vendredi 8 novembre 2019

Eye Flys / Context





Je ne porte pas vraiment Full Of Hell dans mon cœur – même pas les albums en collaboration avec Merzbow qui ne font peur qu’aux enfants beaucoup trop sages et surtout pas ceux avec The Body qui n’impressionnent que les intellectuels du metal androïdé maniaco-négativiste – aussi lorsque le guitariste Spencer Hazard a monté un nouveau side-project du nom de Eye Flys j’ai d’abord préféré passer mon chemin, ayant d’autres chats de sorciers à fouetter et surtout beaucoup trop d’autres disques que je préférais écouter avant. Pourtant le label Thrill Jockey n’y est pas allé de main morte pour donner envie aux indécis et vieux blasés ronchons comme moi et pour faire la promotion d’un énième groupe de vétérans* adeptes de grosses guitares, venu de nulle part – ici : Philadelphie en Pennsylvanie – et destiné à combler les amateurs de gras visqueux et de souffrance. Et de lourdeur, également : « Eye Flys » est le titre de l’une des plus célèbres compositions des Melvins, celle qui ouvre le premier album de la bande à King Buzzo, le génial Gluey Porch Treatments (1987). 
Les comparaisons s’arrêteront là : la seule chose que les quatre EYE FLYS doivent aux Melvins c’est ce sens de la lourdeur associé à celui de la puissance. Context, premier mini-album du groupe publié en septembre 2019, donne à entendre un hardcore plutôt mid-tempo, très épais, bien graisseux, très énergique, sale et boueux. Rien que de très classique et de somme toute déjà entendu, comme du sludge mais sans le sens du swing sudiste qui donne au genre tout son charme profondément vénéneux et toxique. 
Tout repose sur des riffs de taille méga-extra-large joués par des guitares et une basse grésillantes et avec une énergie très masculine. Ouais Eye Flys est un groupe d’hommes. Et en plus d’hommes qui détestent tout le monde : c’est écrit sur leurs tatouages et sur leur t-shirts. Un état d’esprit assez typique de beaucoup de groupes américains enfermés dans leur colère et constamment en porte-à-faux entre virulence réactionnaire parfois un peu rance et volonté de tout envoyer balader pour tout recommencer (oui, mais recommencer quoi ?). Après tout la révolte individuelle est l’un des principaux moteurs des musiques électriques blanches, elle a engendré ce qu’il y a de mieux question évocation de la vacuité de l’existence et ennui sans perspectives (le punk) mais aussi question réorganisation communautariste et collectiviste (le punk, encore, son enfant le hardcore et le DIY, dans ce qu’il peut avoir de plus politique). Pour sa part Context n’est qu’un défouloir individualiste, aussi bien me semble-t-il pour Eye Flys que pour celle ou celui qui écoute le disque : moi, moi, moi et moi. 

Si j’aime Context, enregistrement tellement court qu’il ne dépasse pas le quart d’heure et même que le vinyle tourne en 45 tours, c’est donc uniquement pour des raisons musicales. Les compositions sont lapidaires, ne s’embarrassent jamais de détails inutiles, vont droit au but – le but : (se) faire mal. Lorsque une guitare part en solo c’est d’un simplisme éjaculatoire qui me convient parfaitement. Le chant dégueule constamment et la batterie ne fait que marteler des rythmes dans le but de s’assurer que tout le monde a bien compris qu’Eye Flys n’est pas là pour raconter des blagues. C’est le genre de disque que j’écoute lorsque j’ai envie de faire passer la colère du moment sans faire de ravages autour de moi (je pourrais aussi faire un peu de sport mais j’y suis philosophiquement totalement opposé) et que le temps et la patience viennent à me manquer pour réfléchir posément sur les raisons et motifs de cette colère. Voilà, c’est ça : demain je n’y penserai plus. Enfin je l’espère.

* les autres membres du groupe sont : Kevin Bernsten à la basse, Jake Smith à la guitare et au chant et Patrick Forrest à la batterie – le premier est guitariste dans Triac, les deux autres jouent ou jouaient dans Backslider (Smith en tant que bassiste)