vendredi 18 octobre 2019

Kim Gordon / No Home Record





Qui regrette encore Sonic Youth ? Certainement pas moi : le groupe n’était à la fin de sa vie qu’une caricature de lui-même, malgré ou plutôt à cause des longs discours, des déclarations d’intention, des visées conceptuelles et de tous ces trucs qui n’ont a priori rien à voir avec la musique. KIM GORDON était la principale responsable du côté arty – et de plus en plus lassant et énervant – de Sonic Youth. Je n’aurais rien trouvé à y redire si la musique avait continué à suivre, ce qui n’était pas le cas. Au moins les new-yorkais auront tout essayé pour acquérir ce statut de groupe culte et emblématique du rock indépendant américain à tendance bruyante et expérimentale puis de moins passionnante parce que, finalement, de moins en moins aventureuse. Souvent je pense aux chemins divergents empruntés par Sonic Youth et Yo La Tengo. J’ai longtemps pensé que les seconds étaient comme une sorte de version champêtre voire bucolique des premiers. Mais je me trompais en partie. Yo La Tengo représente surtout l’humilité sincère d’un artisanat toujours un peu mystérieux et entrainant. Alors que Sonic Youth, sous prétexte de se « réinventer », a fini par se perdre et s’enfermer dans des postures toutes plus exaspérantes que les autres.

Aujourd’hui Kim Gordon sort le tout premier album solo de sa pourtant longue carrière : No Home Record (publié par Matador records). Et il y a des choses qui ne changent pas. Les poses ; les discours ; les concepts. No Home Record est un disque parfois brillant mais également souvent horripilant. Les admiratrices et les admirateurs de la guitariste/chanteuse me rétorqueront alors que c’était bien là le but recherché et que ma réaction – épidermique – ne prouve qu’une seule chose, que Kim Gordon a totalement raison, que sa musique est une arme et que surtout sa musique est politique. Que répondre à cela ? Pas grand-chose, malheureusement. Il s’agit d’un vrai dialogue de sourds, ce qui est un comble en parlant de musique. Mais je n’en démordrai pas : No Home Record, avant justement d’être un « disque de musique » est principalement une suite d’idées et de concepts (pas forcément inintéressants pour autant, loin de là, même). Mais moi ce qui me passionne avant toute chose c’est le son, la musique, puis les réactions qu’elle fait naitre en moi, les frissons qu’elle m’impose, les joies comme les douleurs, aussi, parfois. Comme il n’y a rien ou en tous les cas pas grand-chose d’épidermique et d’organique dans No Home Record je m’y emmerde un peu. Etre séduit par des constructions ne me suffit pas, surtout que les constructions de Kim Gordon finissent par s’effondrer sous leur propre poids, celui d’une prétention artistique que je ne comprendrai jamais.

Lorsque je dis que la priorité de No Home Record n’est pas d’être un disque de musique je tiens tout de même à préciser qu’il l’est tout de même bien davantage que ceux de Body/Head, duo composé de Bill Nace et de Kim Gordon avec déjà trois albums à son actif. Avec ce projet la musicienne a réellement touché le fond en matière d’abscons et d’orgueil artistique. Prenons donc No Home Record plus simplement, comme une suite de compositions – plutôt que de chansons – et oublions quelques instants tout ce qu’il y a d’énervant derrière. Musicalement il y a au moins deux disques différents dans No Home Record. Le premier est dominé par la guitare et les refrains chantés (volontairement ?) de façon stupide : Air BnB ressemble à une mauvaise démo de l’époque Dirty de Sonic Youth ; le turbo-punk limité de Hungry Baby vaut à peine mieux. Le deuxième, largement majoritaire, est plus axé sur les expérimentations et l’électronique : Sketch Artist et son introduction cuivrée ; Paprika Pony et son côté mélancolique (évidemment il s’agit de l’un de mes titres préférés de l’album) ; les outrances molles de Murdered Out et celles, plus incisives, de Don’t Play It ; le côté inquiétant et sombre de Cookie Butter (très réussi).
Les deux dernières plages de No Home Record quant à elles méritent presque toutes les louanges. Earthquake est une déambulation éthérée et bancale doté d’un chant complètement faux mais terriblement approprié, comme seule Kim Gordon en a le secret (et il s’agit de mon autre titre préféré du disque). Nettement moins fort émotionnellement mais emprunt d’une étrangeté enfin humanisée Get Yr Life Back marque le point final d’un album qu’il contribue ainsi à sauver de la caricature. J’aurais vraiment aimé que tout No Home Record soit d’une teneur beaucoup plus proche de ces deux derniers titres.