lundi 6 janvier 2020

Gatecreeper / Deserted


Quelle période bénie. L’année 1989 a été formidable mais celle qui commence à peine, 1990 donc, s’annonce incroyable. Cela fait déjà un an que je suis parti de chez mes parents et que je tente tant bien que mal de voler de mes propres ailes. Je suis inscrit à la fac mais il n’y a que les cours d’Economie Politique qui m’intéressent. Tout le reste – mathématiques, statistiques, comptabilité nationale, comptabilité d’entreprise, gestion analytique, etc. – me font royalement chier. Donc je travaille au lieu d’aller en cours et avec ce que je gagne j’achète des disques, je vais aux concerts. La belle vie.
Et puis il y a mon pote Samuel. Lui aussi il se demande ce qu’il fait dans cette fac. Il est extrêmement doué, beaucoup plus que moi, mais il ne voit vraiment pas vers quel avenir pourront le conduire les études qu’il mène. Ce garçon est un métalleux, un vrai. Alors que moi j’ai progressivement arrêté d’écouter ce genre de musique depuis quelques années, suite à la découverte du punk, du hardcore, du post punk, de la cold wave, de la musique industrielle, du noise rock alors tout juste naissant, du shoegaze (énumération presque chronologique). Je sors tout juste d’une grosse période rock alternatif français et les émissions de radio que j’anime sont le reflet bordélique de mes goûts complètement disparates et de mes découvertes quasiment quotidiennes.
Pourtant Samuel m’a incité à ne pas lâcher trop vite le metal. Parce que son truc à lui, c’est le metal extrême et principalement celui en provenance des Etats Unis : Death, Morbid Angel, Cannibal Corpse, Autopsy et, bien sûr, Obituary. Tous ces groupes ont déjà publié des premiers enregistrements retentissants ou en annoncent de nouveaux pour l’année 1990. Samuel me tient donc régulièrement au courant des nouvelles sorties, il a bien compris qu’étant déjà fan de Napalm Death et de grindcore, je ne pouvais pas être insensible au death, ce metal extrémiste, brutal, primitif et hyper violent reléguant les groupes de speed et de thrash de ma jeune adolescence au rang d’apprentis-sorciers de la violence musicale.





Sauf que nous sommes en 2020. J’en suis sûr et certain parce que j’ai bien pris soin de vérifier la date lorsque j’ai écouté Deserted, le deuxième album de GATECREEPER. J’ai déjà un peu parlé dans cette gazette internet de ce groupe originaire d’Arizona et d’un split avec les affreux Iron Reagan. Sur le moment la musique de ces cinq death-métalleux m’avaient bien marqué mais je ne m’attendais pas non plus au retour vers le futur du passé provoqué par Deserted, un disque tel qu’on en faisait aux alentours des années 1990. Alors évidemment que cela ne peut que me plaire, malgré une pochette d’une laideur toute convenue et malgré la photo du groupe au verso qui nous montre cinq chevelus-barbus – sauf le chanteur qui ne porte que la moustache, cela lui donne des airs d’intello – affublés des sempiternels t-shirts de groupes obscurs, de tatouages démoniaques et de morgues patibulaires de tueurs du désert (oui l’Arizona est une sorte de grand désert avec un peu de vie ça et là). Je comprends que tout ça ne fasse pas trop envie.
Pourtant Gatecreeper est un sacré bon groupe dans le genre. Les rythmiques sont variées et la musique accélère uniquement lorsque c’est nécessaire, laissant beaucoup de place à de nombreux passages mid tempo tamisés à la double grosse caisse. S’il y a plusieurs sens communément acceptables au mot groove – et il y en a effectivement plusieurs : par exemple en matière de noise rock les new-yorkais d’Unsane étaient imbattables – Gatecreeper est l’un des maitres actuels de ce death lourdissime et pachydermique à faire dodeliner de la tête n’importe quel adepte de la méditation transcendantale. Et quand je dis lourd c’est même plus que ça : la musique de Gatecreeper est non seulement extra plombée mais aussi ultra grasse, ultra poisseuse et ultra épaisse. Il faut dire aussi que les guitares sont accordées particulièrement bas, rivalisant avec celles du Entombed de la grande époque, et qu’elles envoient du gros riff bien sale et bien méchant.
Rien de très nouveau, donc. Juste une douce brise nauséabonde, un peu de fraicheur parfumée à la charogne de chacal et une once de vitalité crépusculaire de mort-vivants défoncés au peyotl dans un genre musical ultra codifié et ultra normé. Nous sommes donc en 2020 et en 2020 il y a tous ces groupes au talent poussif qui essaient de faire comme si, et surtout comme ça, sans y arriver. Et puis il y a Gatecreeper… tu connaissais déjà ce groupe Samuel ?

[Deserted est publié en vinyle par Relapse records]