C’est dingue comme je suis faible et
comme c’est trop facile de m’avoir par les sentiments. Parce que c’est un peu toujours
la même histoire, non ? Donc : prenez un groupe composé d’un chanteur
spécialisé dans les couinements psychotiques et les beuglements de bête sauvage
en pleine crise de rage, prenez également un guitariste qui aurait rêvé de
découper des plaques de tôle ondulée à la scie circulaire, ajoutez-y une
section basse/batterie intraitable, saupoudrez de mélodies imparables sans être
putassières mais évidemment couplées à des dissonances bien choisies et glacez
généreusement le tout d’un esprit féroce… vous obtiendrez l’archétype absolu du
groupe de noise-rock tel qu’il réchauffe quoi qu’il arrive mon petit cœur
d’animal humain blessé par la vie.
Alors à quoi bon parler d’un groupe apparemment comme tant d’autres et jouant une
musique répondant encore une fois aux caractéristiques et aux conventions de
ce bon vieux noise-rock à papa ? Autant faire un copier/coller de toutes les
chroniques trop nombreuses déjà écrites pour cette gazette internet qui je veux
bien l’admettre a tendance à rabâcher plus que de raison sur un sujet qui reste
malgré tout primordial. Sauf que je suis un obsessionnel et un grand
sentimental (donc), que j’aime avoir mal (logiquement) et que les anglais de BLACKLISTERS
(ou si tu préfères : BLKLSTRS)
ne sont vraiment pas n’importe qui. Malheureusement ce n’est pas demain la
veille que l’on pourra voir tourner sur le vieux continent européen des groupes
de la trempe d’un Chat Pile, d’un Hoaries, d’un Vincas ou d’un Wailing Storm, bref
tous ces groupes nord-américains héritiers et détenteurs numéro un des secrets du
genre… Mais on peut largement se consoler, et bien plus encore, avec la myriade
de groupes anglais qui depuis de nombreuses années maintenant font preuve d’une
vigueur et d’une inventivité assez incroyables – non ce n’est pas un juste
retour des choses même s’il est toujours bon de préciser qu’à l’origine les
Etats Unis d’Amérique ne sont qu’une colonie britannique qui a mal tourné.
J’avais déjà eu ce sentiment lorsque les quatre Blacklisters avaient publié leur deuxième album en 2015 : Adult dépassait allégrement le niveau pourtant
très honorable du premier album sans titre paru en 2012… Avec Fantastic Man les anglais font encore
plus fort en nous livrant sur un plateau d’argent un disque de très haute
qualité et à très forte teneur électrique. Je peux donc reprendre mon petit
descriptif ci-dessus en matière de noise-rock (saturation,
mélodies/dissonances, trépidations, acidité, rage, férocité, secousses à tous
les étages, suintements, reptation, etc.) pour l’appliquer tel quel à Blacklisters qui dès l’ouverture du
disque rue dans les brancards en envoyant direct un magistral Sport Drinks et plaçant derechef sa
musique à un nouveau niveau d’excellence puis explose encore plus fort avec Strange Face et le plus lent mais pas
moins énervé Fantastic Man. Quel que
soit le format emprunté et la vitesse d’exécution choisie – le niveau général
restant malgré tout à la grosse bourrade – le troisième album des anglais est de
bout en bout un formidable brûlot dont on pardonnera les quelques mimétismes (Sleeves fait beaucoup penser à du Jesus
Lizard mais en même temps c’est tellement bon !) puisqu’il n’y a rien à
jeter ici et surtout pas le fascinant I
Read My Own Mind et l’implacablement tortueux Mambo N°5 qui arrivent eux en fin de disque et nous achèvent par la
même occasion, dans un grand bain saignant de déflagrations noise, de furie
acharnée et de combustion lente.
Avec Fantastic
Man Blacklisters fait plus que
confirmer tout le bien que jusqu’ici je pouvais penser du groupe en
s’imposant comme l’un des fers de lance actuels d’un genre indémodable à mes
yeux, au-delà de tout sentimentalisme et de toute nostalgie (non : là je
suis franchement en train de déconner et de mentir ouvertement). J’espère que
le groupe pourra un jour retraverser la Manche pour revenir jouer de ce côté-ci
du monde convidé parce que là seule fois où j’ai eu l’occasion et la chance de
voir Blacklisters en concert, c’était
juste vraiment (vraiment) trop (trop) bon…
[Fantastic Man
est publié en vinyle jaune transparent – on dirait la couleur d’un cocktail
vodka/ananas – par A Tant Rêver Du Roi, Buzzhowl records et Learning Curve records, un label US dont
j’apprécie particulièrement le catalogue et ce n’est sans doute pas sans raison
qu’il se soit occupé de la parution nord-américaine d’un disque anglais – CQFD]