant comme l’un des fers de lance actuels d’un genre indémodable à mes yeux, au-delà de tout sentimentalisme et de toute nostalgie (non : là je suis franchement en train de déconner et de mentir ouvertement). J’espère que le groupe pourra un jour retraverser la Manche pour revenir jouer de ce côté-ci du monde convidé parce que là seule fois où j’ai eu l’occasion et la chance de voir Blacklisters en concert, c’était juste vraiment (vraiment) trop (trop) bon



[Fantastic Man est publié en vinyle jaune transparent – on dirait la couleur d’un cocktail vodka/ananas – par A Tant Rêver Du Roi, Buzzhowl records et Learning Curve records, un label US dont j’apprécie particulièrement le catalogue et ce n’est sans doute pas sans raison qu’il se soit occupé de la parution nord-américaine d’un disque anglais – CQFD]