mercredi 11 septembre 2019

Hyperculte / Massif Occidental





C’est tellement pratique et tellement facile de chroniquer les disques quelques mois après leur sortie. Tu lis tout ce qui a été alors écrit sur le vif, tu en jette 95 % parce que la plupart du temps l’urgence internet, le manque de recul et la pauvreté intellectuelle* font que personne a strictement rien à dire sur le putain de disque en question et tu compiles façon rouleau de printemps sauce aigre-douce les 5 % restants. Sauf si tu as tes idées bien à toi et peut-être même des théories éclairées sur le pourquoi du comment du parce que. Dans le cas d’HYPERCULTE** et de son deuxième album Massif Occidental tout le monde a déjà parlé de la révolte joyeuse (mais à prendre très sérieusement) du groupe et a mis en exergue cette citation, tirée des paroles d’une chanson intitulée Chaos : « c’est bien la pire des folies d’être sage dans un monde de fous ». Je vais faire exactement pareil. 

A la toute fin des années 80 la chanteuse / percussionniste Cécile Babiole du groupe Nox éructait un « le fou vomit, le sage avale », intervention lapidaire enregistrée lors d’un concert à La Manufacture de Nancy et publié en CD par Permis De Construire Deutschland en 1989. Quel rapport me demanderez-vous ? C’est bien simple : la haine crachée de Nox et l’idéalisme d’Hyperculte nous disent à peu près la même chose mais avec des motivations et donc des implications complètement différentes. Nihilisme de façade d’un côté – c’est dingue comme dans les années 80 il était de bon ton d’avoir l’air malheureux et d’être adepte de l’autodestruction – et utopie positive de l’autre. Hyperculte est donc un groupe militant. Mais pas de trop. Ce que le groupe veut nous dire il le fait avec élégance et discernement, fermement mais jamais de façon péremptoire (pas de refrain sauce alterno) et si tout est intelligible et bienvenu ce n’est jamais au détriment de la musique du groupe, ce qui sauve celui-ci de tout angélisme et de toute facilité idéologique. Et le sauve également de toute vacuité. Y compris sur le presque didactique Siamo Tutti (comprendre : « nous sommes tous des black blocks ») qui décrit une réalité concrète et tangible, celle du Val Susa et de ses habitants en lutte contre la construction de la ligne de TGV Lyon / Turin. 

Le disque est ainsi truffé de déclarations d’intention et de constats poétiques sur l’état de notre monde moderne, capitaliste, cannibale et destructeur – le « massif occidental » du titre de l’album. Citons-en quelques uns : « on voit à la démarche des gens s’ils ont trouvé leur chemin », « la vie appartient à ceux qui se lèvent tôt ou tard », « nous sommes originaires du même monde », « et si nous nous mettions à vivre » ou encore « nous sommes une armée de rêveurs et pour cette raison nous sommes invincibles ». Seul « il vaudrait mieux rester triste au cas où ça tourne mal » dénote un peu avec tout le reste mais j’y vois comme le constat répété de la gravité de la situation actuelle d’un monde en plein effondrement (« le vieux monde se meurt / le nouveau tarde à apparaitre »). Les textes sont tous signés Hyperculte mais sont inspirés d’autres écrits que le groupe a l’honnêteté et l’élégance de citer (de Shakespeare à Nietzsche en passant par la femme politique et écrivaine québécoise Catherine Dorion, Hakim Bey / Peter L. Wilson, poète et penseur américain ou Érasme et Albert Einstein).


Reste à parler de la musique du groupe. Hyperculte est un duo mais cela ne s’entend pas réellement. Ce que l’on entend principalement c’est le groove de la contrebasse et le côté répétitif des rythmiques, ce qui pourrait me pousser à décrire Massif Occidental comme un disque de choucroute funky. Ou de Kraut libertaire. Voire de punk ethno-pendulaire. Loin de toute tentation outrageusement festive – un peu comme les textes qui ne sont pas volontairement sentencieux – le groupe ne s’interdit pourtant jamais aucune liberté dans le déhanchement ni aucune incartade dans l’étrange. Le premier album sans titre d’Hyperculte (en 2016) était déjà une réussite, Massif Occidental confirme que l’on peut avoir des choses à dire et le faire sans être chiant comme la mort ou comme un film de Bernard-Henri Levy (qui de doute façon n’a rien d’intéressant à dire). Seule critique que je ferais au disque, la reprise d’Eisbär, chanson plus que célèbre et célébrée de Grauzone, le groupe très 80’s de Martin Eicher (avec son frère Stephan dedans) ; la version qu’en donne Hyperculte est vraiment très loin d’être mauvaise mais Eisbär est quelque chose de tellement emblématique qu’il me semble toujours un peu vain de vouloir s’y attaquer, même avec tout l’amour du monde.

[Massif Occidental est publié en vinyle par Bongo Joe records et Red Wig]  

* mais non, je déconne
** duo composé de Vincent Bertholet d’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp à la contrebasse et au chant et de Simone Aubert de Massicot et de Tout Bleu au chant, à la batterie et à la guitare