vendredi 21 août 2020

Shit And Shine / Goat Yelling Like A Man

 

Je vais finir par croire que Craig Clouse a vraiment le feu au cul. Parce que depuis le formidable, génial et indispensable – je pèse mes mots  Doing Drugs, Selling Drugs publié le 22 novembre 2019, SHIT AND SHINE aura balancé pas moins de quatre albums supplémentaires, dont un double LP*. Et je n’ai même pas eu le temps de parler ici du terrible Scenic Farm chez Rock Is Hell (le double album, c’est lui) que débarque ce Goat Yelling Like A Man. Encore un disque improbable via Riot Season et qui vérifie ma grande théorie devant l’éternel et le maudit : un enregistrement de Shit And Shine publié par Riot Season ne peut pas être un mauvais enregistrement.

 

 

« Une chèvre qui hurle comme un homme ». Curieuse mais judicieuse inversion des clichés autour de la possession démoniaque : ce n’est plus la bête qui habite l’homme mais bien l’homme qui habite à bête. Et Craig Clouse lui de nous hurler son amour immodéré pour les musiques lentes et lourdes en les pervertissant de l’intérieur. Car c’est bien  de cela dont il s’agit avec Goat Yelling Like A Man, disque de collages/démontages et de pipo-bimbo autour du doom. Y compris le doom canal historique puisque les ronds centraux du vinyle reprennent des photos de… Black Sabbath. Mais le Black Sabbath période Ronnie James Dio, ce qui constitue une provocation avérée de plus à l’intention des puristes et des sectaires d’Ozzy Osbourne. Pour le reste, l’imagination suffira, complètement galvanisée et électrisée par un disque qui évidemment n’a rien de métallique et n’a rien de doom mais qui une fois de plus sème le bordel et la déraison (le terrifiant Welcome qui en quelque sorte donne le ton de tout l’album, immédiatement suivi du morceau titre et de ses cris de chèvre se confondant avec des hurlements humains ainsi que l’éprouvant Light Blue Envelope qui sonne somme du rock indus sous acide).
Les recettes sont ici très simples et d’apparence assez peu variées mais attention : cela ne signifie pas que les cinq compositions de Goat Yelling Like A Man se ressemblent toutes, non pas vraiment. En (très) gros il s’agit d’empilements de guitares bien lourdingues, très graves et dégueulant du riff terroriste sur fond de rythmiques tout aussi lourdes, le tout ponctué d’effets sonores, de manipulations de bandes**, de samples plus ou moins décalés et même de voix trafiquées. Et en fait tout sur Goat Yelling Like A Man est trafiqué mais – et c’est là que réside le génie de Craig Clouse et de Shit And Shine – cela s’entend sans s’entendre. Ou, pour le dire autrement, les sons et les idées assemblées par le groupe forment un tout cohérent et évident, volontairement irritant, parfois violent, souvent répétitif, hypnotique et captivant voire psychotrope, décidemment artificiel et construit mais pour un résultat qui sonne toujours juste. La bidouille presque parfaite, pour ainsi dire, comme sur la composition finale Thank Goddness qui allie manipulations et instruments réels – un tube lent, lourd et poisseux, sorte de régurgitation électronique et mix métallisé/EBM de Corrupted, cradingue et accompagné de vociférations nocturnes. Plus j’écoute ce titre et plus je le trouve… beau.


[Goat Yelling Like A Man est publié en vinyle blanc par Riot Season]

 

* le dernier de la liste vient d’être annoncé par Rocket recording, il s’intitule Malibu Liquor Store et il paraitra le 9 octobre prochain
** j’écris manipulation de bandes parce que c’est de mon âge, en réalité je sais pertinemment que toutes ces manipulations sonores ont été perpétrées au laptop